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Elle me fixe, hausse les épaules et lance cruellement.

— Vous, ça ne s’arrange pas ! Cessez vos privautés, sinon je me fais remplacer par une collègue qui vous coupera la chique. Une sorte d’ogresse qui s’occupe des furieux et qui administre plus de taloches que de remèdes. C’est elle qu’on envoie aux récalcitrants.

Encore un rêve ?

L’étrange, c’est cette humilité qui s’est installée en moi. Une humilité infinie, qui confine à la résignation. Je n’ai pas envie de m’insurger. Tout est bien… Déconvenant, surprenant, mais bien. Je me soumets de bonne grâce.

— Dites… Jeanne ?

— Quoi, encore ?

— Pourquoi a-t-on muré ma fenêtre ?

— Ah, on a muré la fenêtre ?

— Je l’ai vu…

Elle s’essuie les mains en maugréant, pose la bassine dont à présent l’eau est savonneuse sur un siège et enfonce une pédale, au pied de mon lit. Ma couche descend de quelques centimètres. La jolie blonde s’y attelle et, comme ce lit est à roulettes, me hale jusqu’à la croisée, qu’elle ouvre…

Le ciel est bleu, sans un seul nuage. Il doit faire chaud car un souffle tiède entre dans ma chambre. Un oiseau blanc, tout blanc, passe dans les nues sans presque remuer les ailes.

— Alors, on a muré votre fenêtre, monsieur Klozett ?

Je tressaille.

— Pourquoi m’appelez-vous Klozett ?

— Parce que c’est votre nom.

Elle décroche la feuille de température fixée au pied du lit.

— À moins que je ne sache plus lire ?

Elle brandit le papier quadrillé dans ma direction. Sur le haut de la feuille, on a assez bellement calligraphié ces deux mots : Walter Klozett.

J’ sais pas toi, moi, toujours est-il, ça me fait un effet.

Beuf.

Vache.

Et autres…

Je me dis :

— Cramponne-toi, Dudule, il fait du vent. C’est un délire de plus, rien qu’un lambeau de mensonge qui se sera dissipé dans un instant au profit d’un autre. Parce qu’à présent, mon existence n’est qu’un ballottement d’une illuse à une autre illuse, d’une stupeur à une incrédulité, d’une découverte effarante à son annulation pure et simple. Mes sens me tarabustent. Sont en folie, comprends-tu ? Ils moussent comme ce qui s’échappe d’un extincteur, noyant la réalité sous des flots moutonneux.

— En somme, c’est cela, être fou ? je dis à Jeanne.

— Quoi donc, monsieur Klozett ?

Que lui préciser ? Fumée, fumée…

Je m’en tire par un sourire.

Et, les yeux à nouveau fermés, j’essaie d’analyser le phénomène. Je tente de piger pourquoi je vois des choses qui ne sont pas, pourquoi j’entends des mots qui ne correspondent à rien. Pourquoi j’escalade les confusions comme les degrés d’un escalier… La journaliste de Paris-Gazette, infirmière… Elle s’appelle Evelyne, ne s’appelle plus Evelyne, mais Jeanne. Me suce… S’indigne parce que je me permets sur sa gracieuse personne des gestes déplacés… Béru va à la fenêtre, hèle un Malnourry que j’ai vu mort et qui pourtant se pointe. Je vais à la fenêtre, constate qu’elle est murée. Le dis à la blondissime fillette qui m’y traîne pour me montrer le ciel bleu dans lequel un oiseau blanc semble nager… Et puis je me nomme Walter Klozett. C’est écrit sur ma feuille de maladie. Et M’man n’apparaît toujours pas à mon horizon d’homme terrassé.

Allez, dors encore, San-A.

Dors, ma guenille.

CHAPITRE IX

Un train se rue sur moi. Monstrueux est son ferraillement. J’ai un terrible sursaut. Je m’éveille… Retrouve la chambre, nocturne de Chopin. Le fracas du train continue malgré que je sois éveillé, ponctué de son sifflet féroce. On dirait que le convoi me déferle sur la tête. Et puis le bruit diminue et cesse.

