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Son sourire a disparu.

Elle en fait autant.

Ouf.

Je me remonte tant mal que bien sur mon oreiller pour attendre la suite de ma vie, laquelle vie se met à ressembler à la fuite d’une conduite de gogues.

Malnourry ne tarde pas à revenir.

— Comment vous sentez-vous, monsieur le commissaire ? s’inquiète l’O.P.

— Je devrais me faire sentir par quelqu’un d’autre, car je me sens plutôt mal, riposté-je, en puisant dans les réparties béruréennes, vu un manque très net de phosphore.

— Cet asile est en folie, ronchonne l’aimable policier.

— N’est-ce point là sa vocation, mon bon ?

Lui, l’humour, c’est au compte-gouttes et dans beaucoup d’eau ; aussi ne réagit-il pas.

— Je venais vous apporter un message d’Alexandre-Benoît Bérurier, me dit-il en tirant de sa poche une enveloppe grise tachée de café au lait, de vin rouge, de beurre et de jaune d’œuf. Sur l’enveloppe on peut lire la raison sociale de l’expéditeur : Gaz de France, celle du destinataire : « Bérurier ». Elle contient une lettre rédigée sur la nappe de papier gaufré d’un restaurant à prix fixe (comme s’il restait des prix fixes à notre époque, mais va-t-en rebecqueter le vocabulaire, toi !). Soucieux de sceller ce pli malgré que la gomme du rabat soit inutilisable, ayant déjà servi, le Gros l’a clos avec une épingle de… sûreté, ce qui confère une certaine noblesse dix-septième siècle à son message.

Je libère la lettre de son sceau et la déroule. Le parchemin me déclare très exactement ceci : 

Mon vieu Paf,

Il a pas tors, le pohète qui dit que « Qui aime le vant récolte la trompette. » Magine toi que moi et l’arbi que j’ t’ai causer, on n’a retrouvait la gonzaisse cavait la blouze blenche. Ile s’agite de une sècreterre de l’incompatibilité. Attens, contourne la groce tache de gras qu’é la, saillet ? Bon. La gonzaisse elle dit come sa qu’ cé un môssieu dont elle l’a prix pour un nain-gêneur des travots qui l’eusse priait d’avertire l’arbi vu qu’elle sans n’allé cheu z’elle étante à la fin de son sairvisse. J’i ai demender le cygne alleman du mec, ce don t’elle m’a fourni. Pour comble ed bonne heure un fou d’isi quétaient en sien policié et qu’en n’a gardait les marotes et qui samuse a relevait les numéraux miralojiques de toutes les z’autos qui vient t’isi, attens, contourne le ron de la boutaille, t’i yet ? Bon.

Un vrai décryptage. Je préfèrerais étudier des hiéroglyphes égyptiens plutôt que de traduire une babille du Dodu. J’en chope mal au bol, à force de surattention.

Je marque un temps de repos. Malnourry qui vient de sortir une boîte à pilules de sa vague me demande :

— M’autoriseriez-vous à boire un peu de votre Évian, monsieur le commissaire, c’est l’heure de mon Colargol-infrademeuré ?

— Faites, mon vieux…

Il se verse une rasade de flotte et gobe sa grosse pastille jaune en prenant des mines.

Moi, je retourne à mes décodages : 

Le fou m’a fourny t’une litz dai numéraux don il a noter. Je m’ai mets t’en chasse pour si dé fouas sa donné quéquechosse. Fé-toi du lard en m’attendre et inquète-toi pa : dan 100 t’ans on n’ parlerat plu dé tousse sa. Ton paute :

Béru.

Brave toutou. Les chiens de chasse, y’a que ça de vrai.

Je dépose la missive dans le tiroir de ma table de chevet métallique. En moi itou, il reprend le dessus, l’esprit combatif. Je pense au pauvre Walter Klozett. Il savait qu’on allait le liquider très vite et il en était tellement certain qu’il s’offrait au danger en circulant à pied, en rase campagne. Effectivement, des gens voulaient lui faire sa fiesta. Des gens qui eux aussi le surveillaient et donc, avaient pigé notre manège.

À distance… À grande distance. Sans doute disposaient-ils d’un équipement radio aussi perfectionné que le nôtre et captaient-ils nos messages ? Quand ils nous ont vus lever le libéré, ils ont pris peur et ont décidé d’en finir. Alors ils ont préparé cette embuscade. Ils espéraient, à la faveur d’un accident sans gravité, avoir l’occasion de neutraliser leur homme. Je ne prétends pas que les choses se sont déroulées ainsi, mais je pense que c’est infiniment possible…

— Monsieur le commissaire ! appelle Malnourry.

