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— Je me demande s’il n’a pas raison, interrompit-elle. Si je n’avais pas été là, seriez-vous actuellement à Kintan ?

— Qui sait ? C’était sans doute écrit. Je dois porter malheur à ceux que j’aime.

Il eut un geste las de la main.

— C’est la faute à pas de chance, comme disait mon grand-père français. Sitôt que nous pourrons sortir d’ici, sitôt que l’armée de Kan sera arrivée, et que nous aurons écrasé les béelbâtres, je vous ferai conduire à Port-Métal. Une astronef y touche prochainement. Vous reviendrez sur Terre avec un beau reportage, suffisamment de sang pour rassasier vos lecteurs, j’espère !

— Et que ferez-vous ?

— Moi ? Je continuerai la lutte. Dites bien à votre père, directement ou non, qu’il n’aura pas ce monde. Allons, c’est l’heure !

Il se pencha vers le corps de Laélé, effleura de la main la joue froide, puis se redressa, le visage dur.

— Allons !

Quatre femmes entrèrent, portant une civière, y placèrent le cadavre. Dehors, la lumière était maintenant pleine, brutale même, et le jeune soleil montait au-dessus des collines où se découpait la silhouette du temple de l’Est. Le cortège se forma, les quatre porteuses en tête, puis Téraï seul, puis Eenko peint en guerre, farouche, puis Stella, enfin trente soldats en armes sous la conduite d’Ophti-Tika, précédant les serviteurs de Téraï, tous armés, même les femmes. Ils suivirent une allée, arrivèrent devant le bûcher. Avec horreur, Stella s’aperçut que Bolor était lié, vivant, entre les troncs.

Les porteuses montèrent une rampe, posèrent doucement la civière au sommet. Les soldats se rangèrent, armes prêtes, en hommage ; un serviteur arrosa le bois d’essence. Simultanément, Téraï et Eenko allumèrent les deux bouts. Le feu prit avec une explosion sourde, et la fumée monta, voilant à la fois la morte et le vivant. Puis les flammes jaillirent, claires et dansantes, et un long cri d’angoisse et de souffrance monta de leur sein.

— Pourquoi avez-vous fait cela ! Pourquoi !

— Bolor a fait revivre les vieilles coutumes de son peuple ! Eh bien, je fais revivre une vieille coutume ihambé !

— Mais c’est de la pure sauvagerie !

— Ai-je jamais prétendu être civilisé ? Taisez-vous, et souvenez-vous de Bélenkor ! De la façon dont vous, nobles Terriens, avez écrasé la révolte !

Le feu était maintenant si chaud qu’ils durent reculer. Les cris avaient cessé depuis longtemps.

— Bolor a souffert quelques minutes. Pendant combien de temps ont agonisé les Thikaniens, mâles, femelles et enfants, qui furent arrosés au C-123 ? Et ils étaient innocents, eux !

— Les responsables de ce massacre ont été punis !

— Vous le croyez ? Alors comment se fait-il qu’il y a trois ans, au cours d’un voyage, j’aie rencontré l’ex-capitaine Goron dans la force de police du BIM sur Ekino II ? On a fait un peu de bruit pour calmer le public, lui redonner bonne conscience. C’est tout. Et le BIM l’a transféré de sa force spatiale à sa police.

— Je ne peux pas le croire !

— Eh bien, ne le croyez pas !

Il haussa les épaules, s’écarta d’elle, resta longtemps silencieux, regardant les flammes s’éteindre. Puis il partit vers sa maison, tête baissée.

