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— Oui, je suppose. Mais le peuple est fanatisé par les béelbâtres. Il n’acceptera jamais…

— Une partie du peuple seulement, ici, à Kintan. La religion réformée n’a pas encore gagné le reste de l’empire. Ceux qui sont derrière cette sinistre farce, sont trop pressés, ou ont été trop pressés. D’ailleurs, la religion de Béelba aura moins d’adeptes une fois qu’il aura été prouvé que la déesse, malgré ses miracles, est incapable de protéger ses prêtres. Et ça, je m’en charge !

— Et que demandes-tu en échange ?

Téraï ne put s’empêcher de sourire.

Kénoaba, oboaba ! Qui dit Kénoïte dit marchand ! Le vieux dicton reste vrai, n’est-ce pas ? Je ne demande pas grand-chose : le droit de pourchasser sur le territoire de l’empire tous les prêtres de Béelba et surtout celui ou ceux qui se cachent derrière eux, et de régler leur sort moi-même !

— Cela fera beaucoup de sang, Téraï !

— Moins qu’il n’en coulera si nous ne les arrêtons pas maintenant ! De toute façon, je veux ce sang, et je l’aurai.

— Et si je n’accepte pas ?

— Alors, Tika, tu as tes soldats, là dehors. J’ai mes hommes ici. Chacun combattra pour soi, et si j’en réchappe, je viendrai chercher ce sang à la tête des Ihambés !

Le capitaine fit la grimace.

Rossé Moutou, eh ? L’homme montagne ! Je sais que tu le ferais ! J’accepte ! Mais cela ne nous donne pas les moyens de survivre. Tu as dit toi-même tout à l’heure que nous étions perdus si nous ne pouvions compter que sur Kan.

— Non, je vais faire une chose que j’aurais préféré éviter, Tika ! Je vais distribuer des armes à tes soldats, des armes de la Terre, et leur apprendre à s’en servir, si nous en avons le temps. D’ailleurs, si je ne me trompe pas, d’ici à quelques années, de toute façon, les armes terriennes seront entre les mains de tout le monde, ici. Je gagerais ma tête contre un grain de pikuk que si on n’en distribue pas en ce moment dans le temple de Béelba, cela ne tardera guère. Des Massetti de Milan, acheva-t-il en se tournant vers Stella. Deux autres conditions cependant, Tika : la première est que tu épouses Ténou-Sika quand tu seras empereur.

— Ta condition est douce !

— Tant mieux ! La seconde est que tu n’admettes sur le territoire de ton empire aucun homme de la Terre sans que je n’aie approuvé sa venue.

— Tu pourras toujours visiter Kéno, toi et tes amis, Téraï. Mais je ne veux pas en voir d’autres !

— Bon. Fais venir tes hommes, dix par dix. On va leur donner des armes, et leur première leçon dans l’art de tuer les gens d’une manière civilisée.

— Vous pensez vraiment, non seulement vous en tirer, mais encore réussir cette révolution ? demanda Stella quand le capitaine fut parti.

— Peut-être. Tout dépend de la nuit qui vient. Nos chances ne sont peut-être pas fameuses, je le reconnais, même avec les deux mille hommes de Tika, mais j’ai encore quelques tours dans mon sac, et il y a une chose en notre faveur : l’ennemi paraît désorienté, hésitant. Il ne s’attendait sans doute pas à ce que tout éclate maintenant. C’est trop tôt pour lui. Ma tentative de ce matin a brusqué l’évolution de la situation. Je suis un Terrien, et vous êtes là, vous aussi. Le quelconque monstre qui se cache derrière cette mascarade béelbâtre n’a peut-être pas trop envie de montrer qu’un Terrien peut être tué aussi bien qu’un Kénoïte. Il est des exemples contagieux. Il a encore moins envie de voir miss Henderson disparaître dans la bagarre. Non, l’enlèvement et l’assassinat de Laélé ont été une gaffe, commise par un sous-ordre kénoïte emporté par son fanatisme et sa haine des Ihambés, ou peut-être essayant de jouer son propre jeu. Il a chamboulé le Maître-Plan. Et qui que ce soit qui ait élaboré ce plan, il ne doit pas être très content maintenant.