— Oui ?

— Il faut que je vous fasse un aveu.

Rare pour un flic, de faire des aveux. Même lorsqu’il est en état d’arrestation, le poulaga a tendance à ergoter. Orfèvre comme il est, tu parles s’il l’a belle de battre à niort.

— Un aveu de quel ordre, ma vieille ?

— J’ai tripoté un petit garçon dans un cinéma, la semaine dernière. Disons, un tout jeune homme. Ce fut plus fort que moi. Et puis, il faut que je vous avoue une chose : je trompe beaucoup ma femme. Tous les jours. Avec notre voisine impotente, si je disais. Une femme pas mal d’ailleurs. La cinquantaine, des traits réguliers. Elle a des rhumatismes et ne peut pratiquement pas se mouvoir. Le matin, je l’aide à faire son lit. Je n’ai jamais pu résister à la vue d’un matelas. D’un matelas nu, sans drap. C’est plus fort que moi. Un matelas et je bande, commissaire. Tous les jours, en arrivant, je suis décidé à garder mon self-contrôle. Mais sitôt que je rabats le drap pour retourner ce foutu matelas. D’autant qu’il est rigoureusement mon genre, comprenez-vous ? Dans les tons beiges, à gros carreaux bleu foncé et blancs. Et c’est son capitonnage surtout, qui me porte aux sens. À l’ancienne. Avec d’énormes points en forme de pompons. Je peux pas résister. Alors, de ce fait, ma paralytique : rrran ! Elle m’insulte, ça m’excite de plus belle. « Dégoûtant personnage, me dit-elle. Vilain dégueulasse ! Goret ! » Une extase, commissaire ! Un bonheur ! Le pied, quoi. J’ai des instincts sexuels très bas. Et je m’en réjouis. Je ne peux pas arriver à le déplorer. Le vice, c’est une manière d’être vraiment soi-même, comprenez-vous ? Notez que j’en ai d’autres. Tenez, mon grand plaisir, c’est de donner des coups de fil anonymes. Si vous saviez comme c’est bon. Je fais un numéro, pris au hasard dans l’annuaire. J’entends une voix de femme. « Madame Untel ? — Oui. Ici quelqu’un qui vous veut du bien, votre mari est-il là ? — Non, c’est à quel propos ? — Au sien. J’ai le regret de vous informer qu’il a une maîtresse. — Mon Dieu, mais qui êtes-vous ? — Le mari de la dame en question. Je les observe parfois, sans qu’ils s’en doutent, par un trou de la cloison. Ce qu’il lui met, le bandit. D’abord, il la broute, ensuite il se fait déguster. Mais le tout beau, c’est leur étreinte en soi. C’est un casse-sommier, cet homme. Ma femme gueule de plaisir… » Oui, et cœtera, tout ça, plein d’inventions. Parfois la personne réagit. « Monsieur, mon mari a soixante-quinze ans ! » Ou bien raccroche, purement et simplement. Mais dites, quand ça biche, ce régal ! Je sens monter l’angoisse, le chagrin. Il est des crédules, malléables, vite à point, sur lesquelles on peut travailler en artiste, aller loin dans les précisions ; qu’on chauffe comme de la cire et qui ramollissent. J’ai obtenu des sanglots, moi qui vous parle, commissaire. Des vrais, très profonds. Je suis certain d’être à l’origine de divorces, moi qui vous cause, et qui sait : de suicide peut-être ?

« Vous ne me pensiez pas fumier à ce point, hein ? Ça vous en bouche un coin. Si je vous racontais tout, va… Ma jalousie. Ça aussi : ma jalousie. Vous, par exemple, combien vous pouvez m’exaspérer avec votre belle gueule et votre petit côté cascadeur. Pauvre con ! Vous vous prenez pour quoi ? Vous mijotez dans vos dégueulasseries comme un gratin au four. Je regrette que la folle que vous vous êtes tapée ne vous ait pas franchement massacré, bien en plein. Je serais allé à vos funérailles pour le plaisir de marcher derrière votre carcasse de salopard. Bon, qu’est-ce que je pourrais vous apprendre encore sur mon compte ? »