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— On verra.

— Mais ! Pendant les vacances !

Le visage d’Edward se ferma.

— Declan, lui dis-je. Tu as toute la vie pour venir me voir à Paris. D’accord ?

Il ronchonna, finit son yaourt, et alla jeter le pot vide à la poubelle sans dire un mot. Puis il s’installa sur le canapé en boudant. Edward le surveillait, tendu, inquiet. Il se leva de table à son tour et s’assit en face de son fils. Il lui passa la main dans les cheveux.

— Tu te souviens qu’Abby est malade, il faut qu’on s’occupe d’elle et qu’on aide Jack, c’est pour ça que je ne peux pas t’emmener à Paris voir Diane.

— Mais toi, tu y es allé…

— C’est vrai, mais je n’aurais pas dû…

Declan baissa la tête, Edward inspira profondément.

— Maintenant, il faut aller au lit.

Son fils redressa la tête brusquement.

— Non ! Papa, je ne veux pas y aller !

L’angoisse l’envahit et le défigura.

— Tu n’as pas le choix. Il y a école demain.

— S’il te plaît, papa ! Je veux rester avec vous.

— Non. Va dire au revoir à Diane.

Il sauta du canapé et fonça sur moi pour s’accrocher à ma taille en pleurant. Je respirai profondément. Edward me fixa, désemparé, avant de se prendre la tête entre les mains.

— Diane, je veux pas aller au lit, je veux pas, je veux pas…

— Écoute-moi, ton papa a raison. Il faut aller dormir.

— Non, sanglota-t-il.

Je regardai Edward ; il n’en pouvait plus, il n’avait pas l’énergie de se battre. Ils avaient besoin d’un coup de main, et j’étais là…

— Tu veux que je vienne avec toi, comme l’autre jour ?

Il me serra plus fort encore : sa réponse était claire.

— On y va.

Il prit la direction de l’étage sans un regard pour son père.

— Tu oublies quelque chose ! le rappelai-je à l’ordre.

Il fit demi-tour et courut dans les bras d’Edward. Je les laissai seuls et montai dans sa chambre. J’entendis ses petits pas dans l’escalier ainsi que son brossage de dents. Pendant ce temps-là, j’allumai sa veilleuse, retapai son lit qui n’avait pas été fait, et récupérai l’écharpe de sa mère cachée sous le matelas. Lorsqu’il arriva dans sa chambre, il se glissa sous la couette. Je m’agenouillai à côté de son lit, lui caressai le front et le visage.

— Declan, papa fait tout ce qu’il peut pour toi… il sait que tu as mal… il faut que tu l’aides, c’est compliqué ce que je te demande… mais tu dois le laisser dormir dans son lit. Tu es un petit garçon courageux… ton papa ne te laissera jamais… Quand tu dors, il est toujours à la maison… Tu me promets d’essayer ?

Il hocha la tête.

— As-tu envie que je chante la berceuse ?

— Tu reviens quand ?

Je penchai la tête sur mon épaule en esquissant un sourire.

— Je ne sais pas… je ne peux rien te promettre.

— On se reverra ?

— Un jour… Dors, maintenant.

Je chantai la berceuse à plusieurs reprises en continuant à lui caresser les cheveux. Ses petits yeux luttèrent un temps avant de se fermer. Il était épuisé, lui aussi. Quand je le sentis en paix, je lui embrassai le front et me relevai. Avant de refermer la porte, je le regardai une dernière fois en soupirant.

Dans le séjour, toute trace du dîner avait disparu, la baie vitrée était entrouverte, un feu flambait dans la cheminée, Edward se tenait au rebord, cigarette aux lèvres, et dégageait une tension extrême.

— Il dort, chuchotai-je. J’ai essayé de lui faire comprendre que toi aussi, tu devais dormir dans ton lit.

Il ferma les yeux.

— Je ne pourrai jamais assez te remercier.

— Ce n’est pas nécessaire… mais si tu as des Guinness dans ton frigo, ce ne serait pas de refus. J’en boirais bien une dernière avant de rentrer à Paris.

— Tu ne peux pas en boire en France ? se dérida-t-il.

— Je suis certaine qu’elle n’a pas le même goût qu’ici.

