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— Porte-toi bien.

Je paniquai en le voyant prêt à s’éloigner de moi.

— Attends !

Je l’attrapai par le bras. Il scruta ma main sur lui. Je la retirai vivement.

— Tu es là jusqu’à quand ?

— J’ai un vol demain soir.

— Oh… tu repars déjà… Tu auras un peu de temps à m’accorder ?

Il passa la main sur son visage.

— Je ne sais pas.

— S’il te plaît, viens aux Gens. Je t’en prie…

— Je ne vois pas à quoi ça servirait, marmonna-t-il dans sa barbe.

— On a forcément des choses à se dire.

Il coinça sa cigarette éteinte au coin des lèvres, et me regarda dans les yeux.

— Je ne te garantis rien.

Je fouillai dans mon sac à main, à la recherche d’une carte de visite des Gens.

— Il y a l’adresse et un plan au dos. Appelle-moi si tu ne trouves pas.

— Je trouverai.

Il me lança un dernier regard, accorda un signe de tête à Olivier et tourna les talons.

— On y va ? me demanda Olivier. On dîne toujours au resto ?

— Oui, bien sûr. Cela ne change rien.

Avant de franchir la porte, je me retournai. Edward parlait avec du monde et me fixait en même temps.

Une demi-heure plus tard, nous étions attablés dans un restaurant indien. Chaque bouchée était un supplice, je me forçais pour Olivier, dont les attentions et la gentillesse ne faiblissaient pas malgré ce que je venais de lui faire ; il ne méritait pas ça. Je ne pouvais pas davantage le laisser dans l’ignorance. Cependant, j’allais devoir mesurer mes paroles.

— Excuse-moi pour tout à l’heure, commençai-je. Je n’aurais pas dû te laisser comme ça, mais… ç’a été tellement étrange de reconnaître quelqu’un… j’ai gâché ta surprise.

— Pas du tout. Tu es secouée, je n’aime pas te voir comme ça.

— Ça va passer, ne t’inquiète pas. Replonger dans l’atmosphère irlandaise m’a renvoyée à cette période de ma vie qui n’a pas été évidente.

— Et Edward, alors ? Qui est-ce ?

Son ton ne trahissait aucune suspicion.

— C’était mon voisin, comme il te l’a dit. Je louais un cottage à côté du sien, et mes propriétaires étaient son oncle et sa tante, Abby et Jack. Des personnes merveilleuses… J’étais amie avec sa sœur, Judith, une Félix version hétéro.

— Ça doit être quelque chose !

— Elle est extraordinaire…

— Et depuis que tu es partie ?

— J’ai quitté l’Irlande sur un coup de tête, j’ai expédié les au revoir, et je n’ai jamais donné de nouvelles. Aujourd’hui, j’ai honte de mon attitude égoïste.

— Tu n’as aucune raison, me dit-il en m’attrapant la main. Ils auraient pu prendre des tiennes.

— Ils ne sont pas du genre à s’immiscer dans la vie des autres, ils ont toujours respecté mon mutisme. Mon départ n’a rien changé.

— C’est pour ça que tu as insisté pour le revoir demain ?

— Oui…

— Il n’est pas très loquace, tu crois que tu vas en tirer quelque chose ?

Comment ne pas rire à sa remarque ?

— Ça sera concis, j’aurai le strict nécessaire, mais c’est toujours mieux que rien.

Je soupirai et fixai mon assiette vide.

— Tu veux peut-être dormir seule ce soir ?

Il chercha mon regard.

— Non, on va chez toi.

Une fois au lit, Olivier n’essaya pas de faire l’amour, il m’embrassa et me prit simplement dans ses bras. Il s’endormit assez vite, alors que, moi, je ne fermai pas l’œil de la nuit. Je revivais chaque détail de ces retrouvailles inattendues. Il y avait encore quelques heures, l’Irlande était une page tournée, un livre fermé de ma vie, il fallait que cela le reste. S’il venait le lendemain, je prendrais des nouvelles des uns et des autres, il repartirait, et ma vie reprendrait son cours.

