Fume !
J’en ai ma claque de toujours te baliser le parcours ; ça te rend cossard, mon pote. T’as les méninges qui poissent. Tu le sais que ton cervelet fuit ? Non ? Ben, regarde ton oreiller au réveil. Tu crois p’t’être que ça vient de ta brillantine, ces vilaines auréoles, pauvre blèche. Le prix de ce polar, c’est pas même une heure de femme de ménage au tarif syndical. Et tu voudrais que je te borde dans ta connerie, par-dessus le marka ? Et quoi d’autre, encore ? Que je passe l’aspirateur ? Que je te fasse des langues fourrées ? Pommade, va ! Tu peux courir. Les confidences à Baloche (au fait, j’ai pas déjà appelé un gus Baloche, dans un autre ?) je me les garde précieusement pour ma consommation personnelle, ma jouissance bourgeoise, mes vieux jours.
Si j’en ai !
Parce qu’alors, je peux quand même, sans majoration, te dire une chose : l’enfant se présente mal !
CHAPITRE XIV
L’âne bâté achève de trottiner et s’arrête.
Pas dommage. Car tu sais de quoi il est bâté, ce bourricot ?
De moi.
Je lui pends sur le dos, en « V » renversé, roulé dans une couvrante cradingue. Yamilé marchait en le tenant par la bride. On devait faire un peu fuite en Égypte, en ce cortège biblique ; sauf que sur les images pieuses, on représente le Joseph à pince-broque et Madame Marie en amazone sur l’aliboron. Tu parles d’une interprétation fantaisiste, mon neveu ! C’est mal connaître les gens de là-bas. Mère de Dieu ou pas, compte que c’est la Très Sainte Vierge qui arpentait le territoire, et Jojo qui tintinnabulait des roustons sur l’âne. D’abord, il en aurait été autrement, ç’aurait causé un scandale sur le trajet. Elle se serait fait retapisser sec, la Sainte Family. Il eût été illico pris à partie, le Joseph : « Non, mais ça va pas la tête ! Depuis quand sont-ce les mecs qui vont à pied ? Ça cache quèque chose, vos manigances. D’abord, qui c’est, ce mouflet qui ressemble à un petit Jésus ? Vous avez son certificat de vaccination pour passer la douane ? C’est louche, votre histoire, faut qu’on téléphone à Hérode tout de suite. Et ces auréoles, hein ? Ces auréoles, vous les avez achetées où cela ? À la Samar, p’t’être, là qu’on trouve de tout ? Vous avez la facture ? »
Non, crois-moi les déductions, petit homme ; c’est Joseph qu’était en first et Marie en Économique.
Yamilé me tapote les fesses. Le signal.
Puis désangle, et je me laisse couler au sol, avec soulagement, vu que moi, j’ai le sang à la tête, une posture commak.
Elle m’aide à me dégager de la couvrante. Je retrouve la nuit étoilée, les maisons cubiques aux ouvertures agrémentées de mauresqueries. On entend jacter, dans le noir. Des mecs qui palabrent sous la lune. Mais depuis la façade de mon ex-« hôpital » on ne voit personne. J’adresse une moue affectueuse à Yamilé et lui fais signe de gerber avec son alezan. Ils s’éloignent. Les petits sabots de la bourrique font un bruit de grêle sur le chemin et l’obscurité les empare. Me voici seul. Je pousse la porte. Ça résiste. Heureusement, je me suis confectionné un petit sésame de remplacement avant de venir, ce qui facilite mes pourparlers avec la serrure.
La maison est obscure. Les deux gonzesses ont dû être rapatriées depuis nos disparitions au toubib et à moi.
