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— C’est une menace, Eenko ?

— Un avertissement, Rossé Moutou !

Téraï sentit monter en lui la fureur terrible de l’homme qui voit tous ses efforts risquer d’être anéantis par le fanatisme.

— Réfléchis bien à ce que tu dis, Eenko ! Stella est sous ma protection. Qui l’attaque, m’attaque !

— Tu es fou, Rossé Moutou ! Elle t’a ensorcelé par des herbes magiques ! Tu prends le parti de notre ennemie, de celle qui a causé la mort de ta femme, ma sœur ! De celle qui appartient à la race maudite des hommes venus du ciel !

— J’y appartiens également, ne m’en fais pas trop souvenir ! Il est d’autres peuples sur Obala que les Ihambés ! Mais non, je suis sûr que le conseil m’écoutera, et que toi-même, tu comprendras que…

— Jamais ! Puisqu’il en est ainsi, que se brise notre amitié comme se brise cette lance !

Il saisit la frêle hampe, la rompit par le milieu, jeta les morceaux aux pieds de Téraï.

Oko Sakuru ! Par Tinaï, Tan, Antafarouto, moi, Eenko Téné, je déclare tranchés les liens du sang et de la piste !

Téraï se pencha, infiniment triste, ramassa le bout portant la pointe, le piqua dans le sol devant lui.

— Soit. Oko Sakuru ! Que le sang de ceux qui mourront retombe sur ta tête, ô fou qui n’écoute que ta haine ! Une fois la guerre terminée, si nous sommes encore vivants tous les deux, nous combattrons devant les anciens ! Mais, que tes dieux t’étouffent, si tu touches à Stella, je te fais chasser à coups de fouet comme un chien par tous les guerriers ! Maintenant, file, et si je te vois à moins de vingt mètres de cette porte, je lâche Léo sur toi !

Téraï dormait, enroulé dans ses couvertures, devant la porte de la grotte où reposait Stella. Léo gronda doucement. Immédiatement, il fut sur pied, arme à la main.

— Ah, c’est vous, Flandry ? Qu’y a-t-il ?

— Rien, je passais. La nuit est trop belle pour dormir.

Il désigna d’un geste la vallée, sur laquelle les trois Lunes poussaient des ombres mouvantes sur la mer des herbes.

— Puisque vous êtes là, asseyez-vous près de moi. J’ai à vous parler.

— Que s’est-il passé ce soir ? Vous aviez l’air de discuter ferme avec le grand sauvage.

— Il fut mon beau-frère, Flandry, et il est maintenant mon ennemi.

Téraï expliqua.

— Mauvais ça. C’est un chef, je pense.

— Oui, mais cela n’a pas d’importance. C’est une affaire entre lui et moi, qui se réglera plus tard. Pourquoi m’avez-vous menti, Flandry, et quel est votre jeu ?

— Moi, menti ?

— Oui, vous m’avez affirmé avoir quitté la Garde il y a cinq ans, et être hors-la-loi sur Terre, et Stella vous y a vu il y a deux ans, comme commandant de flottille !

Flandry fit la grimace, puis éclata de rire.

— Aï ! J’avais couvert mes traces sur Anglia, et je n’ai pas pensé qu’un Terrien, surtout pas miss Henderson, qui me connaît, arriverait ici ! Soit, bas les masques !

Il fouilla dans sa poche, en tira une carte.

— Voici. Colonel Flandry, Services secrets de la Garde ! Nous aussi, nous nous inquiétons des ambitions du BIM, Téraï. Aussi, depuis deux ans – c’est deux ans en effet, et non cinq – je suis hors-la-loi « pour avoir filé avec la paye de la flottille ». Ce que la Garde ne pouvait faire – démolir de temps en temps un cargo automate du BIM – des pirates pouvaient le faire. A leurs risques et périls, d’ailleurs. Mais j’avoue que j’aime mieux votre plan.

— Et cela vous amuse de jouer au conspirateur ?

