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— Avancez un par un ! Toi, Bolor, le premier ! Je compte jusqu’à trois, après je tue ! Un, deux…

Le prêtre obéit. Téraï fouilla sa tunique, en tira un trousseau de clefs, puis l’abattit d’un coup sur la nuque.

— Au suivant ! Vous, le gros marchand !

Téraï contempla d’un air dégoûté les sept hommes allongés sur le sol, troussés comme des volailles.

— Eenko, Tohi, restez ici pour les surveiller. Si on essaye de les délivrer, tuez-les ! Gidon, Tolbor, Gdu, Pika, vous gardez les deux côtés du couloir. Les autres, venez avec moi.

Il se dirigea vers la gauche, descendit un escalier, puis par une autre galerie parvint à une salle où deux Kénoïtes montaient la garde. De deux balles de son revolver à silencieux il les abattit.

La porte de la crypte, en bois renforcé de bronze, s’ouvrit en grinçant. La vaste salle voûtée était bourrée de fusils, de munitions, de caisses de dynamite ou de grenades. Au milieu, une dizaine de mortiers et autant de mitrailleuses. Téraï siffla.

— Bigre de bougre ! Mon arsenal n’est qu’une plaisanterie à côté de celui-là ! Si le BUX savait ça… Enfin, nous allons y mettre bon ordre. Klafo, les explosifs !

Le Kénoïte s’avança, ôta le sac de son dos. Téraï en tira des cartouches, du cordeau, un détonateur à retardement.

— Il est deux heures juste du matin. A trois heures, ça va faire un beau feu d’artifice ! Droit en dessous la tour, avec à côté les cellules des prêtres ! Nettoyage par le vide !

Tout en parlant il disposait ses explosifs.

— Là, c’est fini, partons !

— Maître, ne crains-tu pas la colère de la déesse ?

Il sourit, répondit doucement.

— Non, Klafo. Klon nous protégera.

Il ferma soigneusement la porte, introduisit un poignard de bronze dans le trou de la serrure, l’y cassa, martela le bout qui sortait.

Même s’ils ont une autre clef, ils pourront s’amuser !

Ils remontèrent l’escalier à toute vitesse. Accroupi à côté de Bolor bâillonné, Eenko s’amusait à dessiner des cercles sur la poitrine nue du prêtre avec la pointe de son couteau.

— Assez, Eenko ! Il ne perd rien pour attendre ! Détachez leurs jambes, nous partons. Impossible de passer par les toits avec eux, mais maintenant nous n’avons plus besoin de silence. Tohi, Tolbor, attachez-les en chaîne pour qu’ils ne s’évadent pas. Les autres, prenez des grenades, et allons-y !

Ils arrivèrent à la nef centrale par une petite porte, et Téraï s’arrêta net.

— Je n’y avais plus pensé, gronda-t-il.

Devant la statue de Béelba, sur les dalles de pierre noire reposaient les corps des jeunes filles sacrifiées, pour la veillée funèbre avant qu’ils ne soient embaumés et rangés dans les souterrains du temple. De part et d’autre des dalles, une trentaine de néophytes, agenouillés têtes baissées, se recueillaient. La fureur monta en lui, aveuglante. Il mit son fusil sur tir automatique, pressa sur la détente.

— Tiens, salaud ! et toi ! et toi !

Les balles trouèrent les rangs serrés. Epouvantés, les néophytes se ruèrent en tous sens, comme des rats pourchassés, essayant de se cacher derrière les colonnes, s’aplatissant contre les dalles funèbres. Téraï courait derrière eux, les fauchant, suivi de ses hommes déchaînés. Le dernier néophyte rampa à ses pieds, et il lui fracassa le crâne d’un coup de crosse.

— A la porte, vite !

Il chercha Laélé des yeux parmi les formes immobiles étendues sur les pierres, elle n’y était pas.

— Evidemment, ils ne l’ont pas sacrifiée, elle !

Il finit par la trouver, jetée dans un coin comme un chien, ses longs cheveux noirs épars sur son visage froid. Il se pencha, la jeta sur son épaule, bras et jambes raidis ballants, se précipita vers la porte où la fusillade faisait rage, poussa un des captifs d’un violent coup de pied. Dehors, une quarantaine d’archers et de piquiers tenaient bon, empêchant toute sortie, et Klafo se tordait sur le sol, une longue flèche dans le flanc.

