Il cueille le toubib d’un coup de tatane dans les joyeuses. Le doc se répand, mais pas suffisamment prompto pour éviter un uppercut au bouc qui ferait un trou dans la muraille de Chine.
Le K. O du doc n’apaise pas le Mastar pour autant.
Il se jette sur la table supportant le matériel, la renverse, piétine le tout d’un pied de bulldozer.
— Vampires ! Négrieurs ! Fliquicides ! qu’il repart. Je te vas vous en fout’ de vos espériences à la mords-ma-bite-si-t’aurais-le-clapoir-assez-grand ! Te vous en fournirai du lessivage de citron, mézigpâte ! Bougez pas, que je te vous la répare vot’ usine à rend’ gâteux ! Et lui, là-haut, le pire, le sale paf moisi, qu’ose pas radiner sa vilaine bouille de colique hépatique…
Il désigne la petite tribune surplombant le manège. Elle est plongée dans l’obscurité. Pourtant, on distingue une silhouette.
— … lui, là-haut, qu’est l’ordurerie faite tome ! Qui se planque comme un montreur de marionnettes ! Annonce un peu ton nez, gueule de bite !
« Viens que t’ fasse ta fête, vidangé ! Jus de bidet ! Tarte molle ! Chaude-pisse en vadrouille ! Peau de burnes ! Engelure ! Garcerie ! Diarrhée ! Fond de poubelle ! Glave de tubar ! Radine, que je te dis, avariure ! Trou de chiottes ! Viens la montrer, ta triste bouille, elle est belle comme du foutre dans un mouchoir !
La silhouette se dresse. S’approche de la balustrade.
Le temps de reconnaître le Vieux.
Et je perds connaissance.
CHAPITRE XXIV
— Bon Dieu de bois, se peut-ce-t-il : des misérableries pareilles ?
Je suis parti en vidange (ou en vie d’ange) sur des litanies du Gros. J’en reviens comme. Faites votre voyage de noces en litanies ! Je me grapouflarde les bagoules. Ouf ! Et comme sa Seigneurerie Béruréenne répète :
— Se peut-ce-t-il donc ! Se peut-ce-t-il vraiment !
Je lui emboîte l’exclamance. Je regarde le Tondu descendre lourdement l’escalier de bois conduisant à la tribune. Il a le pas lourd, Mister Viocard ! Il est massif dans sa pelisse à col d’astrakan. Il porte un feutre léger, noir. Son visage, tu dirais une tête de mort roulée dans la farine, tellement qu’il est hâve, blanc, dévasté par la fureur glacée.
Tu croirais que son approche fait taire Gradube ? Au contraire, elle le survolte.
— Misérable ! grince le Boss, vous avez fait échouer l’expérience alors qu’elle était sur le point de réussir.
— Le point de réussir mon cul, eh, Banane !
Textuelle, la réponse à Alexandrovich-Bénito.
— Quand je regarde la manière que vous l’avez miné, mon Sana, avec vos conneries de gâteux, ça me donne pour ainsi envie de vous pisser contre, bougre de vieille foirade ! Vous l’avez vue, sa frime, à mon pote ? Vous l’avez-t-il bien regardée, dites, morpion de pou de puce ? Sa cervelle, à c’t’ heure, c’est plus qu’une colique, au Santonio ! Et jusqu’à sa pauv’ mère que vous avez z’eu le triste courage d’embarquer dans cette aventure. Mais ça n’ s’ passera pas comme ça, mon petit bonhomme. Je vais aller déposer une plainte sur le parquet, illico presto. Et on est en Suisse, ici, l’ami. Que vous seriez chef de la Rousse, ils s’en pognent le panais à deux mains, les suissagas, à s’en faire gicler le potage plus haut que leur jet d’eau de Genève. On déconne pas avec la santé d’un homme, ici, l’ami. On jongle pas a’v’c sa raison comme avec une capsule de bière. Je serai témoin de tout, je dirai. Laissez que vous comparuriez devant les tribunals de par ici. La Justice de Berne, v’s’ avez s’entendu causer de sa raideur, j’espère ? Te vont vous saler, mon pas-beau. Vous laisser moisir l’indéfrisable dans une fosse de bas-cul !
— Et vous aussi, grossier personnage ! aboie le Vieux, car vous avez adhéré à l’expérience de bout en bout.
