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J’avais soupiré, tenté de ravaler mes larmes, et j’avais joué avec mon alliance du bout des doigts.

— Elle commence à peser lourd… Je sais que tu ne m’en voudras pas… je crois que je suis prête… je vais l’enlever… je sens que je suis guérie de toi… je t’aimerai toujours, ça ne changera pas, mais c’est différent maintenant… je sais vivre sans toi…

J’avais embrassé la tombe et décroché ma chaîne. Mes yeux avaient débordé. J’avais serré de toutes mes forces mon alliance dans mon poing. Puis je m’étais relevée.

— À la semaine prochaine mes amours. Ma Clara… maman… maman t’aime.

J’étais partie sans me retourner.

Félix m’interrompit dans mes pensées en me tapotant la cuisse.

— On va marcher, il fait beau.

— Je te suis !

Nous partîmes arpenter les quais. Comme chaque dimanche, Félix exigea de traverser la Seine et de faire un crochet à Notre-Dame pour allumer une bougie. « Je dois racheter mes péchés », se justifiait-il. Je n’étais pas dupe : son offrande votive était pour Clara et Colin, son moyen de maintenir un lien avec eux. Pendant qu’il se recueillait, je patientai à l’extérieur de la cathédrale, observant les touristes qui se faisaient attaquer par les pigeons. J’eus le temps de me griller une clope avant d’assister à un remake de la mort de la maman d’Amélie Poulain, interprété par un Félix digne d’un Oscar — surtout le cri ! Ensuite, le merveilleux acteur qu’il était vint me prendre par les épaules, salua un public en délire imaginaire et me fit prendre tranquillement le chemin du retour vers notre Marais chéri et notre sushi bar du dimanche soir.

Félix buvait du saké. « Il faut combattre le mal par le mal », me disait-il. Quant à moi, je me contentais d’une Tsingtao. Entre deux makis, il passa à l’attaque et exigea son débrief. Ç’allait être bref !

— Alors celui d’hier, tu lui reproches quoi ?

— Sa caméra sur le front !

— Waouh ! C’est vachement excitant.

Je lui mis une bonne calotte sur le crâne.

— Quand comprendras-tu que nous n’avons pas la même sexualité ?

— Tu es d’un triste, se lamenta-t-il.

— On se rentre ? Le film de TF1 ne va pas nous attendre.

Félix me raccompagna jusqu’à la porte de l’immeuble des Gens, comme toujours. Et me broya contre lui, comme toujours.

— J’ai quelque chose à te demander, lui dis-je alors que j’étais encore dans ses bras.

— Quoi ?

— S’il te plaît, arrête de jouer à Meetic, je n’en peux plus de ces soirées ratées. C’est décourageant !

Il me repoussa.

— Non, je n’arrêterai pas. Je veux que tu rencontres un type bien, sympa, avec qui tu seras heureuse.

— Tu ne me présentes que des guignols, Félix ! Je vais me débrouiller toute seule.

Il vrilla ses yeux aux miens.

— Tu penses encore à ton Irlandais ?

— Arrête de dire des conneries ! Ça fait un an que je suis rentrée d’Irlande. T’ai-je déjà reparlé d’Edward ? Non ! Il n’a rien à voir avec ça. C’est de l’histoire ancienne. Ce n’est pas ma faute si tu ne me présentes que des charlots !

— OK, OK ! Je te fiche la paix quelque temps, mais ouvre-toi un peu aux rencontres. Tu sais comme moi que Colin souhaiterait que tu aies quelqu’un dans ta vie.

— Je sais. Et c’est bien mon intention… Bonne nuit, Félix. À demain ! C’est le grand jour !

— Yes !

Je lui offris la même grosse bise que quelques heures auparavant et pénétrai dans mon immeuble. Malgré l’insistance de Félix, je ne voulais pas déménager. J’aimais vivre au-dessus des Gens, dans mon petit appartement. J’étais au cœur de l’activité, ça me convenait. Et surtout, c’était là que je m’étais reconstruite toute seule, sans l’aide de personne. Je pris l’escalier plutôt que l’ascenseur et grimpai jusqu’au cinquième. En arrivant chez moi, je m’adossai à la porte d’entrée et soupirai de contentement. Malgré notre dernière conversation, j’avais passé une superbe journée avec Félix.

