— Oh que oui ! Sois tranquille.
— Et avec Edward ?
— Ils vont passer me dire au revoir après l’école, enfin, c’est ce qu’il m’a dit hier…
— Et c’est tout ?
— Bah oui…
Nous fûmes interrompues par Jack, qui m’appelait du rez-de-chaussée. Declan et son père venaient d’arriver, justement. Il était l’heure des au revoir. Abby m’accompagna en me tenant par le bras, je sentais ses yeux scrutateurs sur moi. En bas de l’escalier, elle me lâcha pour s’asseoir dans son fauteuil, échangeant avec Jack un coup d’œil qui ne présageait rien de bon.
— Salut, me contentai-je de dire à Declan et à Edward.
Je fuis le regard du père et décidai d’affronter plutôt celui du fils, qui s’approcha de moi pour me faire un bisou.
— C’était bien l’école aujourd’hui ?
— Oui !
— Approche-toi, fiston, j’ai quelque chose à te montrer, l’apostropha Jack.
Declan s’exécuta. Je n’eus d’autre choix que de me tourner vers Edward.
— Bon retour à Paris, me dit-il sobrement.
— Merci.
— C’est quand même dommage que vous ne vous soyez pas plus vus, tous les deux, glissa subtilement Abby.
— C’est vrai, ça ! intervint Jack à son tour. Les enfants, vous ne voulez pas aller au pub tous les deux, ce soir ? On peut garder Declan.
Nous nous regardâmes dans les yeux.
— Tu en as envie ? me demanda Edward.
— Euh… oui, avec plaisir…
— Papa ?
Nous n’avions pas remarqué que Declan s’était à nouveau rapproché de nous.
— Tu pars, papa ?
Les épaules d’Edward s’affaissèrent, il passa la main dans les cheveux de son fils en lui souriant.
— Non… ne t’inquiète pas, on va rentrer… Diane, je suis désolé… ce n’est que partie remise…
Nous savions l’un comme l’autre que c’était faux.
— C’est normal, je te comprends.
— Ou alors… Tu veux venir dîner chez nous ?
— Oh…
Mon regard se tourna automatiquement vers Abby et Jack, comme si j’avais besoin de leur autorisation. Ils me fixaient avec toute la douceur et la bienveillance qui les habitaient.
— Ne te gêne pas pour nous.
— Tu viens manger à la maison ? insista Declan. Dis oui !
J’aperçus le regard tendre d’Edward pour son fils. Ce fut ce qui me fit flancher.
— D’accord, je viens.
— À tout à l’heure, me dit Edward. Declan, on y va ?
Ils embrassèrent Abby et Jack, et se mirent en route. Je restai de longues minutes immobile, debout au milieu du séjour.
— Viens là, ma petite fille, m’appela Abby, ce qui eut le mérite de m’extirper de mes songes.
Je m’avachis sur le canapé, elle changea de place et vint à côté de moi en prenant ma main dans la sienne.
— Qu’est-ce que vous me faites faire tous les deux ? Vous êtes de vrais intrigants !
Jack éclata de rire.
— C’est surtout elle, me dit-il, en désignant sa femme.
— Tu n’es pas mieux ! lui rétorquai-je du tac au tac en souriant. À quoi cela va-t-il servir ?
— À mettre les choses à plat, me répondit Abby.
— Peut-être, mais c’était notre dernière soirée ensemble.
Elle tapota le dessus de ma main.
— Diane, tu n’aurais pensé qu’à eux si tu étais restée avec nous, tu le sais au fond de toi. Et nous avons bien profité… Ne t’inquiète pas… Et puis, quand tu es avec eux, c’est un peu comme si tu étais avec nous, en plus, tu leur fais du bien…
J’appuyai la tête sur son épaule et profitai de sa chaleur maternelle.
— Vous allez me manquer… terriblement…, murmurai-je.
Jack, qui était derrière le canapé, posa sa main d’une façon toute paternelle sur ma tête.