— A la grenade, fils de putains kinfoues !

Il déposa doucement Laélé, tira son engin de sa musette, le lança en plein dans le groupe de soldats, puis deux autres, coup sur coup. Les brèves explosions illuminèrent des silhouettes s’effondrant. Une flèche siffla à son oreille, s’écrasa contre le mur. Il aperçut l’archer, le descendit d’un coup de revolver.

— La route est libre ! En avant ! Ramassez Klafo !

Il reprit Laélé sur son épaule, courut. La porte du temple de Klon les avala, puis ils disparurent dans le souterrain.

Stella regarda sa montre. Dans vingt minutes, le délai indiqué par Téraï allait expirer. Une fusillade troua la nuit, du côté du palais, puis des éclatements de grenades. Elle fît appeler dix hommes par Sika, leur ordonna de se rendre au souterrain. Mais, avant qu’ils ne s’y soient engouffrés, la haute silhouette de Téraï apparut, portant un long fardeau sur son épaule. Il s’avança lentement vers Stella, posa doucement le cadavre sur le sol.

— Oui, c’est elle. Je l’ai trouvée… là-bas.

Le vent de la nuit écarta les cheveux. La jeune femme semblait dormir, mais d’un trou à la tempe le sang avait coulé.

— Mettez-vous à l’abri, commanda le géant. Tout à l’heure le temple va sauter, et avec ce qu’il y a d’explosifs dans leur crypte, je ne serai pas étonné si des pierres volent jusqu’ici. Amenez les prisonniers, nous avons à parler, eux et moi !

Il se dirigea vers une construction annexe, sorte de cellier au lourd toit de pierre plat, Stella le suivit. Au moment d’entrer, il s’arrêta si brusquement qu’elle buta contre son large dos. Il se retourna, un mauvais sourire aux lèvres.

— Vous tenez vraiment à voir ça ? Cela ne va pas être drôle, vous savez !

— Allez-vous laisser Laélé par terre ? Vous disiez que vous l’aimiez !

Un nuage passa sur son visage, il eut soudain l’air très las.

— C’est vrai. Ne me jugez pas, Stella. Je n’ai pas la même échelle des valeurs que vous. Je suis un sauvage, et pour moi, il est des choses plus urgentes qu’une morte, même si ce fut ma femme. Occupez-vous d’elle, voulez-vous ? Demain… Demain il sera temps de pleurer. Pas maintenant. Sans être romanesque, le destin d’un monde dépend peut-être de cette nuit.

Il disparut de l’autre côté de la porte, craqua une allumette, alluma une lampe à huile qui projeta sur le mur son ombre énorme. Elle resta un moment à regarder cette ombre menaçante se mouvoir, jusqu’au moment où les prisonniers arrivèrent sous forte escorte. L’un d’eux la fixa, yeux brillants dans le rayon de lumière, fit un geste vers elle. Un des gardes le frappa violemment sur le bras.

Elle revint vers la maison, appela Sika et des servantes. Elles transportèrent Laélé dans la chambre de Téraï, l’allongèrent sur le lit, commencèrent la toilette funéraire. Le côté gauche du visage était intact, à part le trou d’entrée de la balle dans la tempe, mais de l’autre côté, le crâne portait une ouverture hideuse, qu’elles dissimulèrent sous les cheveux. Laélé resta là, telle que la mort l’avait prise, doigts raidis comme pour une dernière griffade.

— Quelles sont les coutumes de son peuple, Sika ?

— Je ne sais pas, maîtresse. Si le maître était là… Je crois qu’ils allument trois torches, en triangle.

— Ne pourrais-tu demander à son frère ?

— Je parle mal sa langue, et il me fait peur ! D’ailleurs, il est maintenant avec le maître, et…

Un long cri monta dans la nuit, un cri de souffrance si atroce que Stella sentit sa peau se hérisser. Cela venait du cellier. Elle se précipita vers la fenêtre, mais ne put voir, à travers la porte restée ouverte, que les dos des gardes kénoïtes rangés en haie. Le cri monta à nouveau, plainte d’un être si torturé qu’il en perdait toute individualité, qu’on ne savait plus si c’était un homme ou une bête qui hurlait ainsi. Sika allumait calmement les torches.