Stella était seule sur la terrasse, face à la ville. Les incendies avaient fini leurs ravages. Sur la colline du palais, des ruines noircies marquaient seules la place du temple de Béelba, et la tour du temple jumeau de Klon s’était à demi écroulée, ainsi qu’une partie du palais impérial. Elle se sentait infiniment lasse, perdue au milieu d’une race étrangère, d’une espèce étrangère. Téraï lui-même lui paraissait incompréhensible, détestable, par son mélange de haute civilisation et de sauvagerie intime, prompte à percer. Et, en même temps, elle le plaignait. La malchance le poursuivait, et avait fait de lui, qui aurait pu, dans d’autres circonstances prétendre aux plus hautes places dans une grande université, un simple prospecteur qui se refusait même la gloire étroite que ses publications auraient pu lui apporter, pour ne pas aider le BIM. Elle l’admirait aussi, de tenir tête seul, ou presque seul, à la plus puissante organisation humaine.

Elle était troublée. Depuis son enfance, elle avait vécu avec l’idée que le BIM, sous la conduite de son grand-père, puis de son père, ne pouvait avoir qu’une activité bénéfique pour l’humanité, malgré quelques incidents désagréables, comme ces massacres de Belenkor. Certes, elle savait que le BIM écrasait ceux qui tentaient de le concurrencer. Mais, comme disait Henderson, quand on entre dans la jungle, il faut être un tigre, ou au moins un loup. Elle s’était réjouie de voir planètes après planètes ouvertes à la civilisation, sans jamais imaginer que pour cela il fallait parfois marcher dans le sang d’hommes sacrifiés. Si ce que lui avait dit Téraï était vrai, et elle ne pouvait plus guère en douter, rien n’excusait la manière dont le BIM essayait de mettre la main sur Eldorado. Elle se cramponnait à l’idée que son père n’y était pour rien, qu’elle pourrait, à son retour, lui ouvrir les yeux sur l’indignité de ses subordonnés, mais elle n’arrivait guère à y croire.

Téraï était invisible. Quelques minutes plus tôt, il avait traversé la grande allée, parlant à Ophti-Tika. Sans doute mettait-il au point son projet, visant à faire du capitaine un empereur qui lui serait dévoué, qui l’aiderait à combattre les tentatives terriennes. Elle se surprit à lui souhaiter bonne chance.

Un bruit attira son attention, un ronronnement doux descendant du ciel. Un hélicoptère électrique approchait, venant du sud-est. Il tournoya, vola très bas. Sur sa coque se détachait l’insigne du BIM, les deux pics de mineur croisés sur fond de nébuleuse spirale. L’engin sembla hésiter un instant, puis se posa sur la grande allée, le vent de ses rotors couchant les fleurs dans les massifs. Ils s’immobilisèrent. Déjà l’appareil était entouré de soldats. Un homme en descendit, s’arrêta net devant la pointe d’une pique.

— Eh là ! Que se passe-t-il ? dit-il très haut en anglais.

Stella dégringola l’escalier quatre à quatre, mais Téraï l’avait précédée, écartant les soldats.

— Que venez-vous faire ? Voir pourquoi vos complices ne répondent plus ?

L’homme parut sincèrement surpris.

— Que voulez-vous dire ?

— Vous le savez très bien !

— Qu’est-il arrivé à la ville ?

— Oh ! peu de choses : tremblement de terre provoqué, incendies, sacrifices humains, assassinats, émeutes, révoltes et guerre civile. Sans compter les explosions.

— J’ignorais…

— Alors, que veniez-vous faire ?

— Nous sommes sans nouvelles d’un de nos employés. Peut-être pourriez-vous nous en donner ? Il s’appelle Bommers, Karl Bommers.

Téraï eut un sourire sinistre.

— Je puis vous renseigner en effet. Je l’ai fait exécuter cette nuit !

— Mais c’est un meurtre !

— Croyez-vous ? Ou bien vous êtes très fort, ou bien un de ces nombreux naïfs qu’emploie et qu’exploite le BIM. Je l’ai supprimé parce que, en obéissance à des ordres venus de plus haut, c’est lui qui est la cause de tout ce beau travail que vous avez pu voir avant d’atterrir. J’ai un enregistrement de son interrogatoire qui le prouve.

— Un enregistrement, ça se truque !

— Ah oui ? J’ai aussi un témoin.