Malgré toute ma discrétion, je réveillai Olivier en me levant.

— Ça va mieux ? me demanda-t-il, la voix encore ensommeillée.

— Oui. Rendors-toi. Profite de tes vacances.

Je l’embrassai.

— Je passe te retrouver en fin de journée.

Un dernier baiser et je partis.

Trois quarts d’heure plus tard, j’ouvrais Les Gens sans avoir mangé mon croissant habituel. Mon ventre était noué. Mes clients du matin durent sentir ma mauvaise humeur ; ils me laissèrent ruminer dans mon coin. Quand, vers midi, je vis Félix dans l’encadrement de la porte, je sus que ç’allait être une autre histoire. Je n’avais pas le choix. Si Edward venait, Félix serait aux premières loges. Et comment oublier que lors de leur dernière entrevue, ils s’étaient battus !

— Tu fais une de ces têtes, aujourd’hui ! Olivier a eu une panne ou quoi ?

Il attaquait fort. J’allais répondre aussi fort :

— Edward est à Paris, je suis tombée sur lui hier soir.

Il s’écroula sur le premier tabouret qu’il rencontra.

— Je dois être encore sous ecsta !

Bien malgré moi, je pouffai.

— Non, Félix. C’est la stricte vérité, et il va peut-être passer ici, aujourd’hui.

À mon expression, il comprit que ce n’était pas une blague. Il se releva, contourna le bar et me prit dans ses bras.

— Comment vas-tu ?

— Je ne sais pas.

— Et Olivier ?

— Je ne lui ai pas dit ce qui s’était passé entre nous.

— Il est venu pour toi ?

— Pas vraiment, vu l’accueil… Il exposait ses photos et repart ce soir.

— Bon, bah, ç’aurait pu être pire. Je vais bosser toute la journée, aujourd’hui. Rien que pour me rincer l’œil !

J’éclatai de rire.

Ce fut ma plus longue journée de travail. Je ne faisais qu’attendre. Félix me surveillait du coin de l’œil et faisait le pitre pour me détendre. Plus les heures passaient, plus je me disais qu’il ne viendrait pas. Ce qui, en vérité, ne serait peut-être pas plus mal. C’était périlleux de remuer tout ça.

Je rendais la monnaie à un client quand il apparut, un sac de voyage sur l’épaule. Mon café me sembla très petit d’un coup ; Edward prenait toute la place. Il serra la main de Félix, qui eut le bon goût de ne faire aucune blague douteuse, s’accouda au bar et observa mon univers avec la plus grande attention. Cela dura de longues minutes. Ses yeux bleu-vert scannaient les livres, les verres, les photos sur le comptoir. Il finit par river son regard au mien, sans rien dire. Tant de choses remontaient à la surface : nos disputes, nos quelques baisers, ma décision, sa déclaration, notre séparation. La tension dut devenir insupportable pour Félix, car il fut le premier à ouvrir la bouche.

— Une p’tite bière, Edward ?

— Tu n’as pas quelque chose de plus fort ? lui rétorqua-t-il.

— Dix ans d’âge, ça te va ?

— Sec.

— Diane, café ?

— Je veux bien, merci, Félix. Tu pourras t’occuper des clients s’il y en a ?

— Je suis payé pour ça ! me répondit-il en m’envoyant un clin d’œil encourageant.

Edward remercia Félix et entama son whisky. Je le connaissais assez pour savoir que, si je ne lançais pas la conversation, il était capable de rester une heure sans prononcer un mot. Après tout, c’était moi qui lui avais demandé de venir.

— Alors comme ça, tu exposes à Paris ?

— C’est une opportunité qui s’est présentée.

Il frotta ses yeux cernés. D’où venait cette fatigue qu’il dégageait ?

— Comment vas-tu ?

— Je travaille beaucoup. Et toi ?

— Je vais bien.

— Tant mieux.

Que lui dire de plus sur moi ? Et comment le faire parler ?