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Quelques pas plus loin le tunnel monta, et bientôt une dalle barra le passage. Téraï tâtonna dans un des coins, et, avec un léger grincement, la pierre pivota. Il se précipita en avant, revolver au poing. Dans une salle basse, cinq Kénoïtes le regardaient entrer, la peur sur leur visage, peur qui se transforma en soulagement quand ils le reconnurent.

— Obmii ! Que fais-tu là ?

Le vieux prêtre se leva.

— Je me cache, Rossé Moutou ! Nous sommes les seuls survivants du massacre ! Nous étions au temple quand les émeutes ont éclaté.

— La porte d’entrée ?

— S’ils l’avaient trouvée, nous ne serions pas vivants !

— Comment cela s’est-il passé ?

Obmii haussa les épaules dans un geste très humain.

— Très vite. Nous avons entendu des coups de feu venant de la place d’armes. Je savais que ta femme était prisonnière, et j’ai pensé que tu allais à son secours. As-tu réussi ?

— Non !

— Je plains Bolor, dit-il avec un sourire qui démentait toute compassion. Peu de temps après, une foule s’est précipitée vers notre temple, demandant refuge. Nous avons ouvert des portes. Quelques minutes plus tard, nous n’étions que cinq survivants !

— Le temple est-il toujours occupé ?

— Je ne crois pas. Nous avons regardé par l’œil du dieu. Ils ont brisé tout ce qu’ils ont pu, souillé les autels et sont repartis.

— Pourquoi n’es-tu pas venu jusqu’à ma maison ?

— J’ignorais qui en était maître.

Le souterrain montait maintenant très vite, le sol se transforma en un escalier taillé dans le roc, aboutissant à une dalle horizontale à côté de laquelle s’ouvrait un puits d’où pendait une échelle Je corde. Téraï grimpa jusqu’à une galerie étroite et basse où il rampa avec précaution, attentif à ne pas faire de bruit. Il stoppa quand il eut atteint une petite ouverture dans le plafond du temple. Elle coïncidait avec l’œil frontal du dieu Klon, qui planait, peint sur la voûte.

Le temple était désert, dans la lueur misérable de torchères à demi éteintes. Il scruta longuement les coins sombres, prit dans sa poche une pièce de monnaie, la glissa par l’ouverture. Elle sonna sur le sol, vingt mètres plus bas, mais rien ne bougea. Il retourna vers ses hommes.

— Le temple est vide. Suivez-moi.

Tout était silencieux et désert, mais sur les dalles, de-ci de-là, des taches sombres marquaient les endroits où des prêtres avaient été égorgés. La grande porte de bois noir clouté d’or bâillait, entrouverte, et Téraï se cacha derrière elle. Sous la pâle lumière d’une lune solitaire, l’esplanade luisait de toutes ses pierres blanches polies par des années de passage de fidèles. A cent mètres à droite, derrière les bosquets de hauts kolibentons, les murs du palais impérial se dressaient, noirs, à contre lune. Une sentinelle se promenait lentement sur le chemin de ronde, entr’aperçue par les crénaux.

— Le diable l’emporte, pensa-t-il. Nous avons vingt mètres au moins à faire avant d’être dans l’ombre !

Il regretta de ne pas avoir emporté un arc, mais à cette distance, dans la lumière incertaine, même Eenko n’aurait pu être sûr de son tir. Il regarda le ciel. Une longue barre de nuages se déplaçait lentement, et masquerait bientôt la lune.

Ils attendirent. Au moment propice, ils se glissèrent hors du temple, contournèrent son angle, se massèrent dans l’obscurité d’un contrefort, dans la partie consacrée à Béelba. La porte était certainement gardée, et comme leur réussite dépendait de la surprise, il ne fallait pas songer à la forcer. Téraï se remémora l’aspect du mur, tâta au-dessus de lui, trouva, comme il s’y attendait, le pied de la statue de Bélini, la compagne de la déesse. Il se hissa à la force des bras, prit pied sur les épaules, puis sur la tête et d’un rétablissement grimpa sur une large corniche et déroula sa corde. Cinq minutes après, tous ses hommes étaient avec lui.

