— Diane… Diane…
Je levai mes yeux embués de larmes vers Olivier, qui m’appelait doucement.
— Je vais la prendre, d’accord ?
Je hochai la tête. Tétanisée, j’observai Olivier s’occuper de cette enfant comme s’il avait toujours fait ça. Il la prit contre lui, lui parla et la tendit à celui que je devinai être son père. Puis il revint vers moi, et me prit par la taille.
— J’ai besoin de Diane en cuisine ! dit-il à la volée.
Avant de quitter la pièce, je croisai le regard désolé de Félix. Mon ami était blanc comme neige. Olivier nous enferma dans sa petite cuisine, ouvrit la fenêtre, sortit un cendrier d’un placard et me tendit mon paquet de cigarettes, qu’il avait dû attraper sur le chemin sans que je m’en rende compte. J’en allumai une en tremblant, et en pleurant. Olivier respecta mon silence.
— Je suis désolée, lui dis-je.
— Ne dis pas n’importe quoi, personne n’a rien remarqué. Quand bien même, ils n’ont rien à dire. Tu veux que j’aille chercher Félix ?
— Non…
Je reniflai, il me tendit un mouchoir.
— Je ne suis plus normale… Je ne peux pas… je ne peux plus voir des enfants, des bébés… ça fait trop mal. Parce qu’à chaque fois ça me rappelle qu’on m’a pris ma fille, ma Clara, l’amour de ma vie… je n’accepterai jamais ça… je ne pourrai jamais oublier… passer à autre chose…
Je hoquetai. La crise de nerfs n’était pas loin. Olivier s’approcha de moi, essuya mes joues, et me prit contre lui. Je me sentis tout de suite mieux, j’étais en sécurité, je le sentais tendre et doux. Il ne profitait pas de la situation. Petit à petit, je retrouvai une respiration normale. J’étais en confiance avec lui, mais le voir avec ce bébé dans les bras confirmait ce que je craignais au fond de moi, et qui m’empêchait de me laisser aller avec lui.
— Je ne suis pas une femme pour toi…
— Quel est le rapport ? me demanda-t-il doucement.
Je me détachai de lui.
— Si ça marche entre nous…
Délicatement, il me reprit contre lui, je me laissai faire.
— Je n’ai aucun doute là-dessus ! m’annonça-t-il en caressant ma joue.
— Je ne pourrai jamais t’offrir d’enfant. Je n’en veux plus… La maman que j’étais est morte avec Clara.
— C’est ça qui te retient ?
— Un jour ou l’autre, tu voudras fonder une famille, je t’ai vu avec ce bébé, tu as adoré la prendre contre toi. Je m’en voudrais de te faire perdre ton temps, trouve une fille qui veut des…
— Chut !
Il posa un doigt sur ma bouche, et me regarda dans les yeux.
— J’aime les enfants, c’est vrai, mais je les aime surtout chez les autres. Ce n’est pas un but dans ma vie. Je suis convaincu qu’un couple peut se suffire à lui-même. C’est tout ce que j’attends d’une histoire entre nous, rien de plus, je te le promets. Les enfants, nous avons tout le temps pour y penser… Nous pourrions tenter l’aventure et faire un bout de route ensemble, finit-il avec un sourire.
La vie pouvait être plus douce avec un homme tel que lui comme compagnon. Ses bras étaient forts et protecteurs, son regard noisette doux et rieur à la fois, son visage expressif. Je n’avais plus qu’un pas à faire. J’approchai doucement mon visage du sien, et posai mes lèvres sur les siennes. Il resserra son étreinte, j’entrouvris la bouche, notre baiser se fit plus profond, je m’accrochai à son cou. Olivier finit par poser son front contre le mien. Il caressa ma joue, je fermai les yeux en souriant.
— Je donnerais n’importe quoi pour qu’ils disparaissent tous, à côté, me dit-il tout bas.
— Et moi, donc !
— Si c’est trop dur, je te raccompagne chez toi.
— Non, je veux rester.
— Compte sur moi pour ne pas te laisser une seule seconde.
Nous échangeâmes un nouveau baiser, long, intense. Pourtant, il fallut nous contenir. Nous nous séparâmes de quelques centimètres, légèrement à bout de souffle.