— Vous persistez à penser que les Terriens tirent les ficelles ?

— Plus que jamais ! Rappelez-vous l’avertissement que vous avez reçu ! Je crois pouvoir vous dire comment les choses se seraient passées. Il y aurait eu une émeute sur mon passage, aujourd’hui, en ville, j’aurais été assommé, drogué, expédié sous escorte à Port-Métal et de là embarqué pour une planète quelconque. Vous auriez été rapatriée avec tous les égards dus à votre personne et, dans un an ou deux, l’empire aurait commencé ses conquêtes, comme je vous l’ai expliqué.

— Et pourquoi cette nuit sera-t-elle cruciale ?

— Vous tenez à le savoir ?

— Bien sûr ! Je suis en danger, moi aussi !

— Peut-être ai-je tort de vous le dire, mais bah ! il y a peu de chances que vous puissiez nous trahir, si même vous en avez envie. Il est certain que la tête de la conspiration se trouve dans le temple situé à côté du palais impérial. C’est un temple double, appartenant d’un côté au culte de Klon, de l’autre à celui de Béelba. Charmant moyen que le dernier empereur avait trouvé pour paraître ne favoriser aucun des deux dieux. Avec l’accord d’Obmii, j’ai fait creuser un souterrain entre ma maison et la partie dédiée à Klon. Oui, comme dans un drame de Victor Hugo. Cette nuit, je vais utiliser ce passage.

— Dans quel but aviez-vous fait ce travail ?

— Dans un but où j’ai été devancé. Je voulais renforcer le vieil Obmii en lui procurant quelques miracles. Les autres ont été plus rapides que moi !

— Vous sentez-vous physiquement capable de faire cette expédition cette nuit ? Votre tête…

— Ce n’est rien. J’ai dormi. Une blessure à la tête qui ne tue pas n’est rien du tout. Elle me gêne moins que cette balafre à la joue. Je vais cependant aller me reposer, tant que tout est calme. Surveillez la distribution des armes, voulez-vous. J’ai 600 fusils entreposés dans ce hangar. Avertissez-moi quand le soleil sera couché.

— Vous voulez réellement exterminer tous les prêtres de Béelba ?

— Pourquoi hésiterais-je ? Si j’en avais le courage, j’étranglerais même leurs gosses !

Au crépuscule, Stella passa devant la porte de Téraï, sur la pointe des pieds, ne voulant pas le réveiller encore. Un sanglot étouffé la fit s’arrêter, regarder par la porte entrebâillée. Assis sur le lit, un collier de Laélé à la main, il pleurait.

CHAPITRE III

LA NUIT TERRIBLE

— C’est bien compris, Stella ? Si nous ne sommes pas de retour dans trois heures, vous faites sauter cette entrée.

A demi engagé dans la cavité qu’éclairait faiblement une torche, il levait vers elle un visage encore fatigué sous le bandeau sanglant qui entourait son crâne.

— N’avez-vous plus peur que je vous trahisse ?

Il eut un sourire las.

— Non. Je ne sais pas pourquoi. Allez, avancez, vous autres !

L’un après l’autre les dix Kénoïtes s’engouffrèrent dans le trou noir, armés de carabines, de revolvers et d’épieux. Puis Eenko passa à son tour, hideux, couvert de sang séché qu’il avait refusé de laver avant que sa sœur ne soit vengée. Téraï attendit.

— Bonne chance, dit-elle enfin.

— Merci, j’en aurai besoin !

Il disparut à son tour, suivant ses hommes. Ils arrivèrent vite à une petite rotonde.

— Eenko, Gidon, Teker, Tohi, vous marchez avec moi. Les autres suivent à dix pas. Ne laissez pas tomber les explosifs !

Ils avancèrent dans le tunnel irrégulier, creusé dans un calcaire tendre où les coups de pics restaient marqués sur les parois et la voûte. Parfois des gouttes d’eau plicploquaient dans des mares, parfois, au contraire, les murs étaient secs, crayeux. Au bout de trois cents mètres Téraï s’arrêta.

— Nous sommes presque au bout. Suivez-moi sans bruit. Ne tirez que si c’est absolument nécessaire, je voudrais les capturer vivants.