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Le directeur se dressa d’un bond.

— Vous leur avez donné des armes ! Je devrais vous faire arrêter sur-le-champ !

— Que n’avez-vous arrêté ceux qui en ont distribué aux Umburus, ou aux adorateurs de Béelba ! Le mal est fait. Je ne pouvais laisser les miens sans défense.

Nokombé se rassit, tapota la table de ses doigts, retrouvant le rythme du tam-tam ancestral.

— Oui, en effet. J’avais espéré que nous pourrions repousser la crise.

— En sacrifiant une planète de plus !

— Oui, en sacrifiant une planète de plus, pour sauver toutes les autres. Mais c’est maintenant impossible. Repartez, Téraï. Essayez de limiter les dégâts. Je vous promets l’arrivée d’un croiseur, dans trois mois.

Le géant ricana.

Un croiseur, dans trois mois ! Trop peu, trop tard, comme d’habitude !

— Si vraiment Eldorado doit être mis en quarantaine, même le BIM ne pourra rien. L’opinion publique se retournerait contre lui. Elle est violemment opposée à toute guerre coloniale, vous le savez, même si elle accepte des « opérations de police ». Mais c’est un jeu dangereux, Téraï ! Rien ne dit que la quarantaine sera levée, ensuite. Et vous savez ce que cela signifie pour vous : si vous restez là-bas, vous ne pourrez plus en sortir. Un cordon de mines spatiales sera installé autour de la planète.

— Je m’y plais. Et la quarantaine ne peut durer plus de dix ans légalement. J’attendrai.

— Soit. Je pourrais vous faire arrêter, et peut-être ferais-je bien de le faire. Votre plan est dangereux, mais le diable m’emporte si je ne finis pas par croire qu’il est le seul possible. Quand partez-vous ?

Il réfléchit un moment.

— Dans trois jours. Je vais essayer d’abord de voir miss Henderson.

— Bonne chance, et tenez-nous au courant. Mais d’abord, n’oubliez pas de passer chez nos psychologues. On va vous y guider.

L’immeuble du BIM dressait ses cent dix étages au-dessus du Pacifique près de San Gregorio, au sud de San Francisco. Téraï plaqua son engin de sport, prêté par un ami, sur le terrain de la villa de cet ami, à quelques kilomètres, mais ne le roula pas dans le garage.

— Monsieur Laprade ! s’exclama le gardien, un Mexicain trapu. Il y avait si longtemps qu’on ne vous avait vu !

— Dix ans, Tonio ! Voici un mot de M. Jelinek pour vous.

Tonio le lut attentivement.

— Je dois me mettre à votre service. Parfait. Quels sont vos ordres ?

— Faire le plein des réservoirs et garder l’avion prêt à décoller. Et sortez un hélico du garage.

La réceptionniste était jolie.

— Je désirerais voir M. Henderson.

— Avez-vous un rendez-vous ? Non ? Mais alors c’est impossible ! Complètement impossible ! M. Henderson est un homme très occupé !

— Pas impossible pour moi, je pense. Veuillez simplement lui faire savoir que Téraï Laprade demande une entrevue d’urgence.

Elle eut un petit mouvement de recul. Il sourit.

— Ah ! je vois. Je suis le croquemitaine, ici. Allons, soyez gentille, téléphonez !

L’air dubitatif, elle se pencha vers le micro, parla, fit une mine surprise.

— Voulez-vous attendre ? On va venir vous chercher.

Il attendit, prenant un malin plaisir à lui lancer des regards si appuyés qu’elle rougit.

Téraï reconnut immédiatement l’homme qui entrait, bien qu’il ne l’eût jamais vu : vêtu d’un uniforme noir (Pourquoi, diable ! tous les dictateurs ou apprentis dictateurs choisissent-ils toujours des couleurs sombres ?), il était un peu plus petit que lui, mais peut-être encore plus large, avec une poitrine en tonneau d’où pendaient des bras interminables ; Gorilla Joe, le garde du corps favori de Henderson, tel que le lui avait souvent décrit Stella.

— Laprade ?

— Oui.

— Venez ici !

La pièce était petite. Derrière un bureau, un autre garde en uniforme noir attendait, revolver posé devant.

