La pompeuse est réfléchie, qu’elle soit amoureuse ou bêtement professionnelle. Sérieuse et nostalgique, soucieuse du parfait aboutissement de sa mission, en appréhendant, sans doute, les conséquences gastronomiques, et — qui sait ? — rêvant de n’avoir point à tant ouvrir la bouche et moins longtemps, ce qui entraîne inévitablement une désagréable fatigue du maxillaire. L’homme se livre, confiant. Cette engouffrance le comble. Il s’en remet à la technique, ne se pose pas de questions dégodantes qui altéreraient sa glorieuse libération. Il a des mots brefs de commandement pour rectifier la cadence, la calmer ou, au contraire, l’accélérer. Il est debout sur sa dunette de volupté, l’homme, à driver la manœuvre sans faille. « Pare à virer ! En avant toute ! » Le navigateur du désir, sûr de soi. Il a mis le cap sur l’archipel de la jouissance. Il sait contourner les écueils, contre vents et marées. Louvoyer en eau calme, ou bien foncer droit dans la tempête. C’est l’instant où la femme retrouve sa soumission originelle. Elle est simple mousse sur la galère de l’amour. Ses aspirations, si tu me permets, sont ravalées à celle du julot. Tzioup, glaoup !
Je suis tellement faiblard, que je capte un panard de gala. C’est bénéficiaire, l’épuisement, lorsqu’on t’éponge le Monseigneur. Tu pars dans des extases supra-terrestres. T’achèves en nuage. C’est de la pure décamouillanche authentifiée. T’ as le cachet de cire Cartier. Le paradis te pose les scellés. Une vibrante, chaude, mousseuse sensation de mourir bien, en extrême douceur, t’empare. Ton souffle se fait évanescent, ton regard chavire ; tu t’allèges à n’y pas croire, comme si la densité du foutre était mille fois celle du plomb. Un ballon rouge dans l’azur, qui file en remuant la queue dans des courants ensoleillés.
Evelyne me remet en place avant de partir.
Cette fois, je ne dors pas.
Ce qui me berce, m’ensevelit, c’est une félicité incertaine, douce et légère comme l’haleine d’une jeune fille venant de se confesser.
Mon regard languissant contemple les rideaux de tulle illuminés. C’est bath, la lumière. J’aime les grandes basculées solaires, quand le mahomed généreux arrose au grand jet un monde soudain purifié. Voilà que le besoin me prend de me chauffer à ses rayons. Sentir sa dure caresse sur ma gueule fatiguée… Bonnard ! Je m’arrache, véry flasque de mon pucier. La mignonne pipe à l’Evelyne m’a un peu déchiqueté l’énergie. Ramollo des flutes, Sana ! J’ai les cannes en mou de veau. Me souviens plus très bien comment on marche. Je sais qu’il faut mettre un paturon en avant. Ça oui, ça m’est resté. Mais after ? Au bout d’une période indécise et réadaptatrice, j’atteins la fenêtre. L’espagnolette-olé- est vioque, ouvragée, en forme un peu de pipe bavaroise. Je tire dessus. Les deux battants s’ouvrent. Bon, j’ai besoin d’un certain temps pour piger. C’est tellement surprenant. Tellement inattendu, étourdissant en fait de gag.
Derrière la croisée, à moins de dix centimètres, il y a un mur de briques. Entre la fenêtre et le mur, une barre de néon balance du voltage à tout va, créant cette sensation d’ensoleillement qui m’a attiré, tel un gentil papillon. Je reste là, debout, figé, béant de stupeur, de lassitude mentale, de détresse physique, d’anéantissement affectif, de ceci, de cela, de tout ce que tu voudras, m’emmerde surtout pas, le moment serait plus inopportun que jamais.
— Eh bien, eh bien, que vois-je ! mugit la cavale qui vient d’entrer. On se permet des promenades, dans son état !