— On y retourne ? me demanda Olivier, une moue boudeuse aux lèvres.
— On n’a pas trop le choix.
Nous attrapâmes sur le plan de travail les plats pour le dîner — il nous fallait faire diversion. Avant d’ouvrir la porte, Olivier m’embrassa une dernière fois. J’eus beau faire, je n’échappai pas à l’interrogatoire visuel de Félix : il voyait que j’avais pleuré, mais qu’il y avait autre chose aussi. Quand il comprit, il ouvrit les yeux comme des billes, et m’envoya un clin d’œil lubrique. Je passai tout le reste de la soirée aux côtés d’Olivier. Je pus rapidement me détendre, car le bébé fut couché, et on ne l’entendit pas broncher une seule fois. Lorsque nous sentions que la curiosité à notre égard retombait, nous arrivions toujours à nous effleurer. Je survolais les conversations, ne pensant qu’à ce qui venait de se passer, impatiente de me retrouver seule avec Olivier.
Félix réussit à me coincer.
— Tu rentres dormir chez toi ?
— Je ne sais pas, mais ne m’attends pas pour partir.
— Alléluia !
Tout le monde s’en alla. Sauf moi. Dès que nous fûmes seuls, je fis les deux mètres qui me séparaient de lui et retrouvai ses lèvres en me collant contre son corps. Mes mains pouvaient enfin le découvrir, les siennes se baladaient déjà sur ma taille, dans mon dos.
— Je peux rester dormir ici ? murmurai-je contre sa bouche.
— Comment peux-tu me poser cette question ? me répondit-il.
Sans m’éloigner de lui, je nous entraînai vers sa chambre et son lit… Ce ne fut pas un désir brut qui m’anima en faisant l’amour avec lui ; j’avais soif de tendresse, de contact, de douceur. Olivier était précautionneux dans chacune de ses caresses, chaque baiser. Il prenait soin de moi ; il ne cherchait pas son plaisir, il ne voulait que le mien. Je sus que j’avais rencontré l’homme qu’il me fallait. En m’endormant un peu plus tard dans ses bras, je me dis que je n’étais plus la femme de Colin, j’étais juste Diane.
Le mois qui suivit, je redécouvris la vie de couple. Nous nous voyions tous les jours, sauf le dimanche : hors de question de renoncer à mon brunch avec Félix. Je dormais régulièrement chez lui, le contraire, moins souvent. J’éprouvais encore certaines difficultés à dévoiler mon jardin secret. Il ne m’en tenait pas rigueur ; il me laissait toujours venir vers lui quand j’étais prête.
L’été était là, j’avais annoncé à Olivier que je ne comptais pas fermer. S’il fut déçu que l’on ne parte pas en vacances ensemble, il n’en montra rien. En cette soirée de début juillet, nous prenions un verre en terrasse, lorsque je lui proposai une alternative.
— Nous pourrions nous faire un week-end prolongé ?
— J’y avais pensé, mais je me disais que tu n’avais peut-être pas envie de partir avec moi, en fait, m’annonça-t-il avec un sourire en coin.
— Idiot !
Il rit avant de continuer :
— Sérieusement, je sais que tu ne veux pas t’éloigner des Gens.
— Tu as raison, ça me fait peur, mais tu es là maintenant, et on ne partira pas longtemps. J’espère que Félix pourra assurer…
Ce soir-là, Olivier dormit chez moi.
Le week-end prolongé du 14 Juillet tombait à point nommé. J’allais devoir me séparer des Gens quatre jours, et briefer Félix. Olivier avait tout organisé : destination, billets de train, hôtel. Cependant, il trouvait que je ne m’octroyais pas assez de congés. L’avant-veille de notre départ, il manigança avec Félix pour que je m’accorde un après-midi supplémentaire, « pour faire le test », se justifièrent-ils. Pour mon plus grand bonheur, ils s’entendaient comme larrons en foire, Olivier riait de toutes les extravagances de Félix et ne portait pas de regard critique ni jaloux sur notre amitié complice et fusionnelle. Quant à Félix, il voyait en Olivier le successeur de Colin, il appréciait son humour et surtout le fait qu’il ne pose jamais de questions intrusives sur ma famille perdue.