Выбрать главу

— Cessez le feu ! Cessez le feu ou nous tirons !

Le feu cessa.

Téraï se releva. Deux hommes en uniforme bleu soutenaient Silver, blessé aux jambes. Là-bas, en face, une douzaine de formes humaines immobiles jonchaient le sol, à côté de sacs de sable éventrés et de mitrailleuses tordues. Alors, il pensa à Léo.

Il gisait sur le sol, yeux fermés, tête allongée sur les pattes de devant, et une flaque de sang sortait de sous son ventre. Téraï se rua :

— Léo, vieux copain ! Ils t’ont tué !

Il se pencha. Le lion respirait encore, mais, sur son flanc droit, une bande de points rouges marquait l’entrée des balles.

— Léo ! Nom de dieu, ils me le payeront !

Il s’accroupit, passa la main sous la mâchoire. Les grands yeux jaunes s’ouvrirent, pesamment, déjà vitreux, puis se fermèrent à jamais. Téraï reposa doucement la tête, glissa ses doigts dans la rude crinière, en ultime caresse.

— Dors, Léo, vieux copain ! Nous en avons vu ensemble, de belles batailles… Dors en paix, vieux, tu seras vengé. John, Patrick ! Filez à l’armée, donnez l’ordre d’attaquer ! D’ailleurs, ils ont dû entendre les coups de feu, et doivent être déjà en route. J’arrive, rien qu’un petit compte à régler. Passe-moi ta mitraillette !

Là-bas, les spatiaux avaient désarmé les hommes du BIM, les avaient groupés sous la garde de deux soldats. Téraï s’avança vers eux, le meurtre aux yeux.

— Téraï ! Où vas-tu ?

Silver était assis sur une caisse, jambes bandées.

— Régler un compte.

— On ne tire pas sur des hommes désarmés ! D’ailleurs, il y a eu assez de morts aujourd’hui.

— Quand on écrase une vermine, ce n’est pas un crime !

— Tu n’as pas à faire la loi. S’il y a vermine, c’est à moi de l’écraser ! Ne complique pas ma tâche, ne me force pas à te considérer toi aussi comme un ennemi de l’ordre !

— Une menace, Jack ?

— Non, Téraï. Pas de menaces entre nous, tu le sais bien.

— Tu aurais mieux fait d’intervenir plus tôt.

— Eh, que n’es-tu entré en contact avec moi ? Depuis deux jours je cherche à te joindre par radio.

Téraï haussa les épaules.

— J’étais en route ! Ils ont eu la charte large. Tu sais ce qui me reste à faire, si je veux sauver ce monde de leurs griffes. Montrer que cette charte large signifie la guerre !

— Non ! Assez de sang ! D’ici un an, nous serons assez forts pour écraser le BIM, tu le sais.

Ah, on t’a mis au courant du grand plan ? D’ici un an, que restera-t-il d’Eldorado ? Ce que tu ne connais pas, c’est le plan des autres ! Le génocide, tout simplement. Vous arriverez trop tard, comme toujours !

— Qu’en sais-tu ?

— Stella Henderson, la fille du Directeur général, mais oui, me l’a révélé, et prouvé. Elle est là, avec mon armée. Pourrais-tu assurer sa protection, pendant la bataille ?

— Oui, bien sûr. Mais si ce que tu m’as dit est vrai, alors c’est tout de suite que nous pouvons faire révoquer la charte large, et…

Une violente explosion lui coupa la parole. Des gravats jaillirent vers le ciel, devant le tank. Puis, deux gerbes de fumée surgirent dans la direction de l’astroport.

— Voilà ta réponse, Jack ! Va, abrite-toi derrière les règlements ! Eux tirent depuis leurs usines, et moi, moi, je vais combattre avec mon armée ! Je t’enverrai Stella avec une escorte ! Au revoir, Jack, ou adieu, qui sait ! Venez, vous autres !

Stella avait suivi des yeux la haute silhouette de Téraï aussi longtemps qu’elle l’avait pu, puis il avait disparu entre les arbres. Alors avait commencé l’attente.

L’armée était arrivée, éclaireurs en tête, avait établi des batteries près de son poste d’observation. Les Ihambés étaient en bas de la colline, prêts à se ruer à l’assaut de la ville, tandis que les fantassins kénoïtes se déployaient sur les pentes. A la jumelle, tout semblait normal en bas, sauf une ligne d’hommes en avant des portes de l’astroport, entassant des sacs de sable en redoutes. Un géant parmi eux attira son attention, elle reconnut Gorilla Joe, et, dès ce moment, sut qu’une tragédie était inévitable.

— Nous ne pouvons rester là, Téraï va se faire tuer, dit-elle à Laurent, le prospecteur resté avec elle.

Il eut un geste d’impuissance.

— Le chef a dit d’attendre, jusqu’aux premiers coups de feu.

— Mais il risque sa vie !

— Ne le faisons-nous pas tous ?

Des femmes et des enfants arrivèrent de la ville, accompagnés de quelques hommes sans armes : les prospecteurs que les messagers de Téraï avaient pu toucher. Ils donnèrent les nouvelles : les usines avaient été fortifiées, il y avait de l’artillerie, les rues étaient minées.

Alors elle se rongea encore plus, maudit l’insouciance de Téraï, la soif de pouvoir de son père, sa propre conduite.

— S’il meurt… Je ne lui ai même pas dit que je l’aime !

Puis, sur la place, devant l’astroport parut la haute silhouette de Téraï. Elle le vit traverser, son lion sur ses talons, s’arrêter en face de Gorilla Joe. De si loin, même avec ses puissantes jumelles, elle ne put pas suivre les détails du drame, le vit s’aplatir à terre, le crut tué. Quelques secondes plus tard parvint le bruit des détonations. Elle se cacha les yeux de ses mains.

— Il est vivant, mademoiselle ! Il est vivant !

Laurent la secouait.

— C’est fini ! Les spatiaux sont intervenus ! Que devons-nous faire ? Attaquer ?

Elle regarda, essuyant ses larmes.

— Non, attendez ! Si on ne se bat plus, peut-être…

Une détonation lui coupa la parole : un des canons de l’usine venait de tirer.

— Allons, ce n’était qu’une trêve ! Fais comme il a dit. Et descendons vers la ville.

Déjà les canons légers bombardaient le coin de l’astroport où reposaient les transports de troupes du BIM.

Ils se retrouvèrent au coin d’une rue, après une brève et féroce bataille qui avait opposé prospecteurs et Kénoïtes aux défenseurs d’une barricade. Téraï avait sa figure des mauvais jours, dure et fermée.

— Ils ont tué Léo, Stella. J’ai perdu mon meilleur ami ! Il est mort en me défendant, mais je le vengerai, bon Dieu !

— Téraï ?

— Oui ?

Elle parla en français.

— Ne soyez pas trop sauvage ! Certains des hommes qui sont là-bas ne sont pas mauvais ! Ils obéissent à leurs ordres…

Il eut un sourire amer.

— J’essayerai de m’en souvenir. Avant de faire donner l’assaut aux usines, j’enverrai un parlementaire, pour vous faire plaisir. Je vais vous donner une escorte qui vous conduira jusqu’au croiseur, dès que la bataille sera finie de ce côté. Vous y serez en sécurité, et vous pourrez partir avec eux, revenir sur Terre. J’ignore quelle sera la fin de cette aventure, je puis être tué, nous pouvons être vaincus…

— Mais pourquoi continuer, Téraï ! Le commandant du croiseur…

— Va avoir assez à faire à protéger son navire. Il ne peut intervenir pour le moment. Et les gens du BIM n’accepteront pas de trêve !