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Elle resta un moment suffoquée.

— Et… vous n’avez pas peur des vengeances ?

— D’aucuns ont essayé. Ils ont contribué à l’agrandissement du cimetière de Port-Métal. C’est curieux à quel point je suis protégé par le sort. Il arrive toujours des accidents à mes ennemis. Qu’y puis-je ?

Elle le regarda, sans parler, étonnée par ce mélange de cynisme, de forfanterie et de force vraie.

— Alors, quelle est votre affaire ?

— Je voudrais faire un reportage sur les indigènes de cette planète. On m’a dit que vous seul pouvez m’aider.

— Ça, c’est vrai. Mais le ferai-je ? Quel serait mon intérêt ? Et d’abord, êtes-vous vraiment journaliste, ou venez-vous ici pour espionner pour le compte de votre père ?

— Voici ma carte professionnelle.

— Hum ! je pense qu’il serait difficile, même pour le vieil Henderson, de vous imposer de force à la guilde des journalistes, d’autant plus, dites-vous, que vous êtes brouillée avec lui. Bon, admettons que vous disiez la vérité. Comment comptez-vous réaliser votre projet ?

— Ne pourrais-je vous accompagner dans une de vos tournées ?

Il tordit le bout de son nez entre deux doigts à la fois énormes et effilés.

— Et dans quel état serait votre réputation, quand vous reviendriez de passer six mois seule avec moi, là-bas ?

D’un geste, il désigna les hautes montagnes de l’intérieur.

— Ne pourrions-nous pas prendre quelqu’un d’autre avec nous ?

— Qui ? Stachinek a besoin de repos. Et je pars dans quatre jours. Ouais !… Je peux demander quelqu’un au BIM. Il y a longtemps qu’ils me cassent les pieds pour que j’emmène un de leurs jeunes dans le bassin de l’Iruandika. Mais ça va me retarder, me faire perdre du temps, et j’ai la force de croire que mon temps est précieux. Quel avantage vais-je en retirer ?

— Je puis vous payer…

— En nature ?

— Vous êtes impossible ! Ce n’est pas parce que vous m’avez sauvé la vie hier qu’il faut croire que vous avez des droits sur moi !

— Pas hier. Ce matin. Et croyez-vous que j’aurais besoin de droits ? Mais cessons de tourner autour du pot. Combien votre canard est-il disposé à payer ?

— Mille stellars.

— Trop peu.

— Trop peu ? Cela fait 25 000 dollars ! Avec cela, je puis organiser une expédition et…

— Et vous ne dépasserez pas les chutes du Nianga, si même vous y arrivez ! Il y a là quelques tribus pas très commodes, sans compter les animaux, les végétaux, et le climat. 1500 stellars, et je marche.

— Je vous croyais riche !

— Je le suis. Pas comme votre père, bien entendu, mais assez. Cependant, je fais un métier. Si je commence à louer mes services à bas prix…

— A bas prix ! Mille stellars !

— A bas prix pour moi, miss.

Vous êtes métis, n’est-ce pas ? De quoi ? D’arménien ?

— De chinois. Et aussi de polynésien, d’où mon prénom, et d’indien cree. Et le Chinois a assez à faire à retenir le Cree, le Maori et le Français, qui risquent parfois la précieuse peau commune, comme cette nuit, pour s’amuser. Aujourd’hui, c’est lui qui domine. Allons, 1500 stellars et c’est dit, je vous emmène. Pour ce prix, vous aurez aussi les services de Léo, et ce n’est pas rien.

— Soit. Quelles sont vos autres conditions ? Que je fasse la cuisine ?

— Premièrement, comme nous : marche ou crève. Deuxièmement, en tout ce qui concerne les indigènes, vous ferez exactement ce que je vous dirai, et rien de plus, sans discussion. Ils sont parfois susceptibles et je ne veux pas risquer de voir détruit le fruit de neuf ans de travaux d’approche pendant lesquels, croyez-moi, j’ai souvent couru de gros dangers. Convenu ?

— Convenu.

— Bon. Voici la liste des choses qu’il vous faut vous procurer. Je vais essayer de décider le BIM à me prêter un de leurs espoirs.