Ils progressèrent prudemment sur la corniche, gluante de lichen et de la fiente des oiseaux sacrés, escaladèrent un contrefort, arrivèrent sur le toit plat. Nulle sentinelle ne le gardait. Ils dominaient toute la ville où des incendies faisaient rage, vastes lueurs rouges illuminant la base de colonnes de fumée qui s’étalaient comme des nuages trop bas. Téraï repéra les sites : la villa du prince Ixtchi, le plus ferme soutien d’Obmii à la cour, la caserne des gardes des murailles, les entrepôts de K’Gonda, le marchand, et cinq embrasements voisins qui marquaient les demeures de cinq de ses amis. D’autres feux brûlaient, répartis au hasard, conséquences probables du tremblement de terre. Il resta un moment à regarder, puis grommela :

— Tout se payera en gros.

La grande tour qui portait la face de la déesse se dressait au nord. Ils en approchèrent prudemment, mais la porte d’accès n’était pas gardée, et bientôt ils descendirent un escalier en colimaçon qui menait au temple proprement dit. Téraï n’y avait jamais pénétré lui-même, mais Obmii en connaissait tous les détours par ses espions et lui en avait donné depuis longtemps un plan précis. Evitant te corridors ouverts aux fidèles, ils passèrent par d’étroites galeries creusées dans l’épaisseur des murailles sans rencontrer de sentinelles. Un bruit de voix se fit entendre, venant d’une salle, et Téraï arrêta ses hommes, avança à pas de loup, colla son œil au trou de la serrure d’une massive porte de bois. Sept hommes étaient assis autour d’une table, et Téraï reconnut immédiatement Bolor, Ikto et Kilsen ses deux acolytes, quelques nobles ambitieux et un riche marchand. Seul un visage lui fut inconnu, celui d’un individu de forte taille pour un Kénoïte. Il semblait furieux contre le grand-prêtre.

— C’est trop tôt ! Nos plans ne sont pas prêts, la situation n’était pas mûre ! Vous vous êtes laissés emporter par vos haines de sauvages ! Vous avez sacrifié cette fille, et maintenant nous allons avoir la confédération ihambé sur le dos, en plus du Terrien ! Une maladresse qui peut coûter très cher !

— Nous avons la ville déjà ! Qui tient Kintan tient Kéno !

Les autres approuvèrent.

— Ce serait vrai, peut-être, si ce maudit officier n’avait réussi à s’échapper et à prévenir Siten-Kan ! Si toute résistance avait cessé à Kintan, ce qui n’est pas le cas, vous le savez, enfin si ce damné Laprade avait été mis hors d’état de nuire !

Bolor se dressa, lèvres minces pincées.

— Demain je lancerai le peuple à l’assaut de la villa du Terrien !

— Et vous vous ferez faucher par centaines par ses mitrailleuses !

— Nous en avons nous aussi !

— Grâce à moi ! Soit, il n’y a plus rien d’autre à faire. Mais rappelez-vous que la jeune fille terrienne est sacrée. S’il lui arrive malheur, je ferai réduire Kintan en cendres ! Et Obmii ? Vous en êtes-vous assuré ?

— Il est mort.

— Avez-vous reconnu son cadavre ? Non, n’est-ce pas ?

Il haussa les épaules, se leva.

— Bon, nous verrons cela demain à l’aube. Je distribuerai moi-même les armes et les explosifs. Donnez-moi les clefs de la crypte.

Bolor se raidit.

— Seul le grand-prêtre a les clefs de la crypte sacrée !

— Soit ! Mais ne jouez pas avec ces choses-là, il pourrait vous en cuire !

Il se dirigea vers la porte. Téraï appela ses hommes d’un geste, et au moment où l’autre sortait, l’assomma d’un coup de poing, le jeta en arrière à un des Kénoïtes.

— Attache-le !

Il se rua dans la pièce, revolvers au poing, suivi des siens. Appuyés à la table, stupéfaits, Bolor et les autres le regardaient.