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— Dangereux, ça, Laprade.

— Quoi donc ?

— Elle travaille pour Big Mouth Stephen.

— Ah ? Qui est ce gentleman ?

Taylor eut l’air gêné.

— Le grand patron des spectacles, ici, à New Sheffield. Un dur.

— C’est sa maîtresse ?

— Non, je ne crois pas. Big Mouth aurait plutôt un faible pour les blondes bien en chair. Mais il n’aime pas qu’on interfère avec son personnel qu’il tient, dit-on, presque en esclavage.

— Ça, je m’en fous, mon vieux ! J’ai deux mots à dire à cette fille, c’est tout. Demain, je serai parti, ou après-demain au plus tard.

— Alors… Enfin, je vous aurai averti.

— Vous avez la frousse ?

— Moi ? Il en faudrait d’autres ! Mais ce serait un mauvais business. J’aime que les balles que je tire me rapportent !

— Ne vous tracassez pas ! Filez, la voilà.

Jane Partridge, en robe noire, hésitait sur le seuil.

— Vous voulez me voir ?

Il y avait de la crainte dans ses yeux.

— Entrez, asseyez-vous. Et pour vous mettre à l’aise, laissez-moi vous dire que je n’ai aucune intention malhonnête à votre égard, que j’ai aimé votre tour de chant, et que j’ai quelques questions à vous poser.

Le visage fin se ferma encore plus.

— Ah, vous êtes de la police ?

Téraï éclata de rire.

— Non, je vous l’assure ! Je voulais simplement vous féliciter pour votre talent d’adaptation de ces vieilles chansons terrestres. Vous êtes Terrienne, n’est-ce pas ?

— Oui, de Philadelphie.

— Votre âge… voyons, 22 ? 23 ans ?

— 24. Pourquoi ?

— Parce que vous possédez le même répertoire qu’une amie, qui est Terrienne, d’Amérique du Nord, et qui a aussi 24 ans. Je me suis demandé si vous ne le tiriez pas de la même source, un club d’étudiants de Chicago spécialisés dans le folklore.

Elle rougit profondément.

— Peut-être, dit-elle enfin. Mais ne le dites pas, je vous en prie ! Mon patron croit que j’invente ces chansons ! Elles plaisent, vous savez, et ainsi je suis un peu mieux payée, et un peu plus libre !

— Est-ce vrai, ce qu’on raconte sur Stephen, qu’il tient ses employés en esclavage ?

Elle eut un geste.

— Oui et non. Il ne cherche pas à en tirer avantage pour… pour ce que vous pensez. Mais j’ai un contrat de sept ans. Encore six ans à tirer.

— Bon, ce contrat ?

— De quoi vivre.

— Et pourquoi l’avez-vous signé ?

— Vous êtes bien curieux ! Enfin, je vais vous le dire : pour ne pas mourir de faim. Je suis venue ici en touriste, avec un voyage d’étudiants, payé par le gouvernement. J’ai manqué l’astronef, je me suis trouvée ici sans un sou. Vous connaissez Anglia ?

— Oui, c’est une planète dure pour ceux qui n’ont pas d’argent. Pas de parents ?

— Orpheline, sans fortune. J’ai cherché du travail, trouvé cette place. C’était ça ou le trottoir. J’ai craint un moment que ce ne fût ça et le trottoir !

— Mais les organisateurs du voyage ?

— Oh, ils m’ont écrit, même envoyé quelque argent de leur escale suivante ! Trop tard, j’avais déjà signé !

— Etudiante en quoi ?

— Sociologie.

Téraï soupira. Dans ce cosmos impitoyable, qui se soucierait d’une petite étudiante en sociologie qui avait disparu ?

— Vous auriez pu vous marier ?

— Le contrat l’interdit. Le dédit serait énorme !

— Etes-vous fatiguée ? J’ai une affaire à traiter dans quelques minutes, mais ensuite j’aurais aimé parler encore avec vous, en tout bien tout honneur. Que diriez-vous d’une tournée dans les boîtes chic ?

Elle eut un petit sourire las.

