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— Essaye de dormir, je te téléphone demain. Je voudrais être avec toi…

— Je sais… tu nous manques à tous…

Elle raccrocha. Je m’assis dans le lit et éclatai en sanglots. Olivier me prit dans ses bras pour calmer mes tremblements. Je m’attendais au départ d’Abby, je savais qu’elle devait partir. Mais ça faisait si mal de penser qu’elle ne mènerait plus tout son petit monde à la baguette, qu’elle ne prendrait plus soin de quiconque. Jack avait perdu son double.

— Je suis désolé, murmura Olivier. Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?

— Rien.

Il embrassa mon front, me berça contre lui, pourtant je me sentais seule, ce n’était pas là que je voulais être.

— Je dois appeler Edward.

Je me dégageai des bras d’Olivier, sortis du lit, enfilai un pull et me rendis dans le séjour en composant le numéro d’Edward. Il décrocha dès la première sonnerie.

— Diane, souffla-t-il dans le combiné. J’attendais ton appel…

J’avais besoin de t’entendre, pensai-je.

— Je suis là…

Je perçus le son d’un briquet et la première bouffée qu’il aspira. J’en fis autant. Chacun dans son pays, nous fumâmes une cigarette ensemble. J’entendais le vent.

— Où es-tu ? lui demandai-je.

— Sur la terrasse.

— Et Declan ?

— Il vient tout juste de s’endormir.

— Quand est l’enterrement ?

— Après-demain.

— Si vite !

— Jack ne veut pas que les choses s’éternisent… il est prêt.

— Je vais venir…

— Tu ne peux pas tout lâcher pour être avec nous, même si j’en ai…

— Ma place est avec vous et personne ne pourra m’empêcher de venir.

— Merci… Declan s’est réveillé, il pleure…

— Rappelle-moi quand il se sera rendormi, peu importe l’heure, je répondrai. Je vais chercher un billet d’avion.

— Diane… je…

— Va voir ton fils.

Je raccrochai, puis fixai mon téléphone de longues secondes avant de me rendre compte qu’Olivier m’avait rejointe dans la pièce et qu’il avait pris soin de m’apporter un cendrier. Je ne l’avais même pas remarqué.

— Je peux t’emprunter ton ordinateur ?

— Que vas-tu faire ?

— Je dois trouver un billet d’avion pour demain.

— Quoi ?!

— Ma place est à l’enterrement d’Abby. Je ne me pardonnerai jamais de ne pas y aller.

— Je comprends…

Il alla me chercher son ordinateur et s’assit à côté de moi sur le canapé.

— Va te coucher.

— Diane, laisse-moi faire quelque chose pour toi.

Je m’accrochai à son cou. J’étais désolée de lui imposer ça, de bousculer ses plans, mais c’était comme un appel. Ma vie venait de se suspendre. Et rien, ni Les Gens, ni Olivier, ni Félix ne pouvaient lutter contre cet élan.

— Tu ne peux rien faire, je suis navrée. Ne passe pas une nuit blanche à cause de moi.

Il secoua la tête, m’embrassa et se leva.

— Je ne dormirai pas tant que tu ne seras pas avec moi, mais je vais te laisser tranquille, si c’est ce dont tu as envie.

— Pardonne-moi.

Il ne répondit pas. Je le suivis du regard tandis qu’il regagnait la chambre en laissant la porte ouverte. En cherchant mon vol, je ne pensais qu’à Edward, qui devait lutter contre les terreurs nocturnes de Declan. Je venais de payer mes billets lorsque mon téléphone sonna.

— Edward…

— Ça y est, il dort.

— Tu devrais aller en faire autant.

— Toi aussi !

Je souris.

— J’ai mon billet, j’arrive demain soir à 20 heures, je prendrai la route directement sans traîner.

— Ce n’est pas prudent, je vais venir te chercher.