— Oui et non. Mais, voyez-vous, Téraï, il y a toujours eu un Flandry dans l’armée ! Un de mes ancêtres a combattu à Crécy – je ne sais plus de quel côté, ma famille ayant oscillé longtemps entre la France et l’Angleterre avant de se fixer en partie au Canada au XIXe siècle. Il y a eu des Flandry dans l’équipage de Jean Bart, et d’autres à Waterloo – chez les Anglais, ce coup-là. Un fut tué à Dunkerque, dans l’armée française, en protégeant le rembarquement d’un Flandry canadien. C’est dans le sang. Et je crois que dans le futur, quand la Terre aura fondé pour de bon son empire galactique, il y aura des Flandry dans l’armée ou la flotte, et je puis même parier que l’un d’entre eux s’appellera Dominique. Nous avons toujours manqué d’imagination pour donner des prénoms à nos rejetons ! Et tous cyniques, bagarreurs, coureurs de jupons, et terriblement sentimentaux. Tout comme vous !

Téraï rit.

— Et votre but, ici et maintenant ?

— Je vous l’ai dit. Vous aider. Que ce soit à titre personnel, pour venger mon frère, ou que ce soit en tant que colonel des Services Secrets, quelle importance cela a-t-il pour vous ? Une question, si vous le permettez. Dans cette guerre, vous ne semblez pas vouloir utiliser votre astronef. Pourquoi ?

— Avec elle, je pourrais évidemment détruire Port-Métal en dix minutes. Mais cela serait considéré sur Terre comme un simple acte de piraterie, et ne prouverait nullement que les indigènes me soutiennent. Je crois qu’il vaut mieux ne pas m’en servir pour le moment. Si les choses tournaient trop mal…

CHAPITRE VI

LA DERNIERE BATAILLE

L’armée ondulait sur la savane, Kénoïtes armés de fusils en tête, précédés d’éclaireurs ihambés aux longs arcs ou aux courtes carabines. Derrière, barrissant, les bishtars domestiques de Kéno traînaient les charrettes portant les armes lourdes. Tous les dix chariots, un avait été aménagé en plate-forme de tir antiaérien, hérissé de mitrailleuses, ou de fusées et de leurs commandes de radio-guidage, que maniaient les prospecteurs. Puis, en arrière-garde, le gros des Ihambés, encadrant les wagons de ravitaillement.

Du haut d’une éminence, Téraï, Flandry et Stella, et leurs dix gardes du corps kénoïtes regardaient défiler l’armée.

— Nous allons traverser la savane des Mihos, qui ne nous chercheront certainement pas noise, passer à l’est des monts Tombou, puis rejoindre la vallée du Nianga, qui nous conduit tout droit à Port-Métal. J’aurais préféré vous laisser au camp, Stella, mais je n’ose pas. Eenko a disparu avec une vingtaine de guerriers. C’est la première fois que je vois un Ihambé violer les règles de l’Oko Sakuru ! Je n’aime pas ça ! Quand mes dix mille hommes seront arrivés aux grottes de Boro-Orok je partirai en avant avec seulement un petit groupe, en reconnaissance.

— Mais pourquoi ? N’est-ce pas dangereux ?

— Il faut que je voie si le croiseur du BUX est arrivé. Dans ce cas, tout peut se passer sans effusion de sang. Je conduirai le commandant aux grottes, il pourra voir que nous sommes prêts à engager une guerre réelle, et alors, charte large ou pas, il déclarera la planète en quarantaine, et le BIM ne pourra rien contre l’opinion publique terrestre, qui ne veut plus de guerres coloniales ! Nous serons isolés pour dix ans au maximum. D’ici là, le BUX… enfin, d’ici là bien des choses se passeront.

— Et si le croiseur n’est pas là ?

— Dans ce cas, il faut que je me rende compte moi-même des défenses ennemies. Leurs transports de troupes sont-ils arrivés ou non ? Et puis, j’ai quelques amitiés dans la ville, à l’usine, parmi les techniciens. Cela peut être utile, mais il me faut prendre contact avec eux. Tout cela est improvisé, Stella. Je ne suis pas Napoléon, je vous l’ai déjà dit, et tous mes plans ont été bouleversés ! Je manque désespérément d’un bon service de renseignements. J’ignore ce qui se trame à Port-Métal. Heureusement, ils ne semblent pas mieux renseignés que nous, et ignorent probablement encore que j’ai une armée, et qu’elle est en marche !