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Le choc la rejeta en arrière. Elle pencha la tête vers la douleur qui montait de sa poitrine, regarda sans comprendre la longue hampe de la flèche qui sortait de sous son sein gauche, croula à terre. Elle eut le temps d’entrevoir la face ricanante d’Eenko penchée sur elle, puis sombra dans la nuit.

C’est ainsi que Téraï la trouva quelques minutes plus tard, pliée en deux sur le pas de la porte, la face tournée vers le ciel. Quelques gouttes de pluie coulaient lentement sur ses joues, comme des larmes.

EPILOGUE

L’armée revenait vers le pays ihambé, longue file d’hommes et de véhicules sur lesquels étaient entassés les armes, le butin, les femmes et les enfants des prospecteurs, des ouvriers et des quelques ingénieurs qui avaient choisi de rester sur Eldorado pendant la quarantaine. Le convoi ondulait comme une immense chenille entre les bosquets, parfois caché par les hautes herbes de la steppe, chenille d’où émergeait deçà, delà, la haute silhouette d’un bishtar de bât, grommelant dans ses trompes. Téraï marchait en tête, sans rien voir, dans un silence rompu seulement, quand il était nécessaire, par des ordres brutaux. Il marchait, intérieurement immobile depuis qu’ils avaient couché Stella dans son cercueil d’or, au sommet de la colline dominant Port-Métal, près de la tombe de Léo. Pendant des jours, hommes et bulldozers avaient travaillé, portant des pierres, poussant la terre, et maintenant ils gisaient tous deux sous un tumulus immense, plus haut qu’aucun de ceux que, dans la nuit des temps oubliés de la Terre, les tribus barbares avaient accumulés sur leurs chefs morts.

Il marchait, sourd à tout ce qui l’entourait. Silver et Flandry étaient venus le voir, lui avaient parlé, il ne se souvenait plus de quoi. La quarantaine était déclarée, le BIM avait perdu la guerre… Peu lui importait. Même l’esprit de vengeance était assoupi en lui pour le moment. Rien ne pressait. Plus tard, quand la force lui serait revenue, il traquerait Eenko et ses guerriers, plus tard. Ils s’étaient mis hors-la-loi en rompant les conventions de l’Oko Sakuru, ils ne trouveraient aide nulle part à la surface de ce monde, repoussés comme des chiens par leurs semblables, jusqu’à ce que lui, Téraï, les rejoigne et tue. Il marchait. La douleur était en lui, sourde, abrutissante. Plus tard, il pourrait peut-être pleurer. Plus tard, il pourrait haïr, faire des plans, prendre en charge l’avenir de ce monde qu’il détestait désormais, mais qu’il ne se sentait pas le droit d’abandonner. Plus tard il pourrait revivre, peut-être même rire.

L’armée traversa une forêt, puis la savane. Sous le ciel lourd de l’automne finissant, couvée de nuages que harcelait le vent, elle s’étendait à l’infini, rousse et belle. Les nues accouraient de l’horizon, s’abattaient en pluie. Il ne les voyait pas, ne sentait pas les gouttes lui cingler le visage. Il marchait.

Laélé… Léo… Stella… Que lui importait le reste ? Laélé, fille sauvage d’un monde étranger, qui avait été pour lui la douceur de la vie. Léo, le compagnon incorruptible et sûr. Stella enfin, trop tard trouvée, et si vite perdue, Stella, qui était de sa race, et qui aurait été la mère de ses enfants. Tous perdus, broyés dans la tempête qu’il avait déchaînée… Avait-il eu tort ? Eldorado valait-il qu’on paye ce prix ? Il ne savait plus. Il ressassait ses fautes, ses erreurs de tactique. Il aurait dû faire mieux garder Stella, ne pas sous-estimer la haine fanatique d’Eenko. Il aurait dû… A quoi bon ! Ce qui était fait était fait, il supportait la pénalité de s’être dressé seul contre une planète, d’avoir cru qu’il était de taille à sauver un monde. Et maintenant il était seul parmi ses compagnons qui l’entouraient, muets, à moitié par respect pour sa douleur, à moitié par peur de ses colères meurtrières. Seul. Il le serait jusqu’à sa mort. Seul, sans Laélé, sans Léo, sans Stella. Sans Eenko, aussi. Il se retourna. L’armée avançait à la débandade, un canon manquait, embourbé sans doute au passage d’un gué. Il rugit. Les rangs se serrèrent, les traînards pressèrent le pas. Il haussa les épaules, retomba dans sa torpeur.

Un soir, au campement, il eut un choc. L’armée s’était arrêtée par hasard au point même où ils avaient abandonné leurs bagages avant de fuir devant les Umburus. Eparpillés par les pieds des troupeaux, souillés par les pluies, déjà à moitié pourris, quelques vêtements de Stella jonchaient le sol. Il se pencha, les ramassa pieusement, fit allumer un grand feu et les brûla. Et il lui sembla que quelque chose se déchirait en lui, qu’il enterrait une seconde fois Stella, et son passé.

Les jours coulèrent. La douleur, toujours présente, s’assourdit peu à peu. Il reprit lentement contact avec le monde. Et, quand ils arrivèrent aux bords de l’Iruandika, pendant qu’on rassemblait les bateaux qui les emporteraient vers Kintan, il remarqua une jeune fille aux lourdes tresses blondes qui lavait son linge dans la rivière.

— Comment t’appelles-tu ?

— Sigrid Nielsen, monsieur Laprade,

— Mariée ?

— Non.

— Bon. Tu seras ma femme. J’ai besoin de fils. Mais je ne t’aime pas, ne crois pas que je t’aimerai jamais !

Le père, vieux prospecteur, voulut protester, plia devant le regard du géant, puis haussa les épaules. Après tout, sa fille ne serait pas malheureuse avec Téraï. Et le temps arrange bien des choses…

Téraï s’embarqua le dernier, resta debout à la poupe de la barque. L’Iruandika riait de toutes ses vagues, après la pluie. Et, dans le ciel lavé, au-dessus du pays ihambé, un arc-en-ciel déployait ses couleurs. Farouchement, il voulut y voir un présage.

FIN