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— C’est parti !

Je sifflai Postman Pat, qui arriva en trottinant. J’ouvris la porte d’entrée, Declan glissa sa petite main dans la mienne.

— À tout à l’heure, entendis-je dans mon dos.

Je regardai par-dessus mon épaule ; Edward nous observait depuis l’escalier. Nous échangeâmes un sourire.

Ce trajet, qui d’ordinaire prenait vingt minutes, requit presque une heure. Je courais après chaque instant avec cet enfant ; je jouais avec lui, je riais avec lui, comme si je cherchais par tous les moyens à l’incruster dans ma mémoire, ne pas l’oublier, me souvenir de sa force, de son instinct de survie, me nourrir de lui. Ou tout simplement parce que je l’aimais, et que j’allais bientôt le quitter lui aussi. Ça relevait de l’insupportable.

C’est en faisant la course que nous pénétrâmes dans le jardin d’Abby et Jack. Penser à cette maison sans y associer Abby resterait inimaginable très longtemps. Jack arrachait des mauvaises herbes d’un parterre de sa femme. Je savais ce qu’il cherchait à faire ; s’occuper pour oublier, en mettant tout en œuvre pour rester avec elle… L’ambivalence du deuil.

— Eh bien, les enfants ! Quelle arrivée !

Declan lui sauta dans les bras. Jack me fit signe de les rejoindre et me serra contre lui.

— Comment vas-tu ce matin ? lui demandai-je. As-tu dormi un peu ?

— On va dire que je me suis réveillé tôt !

Il posa Declan au sol.

— Bah… on s’emmerde pas ! C’est pas les vacances, ici !

Judith, les mains sur les hanches et en tenue de combat de ménage, était sur le perron.

— Ne râle pas, je viens t’aider !

Elle remettait en ordre la maison après le dîner de la veille. À mon tour, je remontai mes manches, et lui donnai un coup de main. Cela nous prit toute la fin de matinée. L’atmosphère était sereine, l’absence d’Abby pesait, évidemment, mais sans être oppressante. Nous l’évoquions avec Judith, en riant, en versant une larme aussi parfois.

Aux alentours de midi, Jack rentra avec Declan, et lança une flambée dans la cheminée. J’envoyai Judith se doucher et pris en charge la préparation du repas. Je surveillais la cuisson lorsque, par la fenêtre, je vis Edward garer sa voiture. Je ne bougeai pas. Rapidement, je l’entendis parler avec Jack, et demander où j’étais. Quelques secondes plus tard, je n’étais plus seule dans la cuisine. Il vint près de moi.

— Tu as besoin d’aide ?

— Non, lui répondis-je avec un regard de côté. Il n’y a plus qu’à mettre la table.

— On va le faire avec Declan.

Il appela son fils, et finalement c’est tous les trois que nous dressâmes le couvert. Jack voulut donner un coup de main. Je l’en empêchai, le forçant à rester assis et lui tendant son journal : « Tu es invité chez toi ! »

Je fus heureuse de le faire rire, ainsi qu’Edward. J’apportais la marmite lorsque Judith arriva à son tour. Elle marqua un temps d’arrêt en nous découvrant tous les trois en train de nous affairer autour de la table. Elle riva son regard au mien, puis observa son frère avant de secouer la tête.

Le déjeuner se prolongeait ; Declan finit par ne plus tenir en place. Il gesticulait sur sa chaise entre son père et moi. Je me penchai vers lui.

— Que t’arrive-t-il ?

— J’en ai marre.

Je lui souris et désignai de la tête son père, qui se rendit compte que nous complotions et me fit un clin d’œil.

— Prends le chien et va dehors, lui proposa-t-il.

Il ne demanda pas son reste. Je le rappelai, ce fut plus fort que moi.

— Habille-toi chaudement, il fait froid.

— Promis ! me cria-t-il de l’entrée.

— Il va tomber comme une masse, ce soir, dis-je à Edward.

— Tant mieux.

Nous nous sourîmes.

