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— Veux-tu aller sur la plage ? lui proposai-je.

— Avec Postman Pat ?

— Bien sûr. As-tu des devoirs ?

Il se renfrogna.

— Tu les fais et on y va après ?

Il acquiesça de la tête. Je partis chercher son cartable avant de m’installer à côté de lui au bar. Il était dans la classe qui correspondait à notre CP, je devais pouvoir m’en sortir. Clara n’avait pas eu le temps de faire ses devoirs. Je parcourus son cahier de textes : il avait une page à déchiffrer dans un livre. J’allais devoir m’appliquer avec mon accent. Je mis la page entre lui et moi, et il commença la lecture. Son attention et sa concentration m’étonnèrent ; Clara n’aurait pas été si disciplinée. Quand ce fut fini, naturellement, je lui demandai d’aller se changer avant de sortir. Il sauta de son tabouret, et me fixa.

— Tu as besoin d’aide ?

— Non.

— Il y a un problème ?

Il secoua la tête et disparut dans l’escalier.

Sur la plage, je me contentai de le surveiller de loin pendant qu’il s’agitait avec le chien. Je ne cessai de m’interroger. Pourquoi arrivais-je à m’occuper de cet enfant sans m’effondrer ? Cherchais-je à me faire pardonner d’avoir laissé Edward, il y a plus de un an, à travers son fils ? Peut-être en étais-je capable parce que je repartais dans quelques jours et qu’il n’y aurait aucune conséquence sur ma vie ? Je pouvais donc rester détachée de lui.

N’ayant aucune idée de l’heure de retour d’Edward, quand nous fûmes rentrés à la maison, j’invitai Declan à prendre sa douche. Il gagna l’étage sans négocier, sans rien demander. J’attendis un petit quart d’heure avant de monter à mon tour. Ce couloir, cette salle de bains… Je frappai à la porte.

— Tout va bien ?

— Je fais tout seul avec papa.

C’était un petit homme qui n’avait d’autre choix que de se débrouiller, sans rien attendre de qui que ce soit.

— Tu m’autorises à aller dans ta chambre ?

— Oui.

J’eus un sourire triste en la découvrant. Edward avait essayé : il y avait des jouets — un circuit de voitures, un train, quelques Lego, des peluches en vrac sur le lit défait. Mais les murs étaient froids, aucune décoration. Ses vêtements étaient pour moitié rangés dans une commode aux tiroirs entrouverts, le reste encore dans les valises. Cependant, la présence d’un fauteuil dans un coin de la pièce m’interpella. Declan fit son entrée, le haut de pyjama à l’envers et les cheveux encore mouillés.

— Ne bouge pas, lui dis-je.

J’allai récupérer une serviette de toilette. Il m’attendait au centre de sa chambre, tout sourire et avec une légère timidité dans le regard. Je lui essuyai la tête énergiquement, et lui fis enfiler son pyjama dans le bon sens. Ses beaux yeux essayèrent de me faire passer un message que j’exclus de chercher à comprendre.

— Tu es parfait, maintenant.

Il me prit par la taille, colla son visage sur mon ventre, et me serra fort. Ma respiration se coupa, je regardai en l’air et restai les bras ballants. Brusquement, il me lâcha et partit jouer avec ses voitures en riant, en se racontant des histoires, ragaillardi par une nouvelle joie de vivre.

— Je te laisse cinq minutes, je vais fumer une cigarette dehors.

— Comme papa, me répondit-il, sans plus se soucier de moi.

Je dévalai l’escalier, attrapai mes clopes et sortis sur la terrasse. En fumant, je téléphonai à Olivier.

— Je suis contente de t’entendre, lui dis-je sitôt qu’il décrocha.

— Moi aussi, tu vas bien ? Tu as une petite voix.

— Non, non, je t’assure, tout va bien.

Inutile de l’inquiéter en lui expliquant ce que je faisais.

— Parle-moi de toi, des Gens, de Paris, de Félix.

