— En gros, il est temps que je rentre. Dès demain soir, je fais le tour des lieux.
— Profites-en jusqu’au bout. C’est bon de t’entendre comme ça.
— J’en ai bien l’intention.
— J’avais peur qu’après la venue de l’autre zig, et surtout cette annonce sur Abby, tu te renfermes.
— Tout va bien. Je te laisse, Olivier me fait signe.
Je raccrochai et enfouis mon téléphone au fond de mon sac. Je me retenais d’en vouloir à Félix pour sa dernière remarque. J’avais tout mis en œuvre pour occulter Abby et profiter d’Olivier. Je devais continuer. J’inspirai profondément, retirai mes lunettes de soleil, et partis à l’eau. Je nageai jusqu’à lui, et m’accrochai à ses épaules, il me sourit et embrassa mon bras qui entourait son cou.
— Tout va bien ? me demanda-t-il.
— Ne parlons pas de Paris.
Dernière nuit à l’hôtel ; nous venions de faire l’amour, tendrement, comme toujours, et j’avais peur. Peur de perdre quelque chose après ces petites vacances, peur de perdre la paix, tout simplement. Olivier était dans mon dos, et me serra contre lui. Je caressai distraitement son bras, et regardai par la fenêtre que nous avions laissée ouverte.
— Diane, tu es ailleurs depuis quelques heures…
— Tu te trompes.
— Il y a un problème aux Gens, avec Félix ?
— Absolument pas.
— Dis-moi ce qui te travaille.
Qu’il arrête ! Qu’il se taise ! Pourquoi était-il si attentionné, si perspicace ? Je ne voulais pas que ce soit lui qui fasse éclater notre bulle.
— Rien, je te promets.
Il soupira et embrassa mon cou.
— Tu mens très mal. Tu t’inquiètes pour cette femme, ta propriétaire en Irlande ?
— Tu commences à bien me connaître… c’est vrai, je pense à elle, je n’arrive pas à y croire. Tout ce qu’elle a fait pour m’aider, je m’en rends compte aujourd’hui… Et songer qu’elle peut…non, c’est impossible. Je voudrais faire quelque chose, mais quoi ?
— Commence par l’appeler, ce serait un bon début.
— Je ne sais pas si j’en suis capable.
— Ça va te demander du courage, mais tu es bien plus forte que tu ne le crois. Quand je t’ai rencontrée, j’ai senti ta fragilité, mais tu as des ressources, énormément de ressources. Tu y arriveras.
— Je vais y réfléchir.
Je me tournai vers lui, et l’embrassai. J’avais besoin de le sentir contre moi, de m’accrocher à lui, je refusais de penser aux possibles conséquences de cet appel.
Je mis plus de un mois à me décider et à trouver la bonne occasion pour le faire. Je n’étais jamais seule. Aux Gens, Félix était toujours sur mon dos ; le reste du temps j’étais avec Olivier, et je ne me voyais pas téléphoner à Abby avec lui à mes côtés. En vérité, je reculais le moment tellement j’avais peur de ce que je risquais de découvrir. Je profitai des congés de Félix, fin août, pour prendre mon courage à deux mains.
— Allô ?
Bien que sa voix soit teintée de fatigue, je reconnus Abby, et cela m’ôta les mots de la bouche.
— Allô !… Il y a quelqu’un ?
— Abby… c’est moi…
— Diane ? C’est bien vrai ?
— Oui. Pardon de ne pas avoir…
— Tais-toi, ma petite chérie. Je suis si heureuse de t’entendre. Quand Edward nous a annoncé qu’il t’avait vue…
— Il vous a raconté ?
— Encore heureux ! Il nous a dit que tu allais bien, que tu avais rencontré quelqu’un ! C’est magnifique !
Ç’avait le mérite d’être clair.
— Merci… Et toi, comment vas-tu ?
— En pleine forme !
— Abby, grondai-je. Il n’est pas rentré dans les détails, mais Edward m’a dit…
— Il mériterait une bonne leçon pour ça, il n’aurait pas dû te tracasser…
C’était comme si je l’avais quittée la veille.
