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Le réveil fut difficile ; le cafard m’étreignit sitôt que j’ouvris les yeux. Après m’être douchée et habillée, je retirai les draps de mon lit pour les mettre dans la machine à laver. Une fois ma chambre rangée, je descendis, armée de mon sac de voyage. Abby m’accueillit avec un grand sourire et un copieux petit déjeuner. J’allais me forcer pour elle, au pire, je vomirais sur la route. Je l’embrassai sur les deux joues.

— Vous avez passé une bonne soirée ? lui demandai-je.

— Bien sûr. Et toi, avec Edward et Declan ?

— C’était très bien.

— Tu ne veux pas en parler ?

— Il n’y a pas grand-chose à dire…

— Elle te comprend, intervint Jack. N’est-ce pas, Abby ?

— Viens donc prendre des forces pour la route, me dit-elle en me prenant par le bras.

Nous avions beau essayer de mettre de la gaieté dans ce dernier repas partagé, c’était un échec.

— Tu as besoin de quelque chose pour le voyage ? À manger ? À boire ?

— Je te remercie, Abby, mais non… j’y vais… plus on attendra, pire ça sera…

Jack se leva le premier. Il prit toutes mes affaires et sortit. Abby et moi nous regardâmes.

— Tu m’aides, ma petite chérie ?

Je me précipitai de l’autre côté de la table pour lui prendre le bras. Tout en marchant, elle me tapotait la main. Je retenais mes larmes. La voiture arriva trop vite. Jack s’approcha de moi, et ouvrit grands les bras.

— Ma petite Française, soupira-t-il en me serrant contre lui. Fais bien attention à toi.

— Promis, reniflai-je.

— Elle t’attend.

Il me lâcha, tira un immense mouchoir de sa poche avec lequel il se frotta les yeux et le nez. Je me tournai vers Abby, qui me caressa la joue.

— On s’est tout dit, ma petite fille.

Je hochai la tête, incapable de prononcer le moindre mot.

— Promets-moi une dernière chose : ne sois pas triste quand je ne serai plus là, ne pleure pas. Que nos retrouvailles ne soient pas gâchées, nous avons eu notre temps pour nous préparer.

Je levai les yeux au ciel avant de les essuyer et de souffler un grand coup.

— Ne me fais pas mentir quand je dirai à ton Colin et à ta Clara que tu vas bien, que tu es heureuse, et qu’ils peuvent être fiers de toi. C’est compris ?

En guise d’adieu et de promesse, je la serrai fort dans mes bras, et lui murmurai à l’oreille que je l’aimais comme une mère. Elle me caressa la joue, des larmes dans les yeux, avant de me lâcher. Je grimpai dans la voiture sans les regarder, et partis sans me retourner. Je roulai une dizaine de kilomètres avant de m’arrêter sur le bas-côté pour pleurer tout mon saoul.

C’est à se demander comment je réussis à rejoindre l’aéroport de Dublin sans provoquer d’accident. Je ne cessai de pleurer durant les quatre heures de route, je pleurais encore en rendant ma voiture de location, en enregistrant mes bagages, en passant les contrôles de sécurité, en écrivant un texto à Olivier une fois assise dans l’avion. Lorsqu’il décolla, j’eus le sentiment d’être déchirée, qu’on m’arrachait à ma terre. Pourtant, je pris sur moi en tentant de me calmer. L’homme qui m’attendait à Paris ne méritait pas de me voir dans cet état. Pour me recomposer un visage le plus serein possible ou, devrais-je dire, le moins bouffi possible, je descendis parmi les derniers passagers, fis une halte aux toilettes où je m’aspergeai d’eau froide et me maquillai, avant de récupérer ma valise sur le tapis roulant. Les portes de la douane s’ouvrirent ; il était là, souriant, apaisant, prêt à m’accueillir. Je courus et me propulsai dans ses bras, non pour me forcer ou simuler la joie, mais parce que j’avais envie de m’y trouver. La douleur d’avoir quitté Mulranny ne me quitta pas, elle ne me quitterait jamais, je le savais, mais je respirais un peu mieux auprès d’Olivier.

— 8 —

La vie reprit son cours dès le lendemain matin. J’avais dormi chez Olivier, la nuit avait été réparatrice. Il me raccompagna et monta mon sac de voyage chez moi, pendant que je retrouvais Les Gens. Je n’avais pas eu besoin de lui demander de me laisser seule, il l’avait compris de lui-même. Premier soulagement : tout était intact. Félix n’avait rien saccagé durant mon absence et c’était propre. Il avait dû sacrément prendre sur lui et exigerait sans doute des récupérations, ou une prime ! Second soulagement, et non des moindres : je m’y sentais bien, et j’étais excitée à l’idée de reprendre le travail. Mon séjour en Irlande n’avait pas brisé le cordon entre Les Gens et moi. Olivier frappa à la porte de derrière, j’allai lui ouvrir.

— Merci, lui dis-je avant de l’embrasser. Tu as le temps de prendre un café avec moi ?

— Quelle question !

Nous nous installâmes au bar, côte à côte. Olivier me tourna vers lui, me caressa la joue et prit une de mes mains.

— Tu vas bien ?

— Oui, je te le promets.

— Tu ne regrettes pas, alors ?

— Pas une seule seconde.

— Tant mieux… et le petit garçon ?

— Oh… Declan… j’ai géré, mieux que je le pensais.

— Peut-être parce que tu connais son père.

— Et toute sa famille… Je ne sais pas… il est attachant… Enfin… il va encore souffrir. Abby a pris la place de sa grand-mère… Quand elle va partir…

Ma voix flancha.

— Ne pense pas à ça.

— Tu as raison.

— Le principal, c’est que tu aies renoué avec tes amis. À toi d’entretenir le lien, maintenant.

Il finit son café et se prépara à partir.

— Je n’ai plus le choix !

C’est blottie contre lui que je l’accompagnai dans la rue.

— Tu veux te faire un ciné, ce soir ? me proposa-t-il.

— Pourquoi pas ! Mais on dort chez moi.

— OK.

Il m’embrassa et prit le chemin de son cabinet.

Comme je l’imaginais, Félix s’octroya une partie de la journée. Il arriva sans se presser vers 15 heures.

— La patronne fait fuir les clients ! Il y avait plus de monde quand j’étais à la barre.

— Moi aussi, je suis contente de te voir, Félix !

Il claqua un baiser sur ma joue, se servit un café et s’accouda au bar en m’observant.

— Que fais-tu ? lui demandai-je.

— L’état des lieux…

— Verdict ?

— À l’extérieur, tu passes le contrôle technique. Tu as dû tellement pleurer hier que tu es tombée comme une merde en te mettant au lit. Ce qui te permet d’exhiber tes couleurs et pas tes yeux explosés. À l’intérieur, par contre… c’est moins sûr que tu sois en état de marche…

— Effectivement, je ne vais pas te cacher que ç’a été violent de dire au revoir à Abby. Je ne la reverrai jamais… tu comprends ça ?

Il hocha la tête.

— Quant au reste, je suis en pleine forme, j’ai pris le grand air, je me suis marrée avec Judith. Bref, que du bonheur !

— Et Edward ?

— Quoi, Edward ? Il va comme il peut, on a tout mis à plat. C’est une bonne chose.

— Tu veux dire que tu n’as pas succombé à son charme bourru et sauvage pour la seconde fois !

— Félix, il est père de famille.

— Justement. Je veux bien me transformer en nounou, il doit être foutrement sexy avec son gamin !