— Putain ! s’exclama Judith. Vous allez en chier !

Mes épaules s’affaissèrent, elle avait raison.

— Laisse-les tranquilles, s’il te plaît, l’interrompit Jack.

— Moi, je dis ça pour vous, continua-t-elle. Et pour lui.

— Tu n’as pas besoin de nous le rappeler, lui répondit sèchement son frère. On est au courant.

Il serra les poings sur la table, je posai la main sur son bras pour le calmer, son regard s’y attarda avant de scruter mon visage. Puis il prit ma main dans la sienne et s’adressa à nouveau à sa sœur.

— Peux-tu venir le garder demain matin et le déposer à l’école ? On doit partir tôt pour l’aéroport.

— Évidemment !

— Attends ! les coupai-je. C’est ridicule, Edward. Je vais me débrouiller, louer une…

— N’essaye même pas ! trancha-t-il en me serrant plus fort la main.

— Les enfants ! Calmez-vous, intervint Jack.

Son intervention fonctionna, nos trois visages se tournèrent vers lui.

— Diane et Edward, allez prendre l’air avec Declan, puis rentrez chez vous sans repasser par ici. Judith, va te distraire et voir des amis.

Le frère et la sœur protestèrent, je les laissai faire et observai Jack ; il ne voulait pas être un poids et avait besoin d’être seul, en tête à tête avec le souvenir de sa femme. Il leva la main, ce qui les fit taire.

— N’attendez pas pour reprendre le cours de vos existences… je n’ai pas peur de la solitude. Je vais mener ma petite vie, ne vous inquiétez pas pour moi. De toute façon, cet après-midi, je ne resterai pas avec vous ici, je vais rendre visite à Abby.

Plus personne ne chercha à le contredire. Il se leva et commença à débarrasser. Je m’empressai de l’aider, Judith et Edward me suivirent. En moins de temps qu’il ne fallait pour le dire, la salle à manger était propre, et le lave-vaisselle lancé. Edward échangea une accolade avec son oncle et sortit rejoindre Declan dans le jardin. Judith s’approcha de moi.

— Désolée pour mon coup de sang, mais je m’inquiète pour vous.

— Je sais.

— On se voit demain matin, me dit-elle avant de quitter la cuisine.

Nous étions seuls, Jack et moi. Il me fit un grand sourire et m’ouvrit ses bras. Je m’y réfugiai.

— Merci d’être venue, ma petite Française…

— C’était ma place. Prends soin de toi…

— Tu sais que tu es ici chez toi.

— Oui, murmurai-je.

— Je ne te dirai rien de plus. Tu sais ce qu’il y a à savoir…

J’embrassai sa grosse barbe blanche, et m’enfuis de cette cuisine. Edward, Declan et Postman Pat étaient dans la voiture. Je grimpai à mon tour dans le Range Rover et claquai la portière.

— Où allons-nous ?

Je plongeai mes yeux dans ceux d’Edward, interrogatifs. Au loin, j’entendis la ceinture de Declan se détacher, il se glissa entre nous en s’accoudant à nos appuis-tête. Je palpai toutes les questions, les hésitations d’Edward.

— Encore quelques heures, lui dis-je.

Sa réponse : allumer le moteur et prendre la route.

Le reste de l’après-midi fusa. Edward me fit découvrir une autre petite partie de la Wild Way Atlantic. Il poussa jusqu’aux premières falaises d’Achill Island. Declan monopolisait la conversation en jouant le guide touristique. Nous échangions des regards complices avec Edward en l’écoutant étaler sa science. Nous tentâmes le diable en sortant de la voiture alors qu’il pleuvait des cordes. Et ce fut trempés jusqu’aux os que nous rentrâmes au cottage. Edward commença par allumer un feu de cheminée et envoya son fils se doucher. Je le suivis à l’étage et enfilai des vêtements secs. Pendant que Declan se lavait, je retapai son lit, rangeai le bazar dans sa chambre, et préparai ses affaires d’école pour le lendemain. Quand il me rejoignit, il se dirigea vers moi.