Je levai les yeux au ciel.
— Tu oublies un détail : j’ai Olivier, j’aime Olivier.
— Bonne mise au point, me voilà rassuré !
Les semaines qui suivirent, le train-train quotidien reprit sa marche ; Les Gens tournaient à la hauteur de mes espérances, Félix était en pleine forme et je me sentais bien avec Olivier. Le truc en plus : j’avais une fois par semaine Abby et Judith au téléphone. Et ça me remplissait de joie, comme si je comblais un manque.
Nous étions vautrés devant la télévision, chez Olivier. Je somnolais dans ses bras, absolument pas intéressée par le film qui le captivait.
— Va te coucher, finit-il par me dire.
— Ça ne t’ennuie pas ?
— Es-tu bête !
Je l’embrassai dans le cou et fis un passage express par la salle de bains avant de me mettre au lit. Je n’étais pas complètement endormie lorsque Olivier se glissa sous la couette à son tour, et m’attira contre lui.
— Tu n’as pas regardé la fin ?
— Je la connaissais déjà. Tu as mis le réveil ?
— Merde !
— Quoi ?
— J’ai encore oublié mon sac sous le comptoir des Gens. Il faut que je repasse me changer chez moi avant d’ouvrir.
J’attrapai mon téléphone sur la table de nuit et mis l’alarme vingt minutes plus tôt. Je râlais encore en me rallongeant.
— Diane ?
— Oui.
— On pourrait peut-être chercher un appart ?
— Tu veux qu’on habite ensemble ?
— On peut dire ça comme ça aussi ! Écoute, on passe toutes les nuits ensemble et on a passé l’âge de vider un tiroir pour l’autre.
— Tu sais qu’en général ce sont les femmes qui demandent ça ?
— C’est mon côté féminin qui s’exprime ! Qu’en penses-tu ?
— Tu as peut-être raison…
Pourquoi repousser cette nouvelle étape ? Il se pencha au-dessus de moi, sincèrement surpris, avec un grand sourire aux lèvres. Je lui faisais plaisir…
— Tu es sérieuse ? Tu veux vivre avec moi ?
— Oui !
Il m’embrassa, puis posa son front contre le mien. J’avais toujours le sentiment d’être sa petite chose fragile tant il faisait attention à moi.
— J’aurais compris que tu ne sois pas prête… On va choisir un endroit pour nous.
— Ça va être bien…
Quelques jours plus tard, Olivier était aux Gens, il épluchait le PAP tout en appelant les agences immobilières du quartier. Il stabilotait, faisait des listes, s’énervait après les annonces bidons et s’enthousiasmait quand il nous décrochait une visite. Sa tâche était ardue ; il s’était mis en tête de nous trouver un appartement dans le quartier… Pour moi, pour me faciliter les choses.
— On a un problème ! déclara-t-il.
— Lequel ?
— Toutes les visites ont lieu samedi prochain.
— Ah…
— Comme tu dis !
Nous eûmes le même réflexe : nous tourner vers Félix qui avalait bonbon sur bonbon. Il s’était mis au régime « j’arrête de fumer » sans l’intention de se passer de cigarettes. « J’anticipe, je me prépare », me disait-il, très convaincu. Lorsqu’il remarqua que nous le fixions, il haussa un sourcil et lança un Dragibus dans sa bouche.
— Vous complotez quoi, au juste ?
— Il faudrait que tu rendes service à Diane.
— Ça se monnaie…
— Félix, s’il te plaît, insistai-je. On visite des apparts samedi.
— No problem ! Prenez tout le temps qu’il vous faut pour choisir votre nid ! Du moment qu’elle quitte son taudis ! Du coup, je me taille maintenant !
Il goba un dernier bonbon avant de venir prendre Olivier dans ses bras.
— Si tu n’existais pas, je ne sais pas ce que je serais devenu avec elle sur les bras !
— Bah, ça va ! m’énervai-je.
— Je t’aime, Diane !
Il partit en sautillant.
— On devrait trouver notre bonheur, dis-je à Olivier.
— J’espère ! Tu es vraiment sûre de toi ?
— Oui !
— Vivre ici ne va pas te manquer ?
— Bien sûr… mais je veux avancer avec toi.
Je l’embrassai en me penchant par-dessus le comptoir. Je devais continuer à franchir des étapes, même si, par moments, je me disais que cela allait trop vite ; j’avais peut-être accepté par confort et facilité, parce que je souhaitais que les choses restent simples, sans conflit, et je ne voulais pas faire un pas en arrière. C’était un interdit que je m’imposais. J’étais bien avec Olivier, tout était doux, paisible.
Le lendemain soir, lorsqu’il arriva, j’étais sur le point de téléphoner à Abby. Il passa derrière le bar pour m’embrasser.
— Tu as passé une bonne journée ? lui demandai-je.
— Très bonne, tu fermes bientôt ?
— Je veux téléphoner à Abby, avant.
— Bien sûr.
— Sers-toi une bière.
Je ne me cachais pas pour appeler l’Irlande. Il savait que je tenais à Abby et que j’avais besoin de lui parler. Il n’en prenait pas ombrage. Je posai mes fesses près de la caisse, et m’accoudai au comptoir. Olivier s’installa de l’autre côté et feuilleta un magazine. Je composai le numéro d’Abby et Jack, que je connaissais par cœur. Un temps qui me sembla interminable s’écoula avant que quelqu’un décroche.
— Oui !
Ce n’était ni Abby ni Jack. Un frisson me parcourut le dos.
— Edward… c’est Diane.
Dans ma vision périphérique, je vis Olivier lever légèrement le nez de sa lecture.
— Comment vas-tu ? finit-il par me demander après de longues secondes de silence.
— Oh… bien, et toi ?
— Ça va…
J’entendis derrière lui la voix de Declan et souris.
— Et ton fils ?
— Mieux… au fait… je lui apprends la photo…
— C’est vrai ? C’est merveilleux… je…
Je préférais m’interrompre plutôt que dire à voix haute que j’aimerais les voir tous les deux avec leurs appareils. Cette envie venait de loin et me surprit par sa violence…
— C’est qui, papa ?
Edward soupira dans le combiné.
— Diane.
— Je veux lui parler ! Diane ! Diane !
— Edward, dis-lui que je l’embrasse, je ne peux pas m’attarder, Abby est là ?
Simple mesure de protection : en réalité, j’avais tout mon temps.
— Elle est couchée, mais je vais te passer Jack. À bientôt.
Tout en entamant ma conversation avec Jack, j’entendis Edward calmer Declan qui ne comprenait pas pourquoi il était le seul à ne pas me parler. Son père lui expliqua que j’étais pressée et que j’étais avec ma famille à Paris. Cela remit de la distance et les choses à leur place. J’arrêtai de les écouter et me concentrai sur les nouvelles. Jack m’annonça qu’Abby était très fatiguée depuis plusieurs jours. Je sentais l’inquiétude dans sa voix, mais aussi de la résignation.
— Je lui dirai que tu as téléphoné, elle me remontera les bretelles parce que je ne l’ai pas réveillée ! Tes appels lui font toujours beaucoup de bien.
— Je réessayerai demain. Embrasse-la pour moi. Je t’embrasse fort, Jack.
— Moi aussi, ma petite Française.
Je raccrochai. Pour la première fois depuis mon retour, un peu plus de un mois auparavant, j’avais envie d’être ailleurs. J’aurais voulu veiller Abby.
— Diane ?
— Elle dormait, ça n’a pas l’air d’être la forme.
Je soupirai.
— Je rappellerai demain, j’aurai peut-être plus de chance… Parle-moi des appartements, ça va me distraire !