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— Rien à faire ! Vous vous y habituerez. D’ici à quelque temps, vous souffrirez moins. Lui aussi !

Le jeune ingénieur offrait aux regards une face bouffie, aux yeux en étroites fentes.

— La réaction au venin diffère selon les individus. Il est, je puis vous l’affirmer, en bien plus piteux état que vous !

A midi, ils mangèrent rapidement, perchés sur des souches pourries. Comme elle se relevait, Stella glissa et tomba de tout son long dans une mare peu profonde. Laprade jura.

— Debout ! Vite ! Etes-vous mouillée ?

— Trempée !

— Changez de vêtements tout de suite ! Nous tournerons le dos. Je ne crois pas qu’il y ait des niambas dans ces eaux, mais on ne sait jamais.

Quand elle fut séchée et rhabillée, ils repartirent.

— Qu’est-ce que ces niambas, je vous prie ?

— C’est… Nom de Dieu !

Léo rugissait, jetant d’un geste rapide sa patte en avant, toutes griffes dehors. Une tête surgit d’un chenal, une tête triangulaire, reptilienne. Déjà, Laprade tirait. La tête éclata sous l’impact de la balle à haute vitesse.

— Un boa des marais ! Bien entendu, ce n’est pas un vrai boa, ni même un reptile, mais il en joue fort bien le rôle. Sans Léo, nous passions à côté de lui sans le voir, et un de nous au moins ne serait sans doute plus vivant maintenant ! Ils arrivent à mesurer quinze ou vingt mètres de long !

Il se tourna vers les indigènes, les interrogea, l’air mauvais.

— Ce sont des bêtes rares, heureusement. Mes deux porteurs prétendent n’en avoir jamais vu ici. Je les crois, car j’ai traversé vingt fois ces marécages, et c’est le premier que j’y rencontre. Allons, filons, je serai plus tranquille quand nous serons loin d’ici.

Au soir, le terrain se mit à monter, et ils campèrent sous un arbre géant, sur la terre sèche. Le lendemain matin, Stella se sentit lasse, fiévreuse, mais attribua cette fatigue à la marche et à son manque d’entraînement. Toute la journée, elle se traîna. Deux ou trois fois, elle faillit en parler à Laprade, mais se contint : marche ou crève, avait-il dit, et elle ne voulut pas se plaindre. Elle se contenta de prendre, à la dérobée, deux pilules de pan vaccin.

Elle dormit mal, cette nuit-là, et se réveilla à l’aube. Tout était calme. Léo veillait, le mufle posé sur ses pattes croisées. Laprade et Gropas reposaient un peu plus loin, sous leurs couvertures. Elle avait froid, mais sentait en elle un noyau brûlant, au ventre. Doucement, elle tâta, poussa un petit cri : sous ses doigts, un peu plus bas que le nombril, elle délimita une grosseur, comme un œuf de poule enfoncé sous la peau. Elle s’éloigna un peu, défit son vêtement : il y avait bien une grosseur, rougeâtre dans le cercle de lumière de la lampe électrique. Comme elle revenait au camp, une douleur la traversa, fulgurante.

— Monsieur Laprade !

Il se dressa d’un bond, fusil au poing.

— Qu’y a-t-il ?

Elle expliqua, le vit pâlir dans la faible lumière de l’aube.

— Combien avez-vous eu de douleurs ?

— Une seule.

— Ouf ! Il est encore temps ! Gropas, debout !

Il lui lança un coup de pied dans les côtes. L’ingénieur se leva, furieux.

— La trousse, vite ! C’est une question de vie ou de mort ! Etendez-vous, mademoiselle, je vais vous opérer d’urgence. N’ayez pas peur, j’ai déjà traité des cas semblables. Vous, tenez-la, qu’elle ne remue pas ! Pas de temps pour une anesthésie ! Akoara ! Tilembé ! Ota esi rai ! Kila niamba éto !

Les deux porteurs se jetèrent sur elle, lui tinrent les jambes, tandis que Gropas, effaré, immobilisait les bras et que Laprade flambait un bistouri et des pinces.

Il dénuda la peau du ventre, puis, d’un geste rapide et précis, ouvrit la grosseur. Le sang gicla, qu’il épongea. Il agrandit la fente, doucement. A demi-morte de peur, la jeune fille gémit de douleur, sans oser bouger. Laprade fouillait maintenant avec les pinces dans la plaie.

