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— Patron, une tournée pour tous !

La voix était puissante et grave.

— Quelqu’un pour toi, Téraï, dit le patron, désignant Stella. Pas une pro.

Il tourna son regard vers elle, et elle se sentit enveloppée, examinée. Pourtant, ce n’était pas le regard « déshabilleur » des coureurs de femmes qu’elle avait rencontrés sur Terre. Il s’inclina, ironique.

— Vous me cherchez ? Je suis charmé, mademoiselle, dit-il en français. Mais peut-être, ajouta-t-il, préféreriez-vous que je vous parle anglais ?

— Cela m’est indifférent. J’aurais une affaire à vous proposer.

— Ce n’est pas le moment des affaires ! Passez demain matin à mon bureau. Et, croyez-moi, quittez ce lieu, puisque, je le vois aisément, vous n’êtes pas une beauté professionnelle ! Mais pas sans que je ne vous paye un verre. Patron, donne-nous deux Téraï spécial ! C’est de mon invention, ajouta-t-il pour elle.

— Cela fait la troisième fois qu’on essaye de me chasser de là où je veux aller ! Je ne suis pas une oie blanche, et je sais me défendre !

— Comme vous voudrez ! Goûtez-moi ça ! Un nectar ! Mais n’en prenez jamais deux à la suite, ça ne pardonne pas ! C’est un mélange de vermouth, d’alcool indigène et d’extrait de fruits du pays. Un verre, ce n’est rien. Deux verres, on roule à terre. Sauf moi, ajouta-t-il avec une vanité naïve. Moi, il m’en faut quatre !

Elle goûta. La boisson était fraîche à la bouche, chaude à l’œsophage. Elle se sentit subitement détendue, un peu exhilarée.

— Il n’y a que moi qui y ai droit dans cette ville de malheur ! Moi et mes invités. Tu n’en as pas servi à d’autres, Joseph ? Il me semble que la bouteille d’extrait a bien diminué ! gronda-t-il soudain, tourné vers le patron.

— Non, non, Téraï, je t’assure !

— Bon, ça va. Ne t’y amuse pas. Tu te rappelles ce qui est arrivé à John Pritchard ? Oh, un accident ! Je n’étais même pas en ville quand cela s’est produit.

— Je sais, Téraï, j’ai compris !

Il éclata de rire.

— Ce pauvre John ! Toute sa réserve d’alcools a flambé ! Et ça coûte cher à faire venir, au prix qu’est le fret ! Il travaille dans les mines, maintenant, à 50 dollars par jour ! Une misère ! Bon, vous avez bu, ma petite, il est temps d’aller dormir. Clark, eh ! Clark !

Un prospecteur se leva.

— Tu vas raccompagner mademoiselle. Et qu’il ne lui arrive rien !

— Je n’ai pas besoin d’escorte ! Et je n’ai pas envie de m’en aller !

— Quand je commande, le 3 juillet, on m’obéit !

— Je n’ai pas à vous obéir !

— Une dernière fois, je…

— Je suis libre !

— Soit ! Tant pis pour vous !

Elle n’eut pas le temps de voir le geste. Déjà, il la soulevait du sol, et sa bouche était rivée sur la sienne dans un baiser féroce. Elle se débattit, le frappant de ses poings, ayant l’impression de taper sur un mur. Elle chercha, au cou, une prise douloureuse. D’un simple revers de main, il balaya son bras, brutalement, puis, reposant la jeune fille sur le sol :

— Je vous avais avertie ! C’est la nuit des prospecteurs !

Pâle, elle se dressa, les poings serrés, tellement furieuse qu’elle ne pouvait parler.

— Espèce de… espèce de… espèce de porc en rut ! dit-elle enfin.

Un tonnerre de rires salua cette insulte. Les prospecteurs se tordaient, pliés en deux sur les tables.

— Eh bien, elle en a des trouvailles, la petite !

— Pourtant, j’en connais beaucoup qui auraient voulu être à sa place.

— Téraï le verrat ! Elle est bien bonne !

— Recommence, Téraï, elle ne demande que ça !

Les exclamations se croisaient. Furieuse, elle recula d’un pas, tira son pistolet de sa poche, le braqua sur le géant.

— Vous allez me faire des excuses, immédiatement, ou je vous troue la peau !