Elle me bondit sur la coloquinte. Me saisit aux épaules afin de m’arracher.
— Ça veut dire quoi ? je balbutie.
Je désigne le mur de briques aveuglant la fenêtre.
— Qu’est-ce qu’il raconte, ce polisson ! glapitouille dame donzelle au teint verdâtreux.
— Ça !
Elle a un regard pour la croisée.
— Beau temps, hé. Le jardinier vient de planter les pensées dans le grand massif, c’est un artiste, vous ne trouvez pas ?
— V’ f’tez de ma gueule ! articulé-je péniblement.
Elle m’entraîne vers ma couche que je réintègre avec soulagement. Je pelotonne dans les draps. Ma tête bandée sous l’oreiller cherche l’oubli de tout. Ma raison s’en va en lambeaux. Elle pourrit, je sens bien. Se décompose… Tout à l’heure, Béru n’a-t-il pas appelé Malnourry par cette même fenêtre murée.
Je sens une sorte de doux bercement. Je dois dormir encore. Peut-être ma pauvre tête se videra-t-elle enfin de tous ces mirages, de ces illuses inquiétantes. Mais j’ai besoin de Félicie. C’est cela la clé de tout, le vrai mystère : l’absence de ma vieille. Pourquoi n’est-elle point à mon chevet ?
CHAPITRE VIII
Elle pose une bassine émaillée sur mon lit, contre mon flanc. Ses doigts agiles déboutonnent ma chemise d’hôpital. Je regarde le gant de toilette blanc qui, gonflé d’une poche d’air, flotte à demi à la surface de l’eau, semblable à une bête noyée.
Elle sent bon, cette blonde. Généralement, les infirmières traînent dans les plis de leur blouse des relents de médicaments. L’univers hospitalier a une odeur, partout la même, qu’il s’agisse de cliniques de luxe ou d’hostos grabataires. Une odeur qui effraie et engourdit.
— On va faire un brin de toilette, annonce-t-elle.
Sa main se coule dans le gant ruisselant. Une savonnette verte surgit, mousse sur le tissu grenuleux.
— Evelyne…
— Qui appelez-vous ?
— Vous. Vous vous nommez bien Evelyne, n’est-ce pas ?
— Quelle idée, mon nom est tout simple, vous savez : Jeanne. Comme Jeanne d’Arc.
— Mais, vous m’aviez dit…
La ferme, San-A. Tu sais bien que c’est le déraillage complet, total. Rien de ce que tu penses, de ce que tu vois, de ce que tu dis, n’a de valeur pour l’extérieur. Tu es un mec en faillite, en déroute. Sans vérité, sans crédibilité. Une chose organique qui fonctionne comme une plante verte dans un pot de terre. On t’arrose, on t’époussette. Mais ta présence n’est plus une véritable présence.
Evelyne… Pardon : Jeanne, me nettoie consciencieusement. Quand j’étais mouflet, M’man appelait cela : « se laver en sale ». Ce qui signifiait que je ne prenais pas un bain et me contentais d’une toilette de malade… Dieu, comme je me sens seul, abandonné, dans un dénûment que je ne pouvais imaginer.
— Je voudrais voir ma mère…
— Elle viendra bientôt.
— Ainsi que mon collègue Bérurier.
— Il ne tardera pas.
Bref, pour l’instant, ne reste plus qu’elle.
Sa blousette très courte est en partie déboutonnée. Elle a les jambes nues par en dessous et j’aperçois son slip bleu pâle. Je ne sais si c’est polissonnerie réelle ou besoin d’un contact physique, mais, tandis qu’elle est penchée sur moi, j’envoie la paluche dans son entre-deux.
Elle fait un saut de carpe.
— Qu’est-ce qui vous prend ! Non, mais ça ne va pas, bougre de dégoûtant !…
— Mais, enfin, Evelyne…
— Jeanne !
— Tout à l’heure, vous m’avez bien accordé une caresse… heu… très poussée ?