Il s’exécuta avec entrain. Petit à petit, il me ramenait chez moi, dans ma vie. Il m’éloignait de mes démons, en m’offrant une bouffée d’oxygène. Les Gens me manquaient, la stabilité émotionnelle qu’ils m’avaient apportée. La douceur d’Olivier, sa simplicité apaisante… Ce répit fut de courte durée ; Declan venait d’arriver dans le séjour, et me cherchait, visiblement anxieux.

— Je te rappelle demain.

— J’ai hâte que tu rentres, Diane.

— Moi aussi. Je t’embrasse fort.

Je retournai à l’intérieur. Declan m’envoya un sourire soulagé.

— Je peux regarder la télé s’il te plaît ?

— Si tu veux.

— Il rentre quand, papa ?

— Je ne sais pas. Tu veux lui téléphoner ?

— Non !

— Si tu as envie de le faire, il ne faut pas avoir peur. Ton papa peut comprendre…

— Non, je veux la télé.

Il se débrouilla comme un chef pour lancer ses dessins animés. Vu l’heure, je décidai de lui préparer à dîner. Je cuisinai au son de ses éclats de rire, avec Postman Pat à mes pieds qui attendait que ça tombe dans sa gueule. Lorsque je me surprenais à sourire, je me répétais que ce n’était pas moi qui faisais tout ça.

Trois quarts d’heure plus tard, nous avions fini de manger — j’avais accompagné Declan —, la vaisselle était faite, il n’était pas loin de 21 heures, et toujours aucun signe de vie d’Edward. Declan était sur le canapé, devant les dessins animés.

— Il va falloir aller au lit, lui annonçai-je.

Il se ratatina.

— Ah…

Il s’extirpa des coussins, éteignit la télévision docilement. Toute joie de vivre avait quitté son visage, il semblait se recroqueviller sur lui-même.

— Je t’accompagne dans ta chambre.

Il hocha la tête. Une fois à l’étage, il alla se brosser les dents sans que j’aie à lui demander de le faire. J’allumai une veilleuse sur sa table de nuit et retapai sa couette. Quand il arriva, il se mit à quatre pattes, et explora le dessous de son lit ; il en ressortit avec une grande écharpe à la main. Il n’était pas difficile de deviner à qui elle avait appartenu. Puis il se coucha.

— Je laisse la lumière allumée ?

— Oui, me répondit-il, d’une toute petite voix.

— Dors bien.

Je n’eus pas le temps de faire deux pas avant d’entendre les premiers sanglots.

— Reste avec moi.

Juste ce qui me terrorisait. Je commençai par me mettre à genoux près de sa tête, il la sortit de la couette, défiguré par le chagrin, ses grands yeux pleins de larmes, comme sidéré par le manque et la douleur, l’écharpe de sa mère contre lui. Doucement, j’approchai ma main, je la fixai pour mesurer la portée de mon geste ; je la passai dans ses cheveux. À mon contact, il ferma brièvement les yeux, puis les rouvrit, m’implorant de faire quelque chose pour atténuer sa souffrance. Je me posai une question. Une seule. Une question interdite : qu’aurais-je fait si ç’avait été Clara ? Par la pensée, je suppliai ma fille de me pardonner cette trahison, c’était avec elle que j’aurais dû faire ça. Faire ce que j’avais refusé avec son petit corps mort, lui dire que tout allait bien se passer, qu’elle irait bien, que je serais toujours là pour elle. Je m’allongeai à côté de Declan et le pris contre moi, respirant son odeur d’enfant. Il se nicha, se frotta à moi, et pleura. Beaucoup, sans interruption. Il appelait sa mère, je murmurais : « Chut, chut, chut… »

Et puis des sons venus de très loin sortirent de ma bouche ; une petite berceuse que je chantais à Clara quand elle faisait un cauchemar. Ma voix ne trembla pas, alors que les larmes coulaient toutes seules sur mes joues. Nous pleurions tous les deux la même perte. Nous étions au même endroit, un gouffre où nous souffrions du manque. Les sanglots de Declan se calmèrent petit à petit.

— Tu es une maman, Diane ? me demanda-t-il en hoquetant.

— Pourquoi dis-tu ça ?