Tête levée, Stella regarda s’éloigner l’hélicoptère qui les avait déposés sur la crête des collines de Ti-mangua. Il disparut derrière un nuage. Alors elle baissa les yeux, les laissa errer sur la forêt qui s’étendait en contrebas, et regretta presque sa décision.

— Allons, au boulot ! Allez, les blancs-becs, secouez-vous ! Nous partons dans dix minutes. Tilembé, Akoara, kénié dato siri ! Kénié !

Docilement, les deux porteurs indigènes commencèrent à classer les divers ballots qui jonchaient le sol.

— Pourquoi ne sommes-nous pas allés en hélico jusqu’à la plaine de Birem ? Cela nous aurait épargné plus de cent kilomètres de marche.

Laprade se retourna.

— Parce que je n’ai jamais eu l’intention d’aller vers les monts Karamélolé.

— Pourtant, votre plan de prospection, déposé…

Le jeune ingénieur des mines laissa traîner sa phrase.

— Le plan ! Toujours le plan ! Je m’en fous, du plan ! Bien sûr que je l’ai déposé, le plan, sans cela le BIM ne vous aurait pas laissé venir avec moi, et j’ai besoin de votre présence ! Non, nous allons dans le bassin de l’Iruandika, mais de l’autre côté. Il y a là des tas de gîtes que j’ai repérés. Vous pourrez les cartographier et les expertiser, je vous les donne. Ça se trouve chez les Umburu, je m’en moque. Après, nous irons vivre quelques mois chez mes amis Ihambés, comme cela cette jeune fille pourra faire son travail. S’il avait fallu attendre que vous trouviez vous-même des gîtes, les six mois n’y auraient pas suffi ! Vous entendez, monsieur Achille Gropas ?

Le jeune homme pâlit.

— Je connais mon métier, monsieur !

— Je n’en doute pas ! Vous devez être très fort sur la théorie, mais peut-être manquez-vous encore d’expérience. Allons, en marche !

— Ainsi, personne ne sait où nous allons ? Et si nous nous perdons ?

— Nous ne nous perdrons pas, mademoiselle. Et j’ai un poste émetteur. Marchons, le soleil n’attend pas !

Il se pencha, jeta sur son dos le plus gros des paquets, et, carabine en main, partit à grandes enjambées, son lion sur ses talons.

— Quelle brute ! dit le jeune Grec.

— Peut-être. Allons, sinon nous resterons en arrière.

Laprade était déjà à cent mètres, suivi des deux indigènes taciturnes. Stella ajusta sa charge, relativement légère, du mieux qu’elle put, et ils partirent à sa suite.

— Il y a longtemps que vous êtes sur ce monde ?

— Six mois, miss. C’est mon premier travail sérieux sur le terrain. Je sais que je manque d’expérience, mais me l’entendre dire de cette façon !

Elle eut un léger rire.

— J’ai l’impression que nous en verrons d’autres, avant le retour. Ce Laprade est un phénomène !

— Un forban, plutôt. L’ennui, c’est que nous lui devons nos plus riches mines.

— Il est si fort que ça ?

— Hélas oui ! Il le sait, d’ailleurs, et, en tant que seul prospecteur indépendant, il nous tient la dragée haute. Au début, les grands pontes, sur Terre, ont essayé de l’acheter, puis de l’intimider, enfin de le chasser. Chaque fois, ils durent y renoncer. En 2230, le Bureau, s’appuyant sur sa charte, lui a signifié un arrêt d’expulsion. Vingt-quatre heures après, la voie ferrée, dans les passes de Kwalar, était recouverte d’une avalanche de rocs telle qu’il à fallu six jours aux bulldozers pour la dégager, et les trois postes de pré-raffinage que nous avons dans les montagnes étaient submergés par les indigènes, qui firent tout le personnel prisonnier. Alors, on a rapporté l’arrêt, et tout est rentré dans l’ordre. Lui et son lion sont des figures de légende parmi les tribus. Sans lui, l’extension des travaux ne pourrait se faire que par le fer et par le feu, et vous savez ce qu’il en adviendrait de notre charte restreinte !