— Le contrat l’interdit !

— Ouais, c’est bien de l’esclavage ! Et de combien est cet énorme dédit ?

— Dix mille dollars !

Téraï fit claquer ses doigts dédaigneusement.

— Enorme pour vous, une poussière pour moi. Tenez !

Il tira de sa poche son chéquier, fit rapidement deux chèques.

— En voici un de dix mille dollars, que vous ficherez à la figure de Big Mouth. En voici un autre de 40 000, pour vous permettre de revenir sur Terre et d’y achever vos études.

Elle le regarda, effrayée.

— Prenez donc ! Je sais que le Véga part demain pour la Terre, via Tellus et Skana, et qu’il y a des places libres.

— Mais je ne peux pas !

— Vous avez peur qu’ils soient sans provision ? Je pourrais en signer dix autres aussi gros, et ne pas m’en apercevoir ! Demandez à Taylor, si vous ne me croyez pas. Il vous dira que la signature de Téraï Laprade vaut bien plus que cela !

— Mais pourquoi me donnez-vous cet argent ? Et que me demanderez-vous en échange ?

— Parce que, en chantant ces chansons, vous avez remué en moi quelque chose de douloureux et de doux à la fois, parce que, bien que je ne le connaisse pas, je suis sûr que Big Mouth Stephen est un mufle, et que ça m’amuse d’em… nuyer les mufles, parce que, bientôt, je n’aurai plus besoin d’argent, et surtout parce que je suis Téraï Laprade. Quant à vous demander quelque chose en échange, vous êtes jolie, miss Partridge, mais croyez-vous valoir 50 000 dollars ?

— Je ne sais si je dois accepter cette charité, dit-elle d’une voix sourde.

— Ne parlez pas de charité, miss. Quand j’ai débuté, j’étais aussi bas que vous, mais j’étais un homme. J’ai eu la chance de faire fortune, une fortune que même les dépenses énormes que je viens de faire n’ont pas réussi à épuiser. Prenez, et si la chance vous sourit à votre tour, eh bien ! vous en ferez profiter un autre déshérité. Alors, à tout à l’heure ! Entendu ?

A peine était-elle sortie de la pièce que Taylor revint, accompagné d’un homme de haute taille, brun, vêtu avec élégance et même recherche. Le visage maigre, fin, presque trop régulier, avait une expression rêveuse, que démentaient deux yeux gris, perçants, durs.

— Téraï, voici le capitaine Flandry. Je pense que, mieux que quiconque, il fera votre affaire.

Taylor se retira. Un moment, les deux hommes s’examinèrent, se jaugeant, comme un tigre peut évaluer un rhinocéros.

— Vous avez une astronef ? Quelle classe ?

— Type Altaïr.

— Si vieille que ça ?

— Vous serez surpris de la vitesse que j’en tire. Rien n’interdit de monter des moteurs neufs sur une vieille coque. D’ailleurs, si le type est désuet, la coque est neuve. L’Eclair fut la dernière astronef de ce type construite, et quand je l’ai achetée, elle n’avait fait que deux traversées. C’est quelquefois utile, dans mon métier, d’avoir la vitesse d’un croiseur avec un aspect de cargo.

— Votre équipage est sûr ?

Flandry eut un mince sourire.

— Pour un banquier ou une chorus-girl, il serait peut-être dangereux de prendre passage à mon bord. Pour ce qui semble être votre but, il conviendra.

— Vous êtes prêt à risquer le lavage de cerveau ou la pendaison ?

— Tout dépend du prix.

— Trois cent mille dollars.

— Mettons quatre.

Téraï haussa les épaules.

— Quatre si vous voulez ! Je m’en moque. Affaire faite.

— J’aurais dû demander cinq ! Bah, l’argent n’est qu’une commodité.

— Vous pourrez acheter une autre astronef, ou vous retirer…

— Comme le chantait tout à l’heure miss Partridge, quand la fièvre errante vous a pris…

— Aventurier ?

— Oui, mon frère !

— Peut-être. Bon, soyez prêt à commencer le chargement après-demain, à l’aube. Aire 41.