— Là, ça y est, vous êtes sauvée, mais il était temps !

Il jeta à terre une masse blanchâtre souillée de sang, versa dans la cavité un antiseptique.

— Si vous m’en aviez parlé hier, on aurait pu, avec de la quinine, éviter cette opération. Vous savez, quelques minutes de plus, et vous étiez perdue ! Tenez, il était mûr, le voilà qui crève !

Elle tourna la tête, suivit le geste de la main du géant. Sur le sol, la masse blanchâtre s’était fendue, et il en sortait une multitude de globules gluants, amiboïdes.

— Akoara, sita éto !

Le porteur versa un peu d’alcool sur le grouillement, y mit le feu.

— Qu’est-ce que c’était ?

— Un niamba, que vous avez ramassé avant-hier quand vous êtes tombée dans l’eau. Ce sont des bêtes parasites qui s’introduisent sous la peau de l’abdomen, prolifèrent très vite dans une enveloppe, puis, quand ils sont « mûrs », sécrètent une diastase qui détruit la paroi interne, et ils se répandent dans votre ventre ! Une fois qu’ils y sont, tout est perdu, il ne reste plus qu’à se brûler la cervelle. Ils vous mangent vivant ! Bon Dieu, n’avez-vous pas senti une piqûre violente, quand vous êtes tombée ?

Tout en parlant, il apprêtait un agrafeur, posait deux points de suture. Elle grimaça de douleur.

— Si, mais je n’y ai pas prêté attention. C’était quand je me changeais, et j’ai cru à un moustique.

— Il faut faire attention à tout, dans ces foutus marais ! Et, hier, vous vous êtes sentie fiévreuse, épuisée, n’est-ce pas ? Vous auriez dû me le dire !

— Vous auriez pu vous-même vous inquiéter de ma santé, au lieu de chercher les poux de votre lion !

— Léo est comme un enfant, par certains côtés. Si je ne m’occupais pas de lui, il serait bientôt envahi de vermine ! Mais vous, vous êtes censée être adulte ! Là où nous allons, si vous n’êtes pas capable de veiller sur vous, vous ne ferez pas long feu ! Enfin, j’aurais dû vous avertir. Je me demande pourquoi je ne l’ai pas fait !

— Le boa est arrivé comme je vous posais la question.

— Ça ne fait rien, j’aurais dû y penser. Je suis le chef, c’est donc moi le responsable. Si jamais cela vous arrivait alors que vous êtes seule, n’hésitez pas à vous opérer vous-même ! Après la deuxième douleur, il y a encore quelques chances, la poche n’est pas ouverte. Après la troisième… Là, avec ce baume cicatrisant, dans deux jours nous pourrons repartir.

CHAPITRE IV

LA FUITE DEVANT LES UMBURUS

Stella reposait sous le toit de branchages, allongée sur le dos, la tête sur un sac. La hutte était largement ouverte en face d’elle, et elle pouvait voir, en enfilade, une dizaine de troncs géants lançant vers le ciel leurs fûts lisses et drus. A vingt mètres de haut, ils explosaient en frondaisons serrées, voûte dense à travers laquelle ne filtrait qu’une lumière sous-marine. Entre les troncs, le sol était presque nu, parsemé de quelques herbes maladives, sevrées de soleil.

Laprade avait construit l’abri en maugréant, parlant du temps perdu, de la difficulté à trouver de la viande fraîche, maudissant les incapables qui ne peuvent veiller sur eux-mêmes. Pourtant, il avait, sans cesser de pester, tressé avec soin pour elle un lit de branches souples.

Assis devant la porte, près d’un feu mourant dont le filet de fumée montait tout droit dans l’air immobile avant de s’étaler en panache contre le feuillage, Gropas écrivait son journal. Elle le regarda : le dos large tendait la chemise mouillée de sueur, les muscles se mouvaient sur l’avant-bras nu, elle apercevait parfois son profil régulier sous les cheveux courts, noirs et bouclés. Elle s’étonna de l’avoir jugé malingre. Il était vrai qu’à côté de Téraï tout homme normal paraissait un avorton. Laprade était invisible, ainsi que les porteurs.