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Je poursuis mon étrange exploration. Une porte donne dans ce minable séjour. Je crois entendre des bruits de respiration, et même des ronflements… J’écarte doucettement la lourde. La lumière de la pièce principale développe un rectangle de clarté jusqu’à deux matelas posés au sol sur lesquels roupillent la fille blonde : Evelyne-Jeanne, et un mec à moustache : le toubib. L’un et l’autre sont en slip. Je relourde. Inutile de les réveiller, même dans mon rêve.

Si on ne vivait pas ses cauchemars à sa guise, y’aurait plus qu’à se tenir éveillé, non ?

À l’autre extrémité du vestibule, une dernière porte. Elle donne sur une rudimentaire salle d’eau : un lavabo, une douche. Une vaste armoire métallique aux portes vitrées renferme des médicaments et autres ustensiles plus ou moins médicaux. À un crochet se trouve un peignoir de bain, en tissu éponge brun. Mieux que rien. Je le passe. Il est trop grand pour moi, mais grâce à la ceinture je peux tenir le bas soulevé. Dans l’obscurité il passera pour un manteau ou un imper.

Allez, Santonio, vis ton mirage jusqu’au bout.

La porte, la vraie, d’entrée, est solide, fermée au verrou de l’intérieur. Je fais coulisser ce dernier. Un tour de clé arrière. J’ouvre. Une bouffée de chaleur oppressante m’enveloppe instantanément. C’est si inattendu, si brutal que je recule. C’est alors que j’aperçois dans le vestibule un gros appareil caractéristique, destiné à fournir de l’air conditionné. Because mon pansement, je n’en avais pas perçu le ronronnement.

Soucieux d’en finir avec ce rêve saugrenu, je me jette littéralement à l’extérieur. J’avise alors des palmiers, nombreux, en touffes généreuses, quelques maisons géométriques disséminées au clair de lune. Il y a, tout proche, des dunes de sable, le ciel est d’une extraordinaire brillance.

Il serait p’t’être temps que je me réveille, non ?

Je voudrais qu’on remonte mon oreiller et aussi qu’on me donne quelque chose à boire.

CHAPITRE X

Seulement voilà : je ne me réveille pas. Le délire est impossible à contrôler. Il te prend, te lâche… Tu peux le déclencher, seulement, une fois qu’il a démarré, faut qu’il s’accomplisse la trajectoire.

Bon, moi je me figure dans un coin d’Afrique. Ces dunes, ces palmiers… Elle est plus vraie que nature, cette nature-là. Elle a une odeur aussi. Ça renifle le sable, la plante pourrissante et le piment en poudre…

Quelque part, dans le silence de la nuit, un animal lance un long cri triste. Il vient de blatérer, donc s’agit d’un dromadaire. Le braiement d’un âne lui répond. Et tout retombe dans une épaisse torpeur, limée en secret par des insectes affairés.

Il fait chaud. Je sors, nu-pieds… Des trucs me picotent les agacins. Je continue d’avancer, puis je me retourne. La construction que je viens de quitter est de style mauresque, comme les autres, c’est-à-dire qu’elle est cubique, avec de la dentelle au bord du toit et autour de la porte. La lampée de whisky que j’ai sifflée me tord un brin la tripe. Drôlement bien imité, mon mirage, tu ne trouves pas ?

Je marche… Le sol est évasif, mi-dur mi-sableux, et constellé de fétus piquants.

Je passe devant une maison obscure, puis devant une autre. L’âne nostalgique y va d’un nouvel appel de détresse. Ensuite, y’a le désert, ou assimilé, une étendue onduleuse, avec des touffes d’herbes, des palmiers isolés, une piste incertaine.

Je m’arrête. Les odeurs, les bruits secrets de la nuit, ce menu crépitement, sont-ce réellement des illusions ? Les accessoires d’un grand rêve comateux ?

Perplexe, ton San-A se dit : « Et si c’était du vrai ? Et si cela existait pour de bon ? »

Alors, quoi ? Où serait passé l’hospice psychiatrique de Normandie ? Dans un cas ou dans un autre, je me suis berluré, mais le sirop de songe, c’est maintenant ou avant ? Ici, ou ailleurs ? À quel moment de cette espèce de coma saugrenu ?

Je marche. À chaque pas une notion de danger naît et croît en moi. Comme je crois en toi !

Le sentiment perplexe que je dois fuir n’importe où, me planquer, car il y va de ma peau et de ma raison.

