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Téraï tendit le bras, saisit le garçon par le revers de la veste, l’attira vers lui. L’autre se débattit, essaya de le frapper au visage. D’un revers du bras, Téraï l’envoya contre le mur. Le garçon saisit une matraque, s’arrêta net, les yeux fixés sur les deux revolvers de Téraï.

— Alors, vas-tu me servir, oui ou non ?

— Qu’est-ce que c’est ? coupa une voix. Ah bon, ça va, Tom ! Baissez vos armes, Téraï. Vous n’en avez pas besoin ici !

Le géant se retourna.

— Je savais bien que si je faisais un peu de boucan, vous arriveriez. Comment va, Taylor ?

— Euh ! comme ci, comme ça. Quel bon vent vous ramène ici, après tant d’années ?

— Quelques achats à faire.

— Matériel minier ?

— Uh uh ! Où pourrait-on vous parler en privé ?

— Mon bureau. Venez.

Taylor enfila une porte au bout du bar, lui faisant signe de le suivre. La pièce, aveugle, était confortablement meublée.

— Qu’est-ce qui vous a pris de faire du chahut ainsi ? Pas votre genre, ou alors vous avez bien changé. Scotch ? C’est du vrai.

— Volontiers. Oui, j’ai changé, Jake. J’ai vieilli. J’avais besoin de vous voir, aussi, et je ne connais plus les mots de passe.

— Besoin de moi ?

— Oui, sans doute.

— Le vieux Jake paye toujours ses dettes. Surtout une dette comme celle-là. Parlez.

Téraï rejeta le souvenir d’un geste. Onze ans plus tôt, son témoignage avait sorti Taylor d’une sale affaire montée par un chef de bande rivale et ce malgré les menaces dont il avait été l’objet. Tout s’était terminé, après l’acquittement, par un règlement de comptes de dix minutes, qui avait fait sept morts.

— Voilà. Il me faut un capitaine pas trop scrupuleux, mais hardi pour transporter des armes jusqu’à Eldorado.

Taylor siffla.

— Bigre ! Mais c’est qu’il y a le BIM, là-bas !

— Oui.

— Non pas que je ne serais enchanté d’aider à leur jouer un sale tour ! Mais ils ont leurs croiseurs, et si votre homme est pris… Trafic d’armes pour un monde de liste B, ça va chercher la pendaison, ou au moins le lavage de cerveau !

— J’ai mon éclaireur armé, je l’escorterai.

— Un capitaine indépendant, pas trop scrupuleux, mais hardi ? Ça peut se trouver ici, naturellement, mais ça va vous coûter cher.

— M’en fiche. J’ai de l’argent.

— Assez ?

— Dix fois trop !

— Alors, je ne dis plus rien. Pas de questions, vos affaires sont vos affaires, et si vous voulez organiser de grandes chasses au fauve là-bas, ce sont vos oignons. Voyons… Red Jones ? Non, il est au diable actuellement. Ted Larkins ? Sa baille n’est pas assez rapide. Kasimir Krukowski ? Aux dernières nouvelles il s’est fait pincer sur Logalo. J’espère que c’est un faux bruit… Ah, Dom Flandry. Son Eclair méritait son nom autrefois, et je sais qu’il l’a bien entretenu. Il n’y a pas longtemps qu’il hante ces parages, cependant, mais je le crois régulier.

— Français ?

— Oui, ou peut-être bien Canadien. Quelle importance ?

— Aucune en effet. Quand puis-je le rencontrer ?

Taylor consulta sa montre.

— Il est huit heures trente. Il sera au bar vers dix heures et demie. Vous pouvez l’attendre tout en dînant. Nous avons un spectacle pas mal du tout, actuellement, et je suis sûr que Flandry viendra le voir. Bien entendu, votre dîner et vos consommations sont sur la maison !

Téraï regardait distraitement la scène. A un numéro de strip-tease qui avait déchaîné le tumulte dans la salle maintenant pleine avaient succédé des jongleurs de bonne qualité, puis des équilibristes assez minables. Le rideau se referma, l’annonceur parut.

Ladies and gentlemen… Téraï sourit. Les ladies and gentlemen étaient, dans leur majorité, d’un genre assez particulier… nous avons maintenant le privilège de vous présenter notre rossignol, Jane Partridge, l’idole des astronautes, des mineurs, des traders, de l’Univers entier ! Jane de retour sur Anglia après une tournée triomphale sur Télon, Barra, Sulphur et Brunschwig, va vous entraîner avec elle sur les routes de l’espace et des planètes vierges ! Voici Jane dans son tour de chant : Songs of the space-ways !

Il disparut. Le rideau s’ouvrit sur un décor d’astroport où se dressaient des spationefs aussi étranges, démentielles, les unes que les autres. La chanteuse parut. Un piano caché commença l’accompagnement.

— We came on the starship John B. My grandfather and me Round New Sheffield we did roam…

Téraï sursauta. Il connaissait cette chanson ! Stella la lui avait chantée. Ou plutôt non, c’était une autre version, sur le même air, et les paroles étaient très peu changées. Il n’eut pas de peine à rétablir l’ancien texte, à substituer sloop à starship.

Quel culot, pensa-t-il, amusé.

La voix était agréable, et, après tout, les bardes inconnus qui avaient créé les chansons folkloriques n’avaient pas souvent fait autre chose que modifier les airs ou les paroles de chants plus anciens pour les adapter.

This is the worst trip since I have been born !

La salle applaudit, la chanteuse s’inclina, commença une autre chanson. Sous la lumière crue d’un projecteur, elle paraissait frêle, jeune, jolie, avec ses longs cheveux noirs dénoués retombant sur le maillot collant d’astronaute qui lui servait de costume.

–… and from Sirius to Albireo and I never tried to save no money and now I have no place to go-o and now I have no place to go !

Téraï se sentit mélancolique, bercé par la mélodie, la voix fraîche et sourde à la fois. Stella avait chanté cette chanson aussi – il s’agissait alors de chemin de fer – il y avait si longtemps, semblait-il, un soir sur l’Iruandika. Lui, Téraï, avait de l’argent, des masses d’argent, mais, tel le vagabond de la chanson, il ne savait où aller, maintenant que Laélé était morte, et qu’Eldorado allait se transformer en enfer.

Jane Partridge continuait, égrainant devant son auditoire naïf et brutal les vieilles chansons de pionniers d’un continent d’un autre monde, d’un monde que beaucoup d’entre eux n’avaient jamais vu. Téraï les reconnut à peu près toutes, sous leur déguisement du vingt-troisième siècle. Les transformations étaient souvent légères, mais parfois l’adaptation était totale, et il ne subsistait plus que l’air, ou même le rythme. Si elle avait fait ces adaptations elle-même, comme il était possible, elle devait posséder un certain sens poétique, et une bonne connaissance de la musique. Subitement, il eut envie de la connaître. Le tour de chant s’achevait. Il appela du geste un garçon.

— Est-il possible de rencontrer cette jeune femme qui vient de chanter ?

L’homme eut un sourire égrillard.

— Difficile, monsieur. Demandez plutôt Pearl Suntshine.

— La strip-teaseuse ? Non !

— Monsieur n’aime pas les blondes ? Comme monsieur voudra. Par ici, je vais vous conduire à un salon privé, et j’irai demander. Mais jusqu’à présent jamais miss Partridge n’a accepté d’invitations.

— Ah ? Bon, dites-lui que je suis venu par le sloop John B. et que j’ai pris ensuite un Red Ball train. Si cela ne la décide pas, tant pis !

Téraï s’assit dans un confortable fauteuil. Taylor entra.