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— Allez vous faire plumer, les gars, si ça vous amuse. Moi, je reste ici avec votre reine !

Il se pencha vers elle, dit à voix basse :

— Les jeux sont truqués. Je commence à en avoir assez de voir les pauvres bougres qui ont trimé un an dans la brousse se faire dévaliser. J’ai décidé que cela cesserait. Vous allez avoir un bel article à faire pour votre canard… Deux Fleurs du Désert, lança-t-il à la serveuse qui approchait. Quand ça va barder, planquez-vous sous la table, il est rare que les balles passent aussi bas. Et attendez que je vous appelle pour vous relever !

— Qu’allez-vous faire ?

L’alcool tournait dans sa tête, les miroirs jetaient des feux giratoires, la salle s’embrumait ; seule, au premier plan, la face cruelle de Téraï conservait sa netteté.

— Vous le verrez ! Tenez, prenez ça, ça vous remettra, en attendant les cocktails.

Il avait tiré de sa poche une petite fiole, dévissé le bouchon métallique, l’avait rempli, et le lui tendait. Elle but. Le liquide, doré, avait une saveur acre et forte.

— Pouah !

— Buvez ! Comment croyez-vous que je garde ma tête, avec tout cet alcool ? Je suis solide, mais pas à ce point !

Au bout d’un moment les fumées de l’alcool se dissipèrent. Elle était seule à sa table, devant un verre plein. Téraï se tenait debout près d’une table de jeu, le dos tourné vers elle. Un homme se glissa dans le siège vide.

— Me permettez-vous de m’asseoir un instant, mademoiselle ? Je me présente : Jonathan Gale, propriétaire du « Paradis sur Terre ». Je ne vous ai encore jamais vue. Nouvelle arrivée ?

Elle se tourna vers lui, vit une face longue et mince, aux yeux pâles et froids.

— Hier soir.

— Cherchez-vous du travail ?

— Non. Merci.

— Puis-je vous donner un conseil ? Méfiez-vous de cette grande brute de Laprade. Ce n’est pas un homme pour une femme comme vous, fine, gracieuse, distinguée…

— Ne vous donnez pas cette peine ! Je connais M. Laprade depuis quelques heures seulement, et mon intérêt pour lui est tout professionnel… Oh, je veux dire journalistique !

Les yeux froids se durcirent.

— Vous êtes journaliste ?

— Oui, à l’Intermondial.

Eh bien ! je vous souhaite de faire un reportage coloré. Terrienne ?

— Oui.

— Notre boutique vous choque, sans doute ?

— Non. C’est un mal nécessaire, ou plutôt inévitable sur les planètes frontières. Nous avons eu la même chose autrefois, sur Terre.

L’homme eut un mince sourire.

— Autrefois ? Vous semblez mal renseignée, pour une journaliste.

— Oh ! je sais bien que dans les bas quartiers de nos villes… et même dans d’autres quartiers. Mais on n’y joue plus guère du revolver.

— Et qui vous fait penser que chez moi on en joue ? J’ai une équipe qui aurait vite fait de désarmer ceux qui voudraient s’amuser trop bruyamment ici !

— Personne. Je croyais…

— Oh ! je ne dis pas qu’ailleurs… Au Chien Jaune. Ou au Cheval Noir, ou autres lieux que fréquente habituellement Laprade… Mais pas ici. Vous ne risquez rien. Vous permettez ? Je crois qu’il se passe quelque chose, près des tables. Bien entendu, votre verre est sur la maison !

La voix de Téraï venait de s’élever, tonnante :

— Attention, Mac, il triche !

Le silence tomba sur la salle. Négligemment appuyé contre une colonne, Téraï désignait de sa pipe le croupier du jeu de tridun. Trois durs se détachèrent de la muraille, vinrent lentement se disposer autour du géant. Mac, un jeune homme mince, jeta ses cartes sur la table.

— Le fils de putain ! Pas étonnant alors que je perde toujours quand le pot en vaut la peine !