Je me repère, suivant les indications de Baloche (plus je réfléchis, plus je me rappelle m’être servi de ce blaze, mais ça ne fait rien, on va le garder). La pièce du fond, qu’il a précisé. C’est-à-dire celle où il dormait, avec Evelyne-Jeanne, la nuit de ma fuite. J’y vais. Dans un angle de cette chambre, chichement meublée de deux lits et d’une armoire de fer, se trouve une table chargée de matériel de laboratoire. J’allume et me mets à étudier les bouteilles rangées sous la table. Il m’a précisé une jaune. Et voilà une jaune. Au reste, le nom du produit est écrit dessus. Parfait. Maintenant, la bouteille de fer qui contient l’oxygène. Un tuyau y est branché, qui la relie au masque inhalateur. Bravo, merci ! Un pur velours. La fortune sourit vraiment aux audacieux. Je m’harnache. Faudrait te préciser, mon biquet, que je porte une gandoura à rayures avec capuchon. Je l’ôte. M’attache la bouteille autour du torse avec des cordes que si au moins elles avaient pu servir à un pendu ça me porterait peut-être bonheur. Je fixe le masque devant ma bouche, dévisse la capsule de la boutanche. L’oxygène arrive. Tout fonctionne donc pour le mieux. Je remets la gandoura, cramponne la petite bonbonne sous mon bras et repars…
Ils sont une demi-douzaine à peu près, devant la lourde, assis en tailleur sur leurs brodequins militaires.
Je me pointe, courbé en deux, en clopinant comme un vieillard. Ils ne me prêtent pas attention. Leur bavassage est véhément, guttural.
Ça fait dans ce genre : « Arrrhouhaménachouïabarkadchéholida. » Tu vois ? En loucedoche, je débouche mon big flaconard. Poum, la giclette sérieuse ! J’espère que le père Baloche (c’était qui, l’autre gonze que j’avais baptisé Baloche ?) ne m’a pas berluré.
Il m’a pas.
À peine l’aspersion a-t-elle eu lieu que mes soldats se foutent à tousser, et puis à chanceler, et puis à s’inanimer qui mieux mieux, que tu te croirais dans un film sur les gaz asphyxiants, madoué !
Les six… En six secondes, ce qui représente une seconde par tête de pipe, si mes prouesses en math ne sont pas foireuses.
Je pénètre dans leur minuscule caserne. Heureusement que je respire de l’oxygène pur, parce que ça doit fouettouiller vilain, je te le dis. La belle étable d’Augias. La ménagerie Jean Richard au bout d’un mois de grève.
Quatre autres gus fument, assis sur des grabats militaires. En me voyant rentrer, y’en a un, un gradé, qui se dresse et me lance d’un ton très apostropheur :
— Pârhallakéstuféla ?
À quoi je réponds simplement par une seconde giclée de mon flacon, lequel, tu l’as déjà deviné pour peu que t’aies un minimum de connaissance en chimie, contient du « Tédèêum bifoireux forniqué », liquide inamovible et périscopique qui a la propriété de se transformer en un puissant gaz soporifique lorsqu’il est placé au contact de l’air. Une cuillerée à soupe suffit pour endormir le Palais des Congrès, tu juges ?
Bon, mes quatre z’autres troufions partent en rêves. J’inventorie la crèche. Ne reste plus qu’un zig, en cuisine. Un brave Noir, complètement noir, qui se cogne la vaisselle, c’est-à-dire qu’il finit le couscous d’une gamelle. J’hésite, mais, désireux d’avoir les coudées franches, je lui vote une mignonne éjaculation de ma boutanche et il plonge dans la semoule sans me faire languir.
Me voici donc maître unique et absolu de ce casernement de désert. La première partie of l’opération a réussi avec une telle facilité que je crains de la rêver, une fois de plus.
Alors, au turf, San-A.
Je dégauchis le poste émetteur reliant ce détachement à son P.C. Quelques coups de talon judicieux le transforment en décombres. Après quoi, je m’approche des râteliers d’armes. Ne pouvant manger à tous, je me contente de deux mitraillettes de fabrication soviétique avec une belle provision de balles. Je ressors du cantonnement pour gagner un appentis voisin où sont remisés des véhicules militaires. J’opte pour une Land Rover et j’y dépose des armes. Après quoi, je réunis les jerricans d’essence disséminés dans le garage et les bagnoles et les charge dans la Land Rover. À l’aide d’un couteau effilé, je crève largement tous les boudins des autres guindes.
Bon, quoi, encore ? Oh, si : la bouffe, la flotte. Facile, y’a tout ce qu’il faut dans le bâtiment. Un baril d’eau me suffira. Je chope des trucs qu’ont pas l’air tellement comestibles, mais qui doivent permettre pourtant à un individu de subsister quelque temps.