J’essaie de me dresser sur mon séant. Impossible. Des sangles m’entravent. Je suis rivé à mon matelas. Jésus sur sa Croix. Il pouvait quoi, le seigneur, avec ses clous dans les mains et dans les pieds ? Tourner la tête pour mater les larrons. Je tourne la tête… Mais je n’ai pas de larrons. Je suis seul. La pièce est presque obscure. Un fort clair de lune parvient à passer outre les rideaux et garde à ma chambre ses volumes en les estompant un brin…

Pourquoi m’a-t-on ligoté ?

Je me fous à gueuler.

— Quelqu’un ! S’il vous plaît !

Mais t’entendrais ma pauvre voix, tu ne la reconnaîtrais pas. Une fourmi qui appellerait à l’aide ferait plus de boucan. Je mesure ma faiblesse à la pauvreté en décibels de mes cris.

— Quelqu’un ! ! ! ! !

Personne.

Dedieu, je vais pas rester commako, immobile, saucissonné sur ce plumard comme une tête de veau mise à cuire dans son court-bouillon !

Je soulève ma nuque. Ça je peux… Avec les dents, je chope mon oreiller. Lui imprime un balancement de plus en plus rapide en secouant la tronche, puis je lâche tout. L’oreiller choit sur ma table de chevet métallique, balayant les fioles qui s’y trouvent. Fracas de verre pilé. Dans le silence entier de l’hospice endormi, sonnent comme des cloches tous ces verres et leur bris. Clinggg, dringgg, plinggg (et autres rimes en « inggg »).

L’effet escompté ne se fait pas attendre.

La jument radine au triple galop, plus vénéneuse que jamais, et Dieu sait combien jamais l’est !

— Qu’arrive-t-il ? Qu’avez-vous fait ? postillonne cette pernicieuse dame…

— Pourquoi m’a-t-on attaché ?

— Parce que vous vous agitiez si fort que vous risquiez de tomber du lit.

— Enlevez-moi ça, maintenant…

— Jamais de la vie. Le docteur a dit…

— J’enc… le docteur, riposté-je sans terminer le mot par des points suspensifs, ce qui le rendrait incompréhensif, comme quoi tu constates l’avantage du langage écrit sur le langage parlé. Il est souverain, le langage écrit. Les grands bavards de la création : les politicards, les avocaillons, ne feraient pas carrière s’ils présentaient leurs boniments noirs sur blanc. Ce sont des mecs acoustiques. D’ailleurs, ne les appelle-t-on pas des « ténors » ? Ils chantent, et la badauderie imagine qu’ils pensent. Moi, je leur préférerais un instrument à cordes ou à vent pour s’exprimer. La parole est à la défense. Tu vois le Floriot dégainer une flûte de son étui et en jouer un air au prétoire. Ou bien le Mitterrand, à la tribune, avec sa rose rouge démocratique au revers pour pas faire romantique, il pose son menton sur son violon et te mélode « Nuits de Chine, nuits câlines, nuits d’amour » à la manière de Stéphane Grapelli. Ça, oui, ça serait autrement vibrant que les mots qui court-bouillonnent dans toutes les professions de foi de gauche à droite : union, justice, démocratie, social, société, socialement, nani nanère, vive la France, l’arrêt public, la raie publique, l’art est pudique, mon cul, la commode, le peuple, Françaises-Français (une invention à de Gaulle, ça : Françaises, Français ; manière de faire mouiller les mémères, bien les annexer. Avant lui, on disait Français tout court, ce qui était très français quand même. Mais Pifadingue s’est pointé avec ses étoiles et ses grandes bafles hifies ; ses belles manières à particule par défaut ; alors vite : « Françaises, Français ». Il en a trempé des slips, le cher grand bougre, avec cette inventerie. L’œuf de Christoeuf Colomb en meurette, ce fut. Françaises, Français. Quand je l’ai entendu, la première fois, j’ai compris que c’était râpé. La France, il l’a conquise au féminin, tout simplement. Derrière t’avais les Mollet et consort qu’obstinaient à dire « Français ». Juste Français… Zob ! Dans le culte la balayette ! Les nanas ont fait tilt. Leurs bonshommes aussi, flattés jusqu’à l’os qu’on respectât ainsi leurs dadames, qu’on se montrât si parfaitement galant dans un pays où l’on jetait ses mégots dans les plantes vertes. Ah oui : la musique ! Bioutifoule. Y’a que ça de vrai.