Il eut un sourire amusé, passa la main dans ses cheveux courts.

— Bigre, la petite abeille a un aiguillon ! Mais réfléchissez bien : si vous me ratez, tant pis pour vous. Et si vous me descendez, les copains me vengeront. Et je ne crois pas qu’ils vous tueront tout de suite ! Ils s’amuseront d’abord un peu. Allons, donnez-moi ce jouet, et on n’en parlera plus.

Il avança la main. Contractée, elle appuya sur la détente. Un choc violent lui arracha le pistolet de la main, lui froissant douloureusement les doigts. Un des hommes venait de tirer. Téraï ramassa l’arme au canon tordu, fit glisser le chargeur dans sa main.

— Elle bluffait ! Il n’y a que des bleues ! Allons, vous me plaisez, mademoiselle. Si vous voulez rester avec nous, vous êtes mon invitée pour la nuit, et en sécurité, corne de bouc ! Vous entendez, tous ! Elle est sous ma protection ! Mais pourquoi, diable ! voulez-vous rester ?

Elle hésita un instant.

— Je… Je suis journaliste à l’lntermondial. Je dois faire un reportage sur Port-Métal.

— Eh, que ne l’avez-vous dit plus tôt ! Cela aurait évité bien des malentendus ! Soit, mais pas de noms, pas de descriptions trop précises des copains ! Sur moi, dites ce que vous voulez, je m’en fous ! Allons, les gars, on commence la nuit, et je propose de nommer mademoiselle…

— Stella.

— Mademoiselle Stella reine des prospecteurs ! Allons-y du chœur d’ouverture : Qu’est-ce que Port-Métal ?

— L’enfer !

— Qu’est-ce que le BIM ?

— Un bagne !

— Qu’est-ce que Henderson ?

Le chœur se brisa en plusieurs voix rythmées, chantant en canon :

— Henderson est un cochon

Qui vit de notre sueur

Un jour nous le châtrerons !

Ce jour-là, ah quel bonheur !

— Patron, tout sur mon compte ! En avant, au Chien Jaune !

Stella ne devait conserver qu’un souvenir assez confus de la première partie de cette nuit du 3 au 4 juillet sur Eldorado. Elle commença par une tournée des bars de la ville basse. Le déroulement était le même dans chacun : elle entrait la première, en même temps que le colossal Téraï, puis suivait le flot des prospecteurs. Ils s’asseyaient ou non selon le cas, buvaient une ou deux tournées, chantaient des chansons plus ou moins lestes, et partaient pour un autre bar. Pas de casse, pas de rixes, et Stella commençait à penser que cette « nuit des prospecteurs » était bien surfaite, et que les gens de Port-Métal étaient bien pusillanimes. Mais, après le sixième arrêt, au « Bonheur du pauvre spationaute », cela changea. Les hommes commençaient à sentir le poids de l’alcool ingurgité à grandes rasades, les conversations devenaient véhémentes, et les chants de plus en plus crus. Déjà, une serveuse trop lente avait été déshabillée de force et obligée de danser sur une table, sous la menace de revolvers. Le patron avait voulu intervenir.

— Ta gueule, Stan, dit simplement Téraï.

L’homme pâlit, rougit, jura, et se tut.

Au septième arrêt, l’enfer se déchaîna. Le « Paradis sur Terre » était plus qu’un simple bar louche, c’était une boîte à femmes et à jeux. Quand Stella voulut, selon l’habitude déjà prise, en ouvrir la porte, elle se sentit doucement repoussée en arrière.

— Non, ici je passe le premier, dit Téraï, et il s’assura, d’un geste symétrique, que ses deux revolvers glissaient librement dans leurs gaines.

La salle était grande, brillamment éclairée. Près de l’entrée, un vaste comptoir étalait sa surface sinueuse de métal et de plastique, tandis que le fond de la pièce était encombré de tables de roulette, de poker, de tridun, et d’autres jeux, entourées d’une foule où se mêlaient employés du BIM, commerçants, gangsters vivant à leurs crochets, joueurs professionnels, prostituées, et quelques prospecteurs arrivés en avance. Adossés aux colonnes recouvertes de miroirs, six « durs », l’air sombre, surveillaient, prêts à intervenir. Téraï avisa une table vide, fit asseoir Stella à sa droite.