— La ferme, ou je fais adhérer mon 46 de garçonnet à tes miches vieillardes ! beugle le sanguinaire.
Il regarde à la ronde.
— Vous savez que jui étranglerais le cou si je me retiendrais pas, à cette calamité dégoulinante. Y n’ serait point passé Vieillard professionnel depuis un demi-siècle qu’il y resterait déjà plus un cerceau !
— Béru ! Béru ! Mais c’est de la folie ! clameugle Malnourry, lequel vient de retrouver son souffle. Vous oubliez à qui vous parlez !
Alexandre-Benoît croise les bras.
Se tourne vers son coéquipier.
— Tiens, la famille sucette qui fait son petit numéro de tum’lapompes ! Lèche, mon gamin. Lèche bien. Un vrai clébard, cécoinsse ! Y’aura jamais assez d’oignes pour y apaiser la menteuse. C’est Misteur Feuille-de-Rose, dans son grand numéro de gourmandise. T’as jamais donné ta vraie façon de penser à un supérieur, toi, hein, ma guêpe ? Dans ton calbute, y’a juste la marque du fabricant ! Car t’imagines, dis, boug’ d’étron-sans-sucre, qu’on va continuer de marner sous les ordres de cette vieille tirelire, après un bigntz pareil ? Tu y crois pour de vrai ou si tu ferais semblant, hein, Judas ? Ma démission, je lui octroie, en bonnet haut de forme ! Et j’y ajoute celle à Sana, que lorsqu’il aura récupéré un peu, ce pauvret, ce sera sa première rédaction. Y’en a classe de vos manigrées et de vos simagances, la Volaille. C’est de l’outrepassage d’autorité.
« Allez, viens mon Sana. Viens, mon pauv’ pote, que de te voir pareillement grimé, j’aurai honte jusqu’à la fin de mes jours d’avoir prêté la main à c’t’ comédie. Cent fois j’ai failli tout espédier aux gogues, tellement ça me turluqueutait, leurs séances, à ces vilains gueux… Remets-toi, Biquet. Tiens, prends mon bras, tu te sentiras plus fort. On va carapater de leur ménagerie à ces veaux. Tu peux marcher, Grand ? Oui. Mollo, on n’est pas pressé. On aura tout’ la vie devant nous. Attends que j’t’ôte ce casque… Viens, ma fleur de pote ; viens, p’tit mec. On va passer récupérer Maâme ta vieille, au chalet. Et pis recta, prendre le dur à Lausanne, pour Paris. Le T.E.E. met pas lerche de temps… Ce soir on y sera et on se cognera une bouffe géante, chez moi. Je dirai à ma Berthy de nous faire son menu sauvage ; le mastar, très magistral, a’v’c du foie gras frais et consort. Tout au roteux, mon poussin, sauf turellement pour le fromage dont au moment duquel j’ouvrirai un boutanche de Chambertoche.
Il m’entraîne. Et c’est vrai que je tiens son bras. Et c’est vrai que je me sens rassuré, guéri. Tiens, voilà le mot : guéri ! Guéri par mon gros Pépère. Il sent la fondue, Béru. Il est fort. Formidable.
On ne prend pas le train tout de suite.
Il a gerbé, déjà, le T.E.E. Alors, plutôt que, dans mon état, se farcir un teuf-teuf nocturne, on décide de passer la noye à l’hôtel. Je suis si faiblard. Si ruiné du cibouloche. Si humilié de l’âme. Ma pire aventure, les gars. Et c’est au Vieux que je la dois !
On se prend trois piaules au Lausanne Palace. On se fait servir en chambre un repas composé par Mister Mastoc. Repas surprise !
Je suis allongé sur un fauteuil. Convalescent à outrance. Libéré mais chétif.
— Bon, soupirè-je. À présent j’aimerais bien qu’on m’explique.
Car j’ai préféré attendre que le gyroscope en action sous ma coiffe s’arrête un peu avant de plonger dans les révélances. Ça fait déjà si longtemps que je patiente, que je ballotte… Un peu plus, un peu moins, si c’est pas vous qui l’avez c’est une autre, comme disait Henri IV en reboutonnant sa braguette.
— M’man, toi ici… C’est le plus dur à piger…
Ma Félicette éclate en sanglots. Alors le dear Béru, le gros Saint-Bernard des neiges, pose sa papate sur l’épaule à ma vieille.