Il recula, bousculant sa chaise, porta la main à sa ceinture. Un des durs tira, d’un mouvement si rapide qu’il en fut invisible. Le poignet traversé, Mac jura. Tout le monde était immobile, attendant. Téraï, doucement, remit sa pipe à sa bouche.

— Tu as eu tort, Mac, fallait pas t’exciter comme ça, dit-il calmement dans le silence.

L’instant d’après, il n’était plus là. S’appuyant sur la colonne, il sauta d’un bond sur la table, arrachant d’un double fouetté ses deux revolvers de sa ceinture. Les deux coups se confondirent, le dur n’eut pas le temps de lever le canon de son arme avant de s’effondrer, front troué. D’un coup de botte, Téraï écrasa la face du croupier, tira à nouveau, sautant à terre.

— Allez-y, les gars ! Foutez-moi le feu à cette boîte !

Un instant ahuris, les prospecteurs poussèrent une clameur de joie sauvage, sortant leurs armes, cassant les chaises sur la tête de hommes de main accourus. Déjà, l’un d’eux brandissait une torche de papier enflammé, tandis que d’autres brisaient à grands coups les bouteilles d’alcool et en aspergeaient les murs et le comptoir. Blêmes, en haut de l’escalier conduisant aux chambres, une dizaine de filles agglomérées hurlaient.

— Craaaa !

Une rafale de pistolet mitrailleur partit du fond de la salle, coupée brutalement par le claquement sec d’un fulgurateur. Téraï semblait invulnérable. Toute sa force géante déployée, il dominait la mêlée, ses poings s’abattant sur les crânes, assommant les hommes de renfort qui arrivaient par les portes. Une fois, dressé de toute sa hauteur, il projeta au-dessus des têtes un homme qui vint s’écraser avec un bruit mou sur le dallage, à deux pas de Stella. Ahurie, elle regardait sans voir le sang qui s’étalait largement sous le corps. Téraï l’aperçut.

— Qu’est-ce que vous foutez debout ! hurla-t-il, cessant pour un instant de marteler la face sanglante qui sortait de sous son bras gauche. Planquez-vous, nom de Dieu !

Revenant à elle avec un sursaut, elle se rappela les balles qui avaient sifflé à ses oreilles pendant sa transe, agrippa le bord de la table pour passer en dessous. Elle n’en eut pas le temps. Deux bras vigoureux la saisirent par-derrière, et la voix de Jonathan Gale cria :

— J’ai votre poule, Téraï ! Arrêtez, ou je la saigne !

Le géant rejeta la loque humaine, hurla :

— Arrêtez, tous !

Le silence tomba. Péniblement, quelques blessés essayèrent de se dresser au milieu des cadavres.

— Couvrez mon dos. Toi, Jonathan, lâche cette fille. Je n’avais pas l’intention de te tuer, simplement de t’apprendre qu’on ne plume pas impunément les broussards avec des jeux truqués. Mais si tu insistes, je peux changer d’avis.

Il avançait doucement, pas après pas.

— Arrête, Téraï !

La pointe d’un couteau entra dans la chair de Stella, qui cria.

— Je te donne vingt secondes, Jonathan. Vingt secondes ! Si tu la tues, ce n’est pas moi qui aurai ta peau, Jonathan ! Je te confierai à Léo. Tu connais Léo, n’est-ce pas ? Il aime beaucoup s’amuser, Léo ! Une… deux… trois…

— Tu bluffes, Téraï ! Tu ne feras rien tant que je la tiendrai, et je n’ai pas l’intention de la lâcher ! Vous autres, désarmez cette bande ! Et éteignez ce feu !

— Dix… onze… douze…

Affolée, Stella comptait elle aussi les secondes, persuadée que ni l’un ni l’autre ne reculerait, que Jonathan n’hésiterait pas à l’égorger, cherchant désespérément à se rappeler cette prise que Matsumoto, son camarade d’université, lui avait enseignée.

— Dix-sept… dix-huit…

Le géant avança encore d’un pas. Stella sentit se raidir le bras qui la tenait.