Quelques minutes plus tard, il me tendait une pinte. Nous ne trinquâmes pas. Edward s’assit sur le canapé. Tout en restant près de la cheminée, j’allumai une cigarette. Je faisais en sorte de ne pas le regarder alors même que je sentais qu’il me fixait. Je remarquai un catalogue sur une étagère. La curiosité fut plus forte.

— C’est ton book ?

— Exact.

— Je peux ?

— Si ça te fait plaisir.

Je balançai mon mégot dans le feu, me débarrassai de ma pinte sur la table basse, saisis l’objet de ma convoitise et m’installai dans un fauteuil en face de lui. Je commençai à feuilleter l’album avec la plus grande précaution. Les premières photos m’interloquèrent.

— Ce sont les îles d’Aran, au début ?

— Tu as une bonne mémoire.

Mon ventre se tordit en reconnaissant ma silhouette sur une des prises de vue.

— Comment pourrais-je oublier ? dis-je tout bas.

Je poursuivis ma découverte. Son humeur était palpable sur chaque cliché. J’avais l’impression qu’il racontait une histoire avec son book, un roman-photo dans le sens littéral du terme. Le début était lumineux, aéré, on respirait dans les paysages qu’il nous faisait découvrir. Mais ensuite, l’atmosphère devenait plus oppressante : le ciel toujours sombre, obscurci par des nuages noirs, la mer déchaînée, les bateaux malmenés dans la tempête. Et puis, progressivement, c’était comme si les poumons s’ouvraient à nouveau, un rayon de soleil frappait la mer, avant d’illuminer le ciel. La dernière représentait l’ombre d’une silhouette d’enfant courant sur la plage, les vagues léchant les pieds du protagoniste, ou plutôt, devrais-je dire, de Declan. Le book d’Edward était son histoire, ce qu’il avait traversé ces derniers mois. Comme s’il avait cherché à exorciser les épreuves et à tourner la page avec ses photos. Complètement absorbée par cette « lecture », je n’avais pas remarqué qu’il s’était levé et était retourné près de la cheminée, me tournant le dos. Je rangeai son book à sa place, et bus ma Guinness pour me remettre de mes émotions. Je pris mon courage à deux mains et me rapprochai de lui.

— Edward… je regrette d’être partie comme ça, brutalement. Ce n’était pas correct vis-à-vis de toi. Excuse-moi…

Il se retourna et vrilla ses yeux aux miens.

— N’aie pas de regret, commença-t-il durement. C’est une bonne chose que tu aies rencontré mon fils, tu connais mes priorités, maintenant. Tu t’es construit une nouvelle vie avec Olivier, j’en suis heureux.

Sa voix flancha légèrement, un nœud se formait dans ma gorge. Son regard se fit plus intense, son ton s’adoucit quand il poursuivit :

— Tu as pris la bonne décision à l’époque. Declan est là… Nous n’avions pas d’avenir ensemble.

Il avait raison sur toute la ligne : nous aurions fini par nous séparer. Plusieurs secondes passèrent sans que nous bougions. J’inspirai profondément.

— Il se fait tard, je vais rentrer, maintenant, c’est mieux.

— On s’est tout dit.

— Je crois… oui.

Il me suivit dans l’entrée.

— Je t’accompagne à ta voiture.

— Si tu veux.

Une bourrasque de vent nous saisit ; il faisait nuit noire. J’ouvris ma portière, balançai mon sac à main sur le siège passager.

— On te tiendra au courant pour Abby, avec Judith.

— Merci… prends soin de toi, Edward.

— Je vais essayer…

Je montai dans ma voiture, sans rien ajouter de plus. Nous échangeâmes un dernier regard : c’était fini. Il s’alluma une cigarette, et attendit que je file avant de rentrer chez lui.

Abby et Jack étaient couchés lorsque j’arrivai chez eux. Je montai dans ma chambre, fis discrètement ma valise, et me couchai, sachant pertinemment que le sommeil tarderait à venir. Le soulagement et la tristesse se disputaient la première place dans ma hiérarchie d’émotions. La situation était désormais claire entre Edward et moi : j’avais coupé le cordon avec lui. La joie de retrouver Olivier compensait ce sentiment d’inachevé. Notre histoire avec Edward était une non-histoire. Je finis par sombrer.