Je mate en arrière, comme le coureur échappé qui guette le déboulé féroce de ses poursuivants. Le rectangle de la porte ouverte. Je vois nettement le couloir éclairé. Vide… J’aurais dû relourder en m’en allant.

Où suis-je ? Cette piste qui largue l’agglomération part vers le mystère. Des dunes, et des dunes, en vagues stratifiées. Cela fait des plis, comme une pesante draperie, au clair de lune. Rien de fameux ne peut venir de cette voie.

Mais quoi ? Je marche dans la direction que j’ai adoptée inconsciemment. Tu poses un enfant au sol. Il se met à arquer, non ? C’est cela le destin : ce choix qui n’en est pas un. Cette option par éviction des autres possibilités. Spontanée.

J’atteins deux palmiers en « V » quand ça se déclenche. Un cri de femme me parvient. Net, malgré la distance. C’est la voix de la jument. Elle est parvenue à se dégager de son bâillon, et espère qu’elle te fait un solo de cordes vocales maison. Tout de suite, l’effervescence. La blonde jaillit, oui, tout là-bas, dans le couloir pas plus grand que comme ça, tu vois ce que je fais avec mes deux doigts ? Suivie du gros toubib à moustache. Les deux engouffrent la chambre. Et puis le toubib en ressort en gueulant comme cent un dalmatiens qui se seraient pris la queue dans une porte. Il est en pyjama. Sort. Court à une maison voisine dont il martyrise la porte à coups de poing. Le dromadaire y va au blablate. L’âne à la brayance. Des lumières paraissent. Et puis des hommes ahuris. Ça cause en arabe. Il parle l’arbi comme ton pompiste, le docteur. Les appels se répercutent. Des mecs radinent, sapés à l’hâte : juste un futiau et une limouille. Ils foncent à des jeeps. Déboulent, pleins phares. L’un des véhicules est même pourvu d’un projo fixé au pare-brise.

Alors, je rêve-t’y ou je rêve-t’y point ?

Combien y’avait de gus dans cette baraque voisine de mon « hôpital » ? Ils s’empilaient sur des rayonnages, c’est pas Dieu possible ! L’en débouche toujours. Lampes de poches… Une vraie sarabande. Tu croirais la descente aux flambeaux. Ils foncent un peu partout, principalement vers les autres maisons…

Certains se pointent dans ma direction. Alors, moi, Sana, je me dis textuellement : « Mon bijou, rêve ou pas, délire ou non, comporte ‘xactement comme s’il s’agissait d’une tranche de vie. » Ayant décidé, je me jette à plat ventre sur le sable… Je rampe jusqu’à me trouver dans un espace nu. La malice du mec. Je sais bien que lorsqu’on poursuit un évadé, on explore les endroits susceptibles de le dissimuler. Rien ne vaut l’étendue désertique. Faut que je m’y incorpore. Facile, le sable est fluide à cet endroit. En me trémoussant, j’y enfonce. Ça me dégouline dessus comme de l’eau râpeuse. Bientôt, j’ai que le visage qui affleure. Certes, de jour, je donnerais pas lerche de ma petite combine, mais quand t’as que le portrait de Mao pour t’éclairer, ça peut aller.

Ça va.

J’abstiens de broncher. Y’a grouillance tout azimut. À mon avis, ces gars sont des militaires. Leurs loupiotes vagabondent autour des palmiers, des buissons de cactus, des maisons… Les jeeps ronflent, passent. Le méchant projo balaie le paysage, me le révélant crûment. Je découvre des puits, des murets de pierres sèches, quelques oliviers biscornus.

Immobile comme la mort, le commissaire. Je te vas sentir bon le sable chaud, confiance. Pire que Messmer. Une belle assurance me fortifie. Chose étrange, je vis si intensément ce morceau de présent que je ne m’étonne même pas qu’il soit ainsi, ni qu’il ait lieu dans cette contrée lointaine… Dans les rêves, c’est du kif. Tu cherches pas, en les rêvant, d’en déterminer l’origine. Il se passe des choses que tu subis ou contrôles. Et c’est bien parce que c’est intense. Ça a la rigueur d’un tableau. Un tableau, il n’appartient pas à son environnement, mais concentre des émotions sensorielles sur une superficie donnée, hein ? Tu piges pas bien ? Tant pis, saute, on va se faire ch… la bite à t’éduquer en plein parcours, ça irait où, ça ? Moi, mon morceau de présent, il est placé dans mon existence comme un tableau sur le mur d’un musée. Y’en a d’autres avant, d’autres après, mais il est absolument autonome.