— Qu’est-ce que tu racontes ? J’ai toujours loué une voiture, je vais faire comme d’habitude. Je peux me débrouiller comme une grande. S’il y a bien une personne qui ne cherche pas à me surprotéger c’est toi, alors ne commence pas !

— Ne discute pas. Je viendrai.

— Tu ne vas pas traverser le pays dans la journée. Et Declan ? Il va être terrifié de te voir partir.

— Si je lui dis que c’est pour toi, il me laissera partir… Judith sera avec lui et elle, ça lui fera du bien de s’éloigner d’Abby quelques heures. Je partirai en fin d’après-midi, on sera rentrés à minuit.

— Tu es ridicule.

— S’il te plaît, Diane. Laisse-moi venir te chercher, j’ai besoin de prendre l’air, de souffler.

Son appel à l’aide me chavira.

— Très bien… va dormir maintenant.

— À demain.

Il raccrocha. Je pris le temps de fumer une cigarette, j’en avais besoin pour réaliser que je partais le lendemain à Mulranny assister à l’enterrement d’Abby. Pourtant, au fond de moi, j’avais toujours su que, le jour où cela arriverait, j’y retournerais. Quitte à me mettre en danger. Mon corps était encore à Paris, mon esprit était déjà là-bas. En retournant dans la chambre, je ne pus que constater qu’Olivier ne dormait pas ; il m’attendait, un bras replié derrière la tête. Il m’ouvrit la couette, je me glissai dessous et me blottis contre lui ; il resserra son bras autour de moi.

— Combien de temps pars-tu ? chuchota-t-il.

— Trois jours. Ne t’inquiète pas, nous déménagerons à la date convenue.

— Ce n’est pas ça qui m’inquiète…

— Quoi, alors ?

— C’est toi.

— Ne t’en fais pas, je ne vais pas m’écrouler. La mort d’Abby n’a rien à voir avec ce que j’ai vécu, j’y étais préparée. Et je compte respecter la promesse que je lui ai faite, ne pas pleurer et poursuivre ma vie.

— Vraiment ?

Je ne lui répondis pas. Il me tint contre lui toute la nuit. Le sommeil finit par m’emporter, et je réussis à dormir quelques heures. En ouvrant les yeux, la conscience de la perte d’Abby me coupa la respiration un instant. Je pris sur moi, et luttai contre la peine. Je devais assurer ma journée, préparer mon absence, et rassurer Olivier dont le masque d’inquiétude n’avait fait que se creuser durant la nuit. Il ne me quitta pas des yeux lorsque nous prîmes notre petit déjeuner.

— À quelle heure décolles-tu ce soir ?

— 19 heures.

— Je vais me débrouiller pour t’accompagner.

— N’annule pas tes rendez-vous pour moi.

— J’y tiens, ne cherche pas à m’en empêcher.

Une demi-heure plus tard, il me laissait aux Gens. J’ouvris le café et m’activai immédiatement, au lieu de discuter avec mes clients du réveil comme je le faisais d’habitude ; je mis tout en ordre, vérifiai que Félix ne manquerait de rien et pris le temps d’appeler Judith. Elle avait une meilleure voix que la veille, Edward l’avait mise au courant de mon arrivée, je la sentais soulagée. Et puis elle me passa Jack sans que j’y sois préparée.

— Ma petite Française, comment vas-tu ?

— On s’en moque, de moi, c’est à toi qu’il faut demander ça.

— Tout va bien, nous avons eu notre temps. J’ai un message pour toi, mais tu le connais déjà.

— Oui, reniflai-je.

— Ça me touche que tu fasses le voyage, tu verras, ça t’apaisera.

— À demain, Jack.

Mes épaules s’affaissèrent en raccrochant.

— Ça veut dire quoi : à demain, Jack ?

Je sursautai en entendant Félix.

— Je prends l’avion ce soir : Abby est morte.

Je lui tournai le dos et me fis couler un café.

— Tu ne peux pas faire ça ! Tu ne peux pas aller à un enterrement en Irlande.

Il me prit par les épaules et me força à le regarder.