— Nous allons vous fouiller.

— Allez-y ! Je n’ai pas d’armes sur moi. Me croyez-vous naïf à ce point ?

L’ascenseur qu’ils prirent était étroit pour deux hommes de leur carrure. Gorilla Joe en profita pour lui souffler à l’oreille :

— Marche droit, toi, ou je te descends. Je ne demanderais pas mieux, tu sais !

— Ah oui ? Et pourquoi donc ?

La brute ne répondit pas.

Deux hommes armés veillaient devant la porte de Henderson. Ce dernier, le dos tourné, regardait pensivement par la fenêtre.

— C’est bon, Joe. Laisse-nous seuls.

— Mais, patron…

— Depuis quand me faut-il répéter un ordre ?

Subjugué, le gorille sortit.

Henderson était un homme d’une cinquantaine d’années, grand et maigre, légèrement voûté, aux cheveux déjà blancs, aux froids yeux bleus. Subitement, sa figure se détendit, et il sourit, d’un sourire charmant qui rappela Stella à Téraï.

— Asseyez-vous, monsieur Laprade. J’allais justement envoyer un mot à votre hôtel pour vous demander de venir me voir. Fumez-vous ? Prenez un de ces cigares : havane authentique, et non le produit d’une ferme hydroponique !

Téraï s’enfonça dans un fauteuil de cuir, croisa les jambes.

— Nous sommes ennemis, Laprade, ou plutôt vous êtes mon ennemi, car c’est vous qui avez déclaré la guerre. C’est dommage, et peut-être inutile. Qu’est-ce qui me vaut le plaisir de votre visite ?

— Vous savez que j’ai servi de guide à votre fille sur Eldorado.

— Oui, et je vous en remercie. Sans vous, elle n’aurait pu recueillir autant de documents, et ne serait sans doute pas revenue vivante. J’étais loin de me douter du véritable état des choses, quand je l’ai envoyée là-bas.

— Ainsi, vous avouez que vous l’avez envoyée ?

Henderson sourit.

— Voyons, Laprade, entre vous et moi, que signifieraient des mensonges ?

— Elle m’a bien roulé. Enfin, c’était de bonne guerre. Je désirerais savoir ce qu’elle est devenue, et si possible, la voir.

Henderson se pencha brusquement en avant.

— Vous l’aimez ?

— Moi ? Grand Dieu, non ! Mais nous avons été de bons camarades, et je suis inquiet pour sa santé…

— Elle va bien, ou plutôt ira bien d’ici peu, quand sa cure de repos sera finie. J’ai été criminel de lui confier cette mission, mais, comme je vous l’ai dit, j’ignorais… Quand elle est revenue, elle avait subi un tel choc nerveux, à la suite de tous ces massacres à Kintan…

Téraï se souvint de sa maîtrise d’elle-même au cours de cette nuit terrible. Nokombé avait sans doute raison. On l’avait mise hors circuit, et utilisé ses documents sans son accord.

— Elle sortira de la clinique dans une huitaine de jours. A ce moment-là, j’espère que vous nous ferez le plaisir de venir déjeuner avec nous.

— Je ne puis rester si longtemps. Quelle est l’adresse de cette clinique, j’aimerais lui envoyer quelques fleurs.

Henderson n’hésita qu’une fraction de seconde.

— Celle du Dr Yukawa, voyons ! C’est une charmante idée, et je suis sûr que cela lui fera grand plaisir. Mais, pour le moment, elle ne peut recevoir de visites, pas même de moi.

Mentalement, Téraï haussa les épaules. Inutile d’insister. La clinique du BIM était une véritable forteresse.

— Quel dommage que vous soyez obligé de repartir si vite. Mais peut-être pouvons-nous arranger ça. J’ai une proposition à vous faire. Comme je vous l’ai dit, vous êtes mon ennemi, mais je ne suis pas le vôtre. Je suis persuadé que tout dérive d’un malentendu, et que nous gagnerions l’un et l’autre à finir ces hostilités. Vous m’avez porté de rudes coups, mais moi, jusqu’à présent, je vous ai ménagé. Vous avez fait échouer mes plans, vous avez tué un de mes meilleurs agents…