— Toi aussi ma petite Française, mais tu reviendras…
— Oui…
Je me lovai plus étroitement contre Abby.
Une heure plus tard, je les quittai en leur promettant de profiter de la soirée sans me préoccuper d’eux. Arrivée à proximité du cottage, je décidai de faire une dernière balade sur la plage avant de rejoindre Edward et son fils. Je voulais m’imprégner encore une fois de la mer, de cette vue, de ce vent. M’aérer me ferait le plus grand bien. Je ne savais pas quoi penser de cette soirée qui s’annonçait. Dîner avec Declan et Edward avait quelque chose de troublant, je pénétrais dans leur intimité, et j’avais peur que leur quotidien ne me saute à la figure. Force était de constater qu’Abby, Judith, et Jack — même s’il ne le verbalisait pas — avaient raison : nous avions besoin de crever l’abcès, pour passer véritablement à autre chose. Nous devions rompre une relation qui n’avait pas eu la possibilité de commencer et qui ne commencerait jamais.
Alors que je remontais vers leur cottage, je reçus un SMS d’Olivier : « Bonne dernière soirée en Irlande, à demain, je t’embrasse fort.
»
« Merci… j’ai hâte de te retrouver. Je t’embrasse
», lui répondis-je avant de frapper à la porte.
Declan m’ouvrit, tout sourire, en pyjama. Il me prit par la main et m’entraîna dans le séjour ; j’avais du mal à avancer ; Postman Pat me faisait la fête lui aussi. La télévision était allumée sur la chaîne de dessins animés ; Edward, derrière le bar de sa cuisine, préparait le dîner. Il me jeta un coup d’œil — impossible de deviner son état d’esprit.
— Tu as dit au revoir à la plage ?
— Oui…
— Diane, tu viens ?
Declan tirait toujours sur mon bras.
— J’arrive, laisse-moi deux minutes.
Il haussa les épaules et sauta sur le canapé avec son chien. Je m’installai au bar, en face d’Edward.
— Tu n’étais pas obligé de m’inviter ce soir.
— Tu m’as déjà vu me forcer ? rétorqua-t-il, sans me regarder.
— Je peux t’aider à faire quelque chose ?
Il planta ses yeux dans les miens.
— Lire une histoire à Declan pendant que je finis de préparer le dîner ?
— On va plutôt faire le contraire, c’est mieux pour vous deux.
— Tu ne vas quand même pas faire la cuisine !
— Pas de ça entre nous… la politesse ne nous va pas.
Je fis le tour du bar, lui retirai la cuillère en bois des mains, et le poussai vers le séjour. Il secoua la tête avant de récupérer un livre dans le cartable de son fils. Declan essaya de râler, l’expression de son père le dissuada d’insister. Bercée par le mélange de la petite voix et de la rauque, je finis le repas et mis le couvert. Edward prenait son temps pour s’assurer que Declan comprenait tout, sa patience m’époustoufla. Lorsque le dîner fut prêt, je passai devant eux sans les interrompre et sortis sur la terrasse pour fumer. Deux minutes plus tard, la baie vitrée s’ouvrit, Edward me rejoignit, cigarette aux lèvres.
— J’espère que tu ne m’en voudras pas, j’ai dû lui promettre que tu mangerais à côté de lui.
— Pas de problème.
La conversation s’arrêta là. On n’entendait que le bruit du tabac qui se consume, à travers celui du vent et des vagues. Il était encore trop tôt pour ouvrir les vannes. De toute façon, Declan ne nous laissa pas le temps de nous décoincer. Il vint nous chercher, son estomac criait famine.
À table, il assura la discussion ; il fit un monologue sur ses histoires avec les copains à l’école avant de s’adresser directement à moi.
— Tu pars demain ? C’est vrai ?
— Oui, je prends l’avion.
— Pourquoi ? C’est pas juste…
— J’étais en vacances ici, j’habite à Paris, je travaille là-bas. Tu te souviens ?
— Oui… Papa, on pourra aller voir Diane un jour ?