— Il a eu raison. Que t’arrive-t-il ?
— Eh bien, tu sais, le cœur d’une vieille dame fatiguée…
— Tu n’es pas vieille !
— Tu es mignonne, Diane. Ne t’en fais pas, c’est la vie… C’est bon de t’entendre, tu me manques beaucoup.
— Toi aussi, Abby.
— Oh, si je m’écoutais, je te demanderais bien quelque chose.
— Tout ce que tu veux !
— Viens nous rendre visite.
Retourner en Irlande, à Mulranny… je n’y avais jamais songé.
— Oh… je ne sais pas…
— J’aimerais tellement vous avoir tous autour de moi encore une fois. Et puis, Judith sera folle de joie. Tu es sa seule véritable amie.
Abby savait jouer les sentimentales quand ça l’arrangeait… j’aurais dû m’en souvenir ! La clochette retentit : Olivier venait m’aider à fermer.
— Je ne te promets rien, je vais voir ce que je peux faire.
— Ne tarde pas trop, ma petite chérie.
— Ne dis pas ça.
Je croisai le regard d’Olivier, qui avait bien compris avec qui je parlais, il me sourit gentiment.
— Je… je te rappelle vite.
— Merci, Diane, pour ton appel. À très bientôt. Je t’embrasse.
— Moi aussi, Abby, moi aussi.
Je posai mon téléphone sur le bar, et me réfugiai dans les bras d’Olivier. Il ne me fallut pas plus d’une minute pour me mettre à pleurer. J’aurais voulu être déjà là-bas avec elle, dans son salon, au coin du feu, lui dire et lui répéter qu’elle allait guérir. Comment pouvais-je partir sur un coup de tête en Irlande ? Les Gens ? Olivier ? Félix ?
— C’était si dur que ça ?
— Elle parle comme si c’était déjà la fin.
— Je suis désolé, Diane…
— Je vais devoir lui refuser une faveur, ça me rend malade.
— Laquelle ?
— On ferme d’abord et je t’en parle après.
— Si tu veux.
J’avais besoin de digérer avant de lui expliquer. La fermeture fut bouclée en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Olivier alla nous chercher des falafels pour le dîner. En mangeant, je réussis à lui faire part de la requête d’Abby, à laquelle je n’arrêtais pas de penser.
— Tu as peur que ce soit trop dur pour toi ?
— Non, ce n’est pas à moi que je pense, c’est Abby qui est à plaindre.
— Alors pourquoi tu ne veux pas y aller ?
— Les Gens…
— Félix s’en est bien sorti, quand on est partis.
Je refusai de croire que c’était possible.
— Et toi ? Je ne vais pas te laisser… Tu voudrais venir avec moi ?
— Non, Diane. Pour plusieurs raisons. Je ne peux pas me permettre de reprendre des jours de congé, et quand bien même je le pourrais, ce sont tes amis, je ne voudrais pas t’empêcher de profiter d’eux en t’accompagnant. Ce n’est pas ma place. Et puis j’aiderai Félix, si ça peut te rassurer.
Je soufflai un grand coup tant j’étais effrayée par ce qui se jouait. Il prit mon visage entre ses mains, et me regarda dans les yeux.
— Ma seule exigence est que tu sois sûre de toi. As-tu envie de retourner en Irlande ? Ressens-tu le besoin d’y aller ?
— Oui, avouai-je.
Pour une fois, je profitai du Wi-Fi des Gens, et réservai vol et voiture en travaillant. Abby refusa catégoriquement que je prenne une chambre d’hôtel : je logerais chez eux. Je préparai Félix à mon absence par SMS, sans lui avouer où je partais. Autant Olivier avait respecté mon choix, autant ce serait une autre paire de manches avec mon meilleur ami. Pourtant, je n’avais pas de temps à perdre. Mon vol pour Dublin était trois jours après son retour de vacances.
Le matin de sa reprise, j’étais tendue comme un arc. Je le laissai me raconter ses vacances avant de lâcher la bombe. Il me devança.