Contrairement à ce qu’il croyait, je ne regardais jamais le film de TF1. Je mettais de la musique — ce soir, c’était Ásgeir, King and Cross — , et entamais ce que j’avais intitulé ma soirée spa. J’avais décidé de prendre soin de moi, et quel meilleur moment que le dimanche soir pour s’accorder le temps de se faire un masque, un gommage et tous ces trucs de fille ?

Une heure et demie plus tard, je sortais enfin de la salle de bains, je sentais bon et j’avais la peau douce. Je me fis couler mon dernier café de la journée et m’écroulai sur le canapé. J’allumai une cigarette et laissai mon esprit vagabonder. Félix n’avait jamais su ce qui m’avait fait ranger Edward au fond de ma mémoire pour ne plus penser à lui.

Après mon retour d’Irlande, je n’avais gardé contact avec personne : ni avec Abby et Jack, ni avec Judith, et encore moins avec Edward. Évidemment, il m’avait manqué par-dessus tout. Son souvenir revenait par vagues, parfois heureuses, parfois douloureuses. Mais plus le temps passait, plus j’étais sûre que je ne prendrais jamais de leurs nouvelles, et surtout pas des siennes. Cela n’aurait rimé à rien après tant de temps ; aujourd’hui plus d’une année… Pourtant…

Environ six mois plus tôt, un dimanche d’hiver où il pleuvait des cordes, j’étais restée enfermée chez moi et je m’étais lancée dans du tri de placard ; j’étais tombée sur la boîte où j’avais enfoui les photos qu’il avait prises de nous deux sur les îles d’Aran. Je l’avais ouverte et m’étais liquéfiée en redécouvrant son visage. Comme saisie d’un coup de folie, je m’étais précipitée sur mon téléphone, j’avais retrouvé son numéro dans mon répertoire et j’avais appuyé sur la touche appel. Je voulais, non, je devais savoir ce qu’il devenait. À chaque sonnerie, j’avais été à deux doigts de raccrocher, partagée entre la crainte de l’entendre et un profond désir de renouer avec lui. Et le répondeur s’était déclenché : juste son prénom, prononcé par sa voix rauque, et un bip. J’avais bafouillé : « Euh… Edward… C’est moi… c’est Diane. Je voulais… je voulais savoir… euh… comment tu allais… Rappelle-moi… s’il te plaît. » Après avoir raccroché, je m’étais dit que j’avais fait une bêtise. J’avais tourné en rond dans la pièce en me rongeant les ongles. L’obsession d’avoir de ses nouvelles, d’apprendre s’il m’avait oubliée ou non m’avait scotchée à mon téléphone toute la fin de la journée. Au point de refaire une tentative à plus de 22 heures. Il n’avait pas décroché. À mon réveil, le lendemain matin, je m’étais traitée de tous les noms en prenant conscience du ridicule de mon appel. Mon coup de folie m’avait fait comprendre qu’il n’y avait plus d’Edward, il ne resterait qu’une parenthèse dans ma vie. Il m’avait mise sur le chemin pour me libérer d’un devoir de loyauté envers Colin. Je me sentais aujourd’hui libérée de lui aussi. J’étais prête à m’ouvrir aux autres.

— 2 —

En ouvrant les yeux ce lundi matin, je savourai l’importance de cette journée. Le soir, lorsque je me coucherais, je serais l’unique propriétaire des Gens heureux lisent et boivent du café.

Après mon retour d’Irlande, il m’avait fallu plusieurs semaines pour me décider à donner signe de vie à mes parents. Je n’avais aucune envie de m’accrocher avec eux ni de subir leurs remarques sur l’état de mon existence. Lorsque je leur avais enfin téléphoné, ils m’avaient proposé de venir dîner chez eux, et j’avais dit « oui ». En arrivant dans l’appartement familial, je m’étais sentie mal à l’aise, comme chaque fois que j’y pénétrais. Nous n’arrivions pas à communiquer normalement. Mon père était resté silencieux et ma mère et moi avions tourné autour du pot sans trouver un sujet de conversation. En passant à table, mon père s’était enfin décidé à m’adresser la parole :