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Ploff, commak, en le défrimant bien dans les quinquets !

— Je n’ai pas du tout l’intention de vous faire revenir sur cette décision, San-Antonio, rétorque gravissiment le Dabe. Votre lettre a déjà été communiquée à qui de droit, et on m’a confirmé cet après-midi qu’elle se trouvait entérinée. Donc, vous ne faites plus partie de la Police Française.

Fallait qu’il ajoute « Française », le vieux Cocorico !

M’man a un sanglot brutal au fond de sa gorge et se sauve pour aller pleurer dans sa cuisine.

— C’est en ami que je viens, San-Antonio.

— En ce cas, veuillez entrer, monsieur. Et me pardonner de vous recevoir en tenue d’intérieur.

Il pénètre dans notre petit salon. La plante verte, dans son pot, a un côté avant-guerre. Et d’ailleurs, je ne suis pas certain qu’elle ne remonte pas à avant la guerre, faudra que je demande à ma vieille.

Il dépose son lardeuss sur un dossier, le chapeau en équilibre par-dessus.

— Que puis-je vous offrir, monsieur ?

— Vous avez un doigt de vodka ?

— Naturellement.

Je lui verse une rasade de camionneur.

— Pardonnez-moi, elle n’est pas frappée.

— Aucune importance. Savez-vous ce qui m’amène, San-Antonio ?

— Je n’en ai plus la moindre idée.

— Je tenais à vous donner quelques explications.

— À quel sujet ?

— Au sujet de l’affaire Klozett, et au sujet de ma conduite.

Je ne bronche pas. Je lui fais l’injure de ne rien boire, moi. Il a son glass, comme le facteur quand il vient pour un recommandé, et mézigue je reste drapé dans une dignité glaciale.

— D’abord, l’affaire Klozett, elle est résolue grâce à une coopération franco-algérienne.

Je ne puis m’empêcher de m’écrier :

— Vraiment ?

— C’est Bérurier qui nous a mis sur la voix. Vous savez que nous l’avons « cuisiné » pour commencer, avec le professeur Baloche ?

— Oui. Il a prononcé le mot Libye ?

— Il a fait mieux : sans s’en douter, il nous a rapporté les dernières paroles de Walter Klozett.

— En Libye, tous en camion ?

— Je vois que ce gros Poussah vous a fait ses confidences.

— En effet. Alors ?

— Alors j’ai mis le paquet, mon cher. Rassemblement général de tous vos collègues. Techniciens de labo, agents du contre-espionnage, j’en passe et des…

— Et puis ?

— Vous savez comment les écoliers appellent Toutânkhamon quand ils étudient l’Égypte ?

Je bondis :

— Tout en camion ?

— Voilà. Klozett a dit : « En Égypte, Toutânkhamon. » De fil en aiguille, on a découvert le fin mot. Et il est de taille. Klozett était un aventurier qui travaillait pour le compte du Shin Bet israélien, bien que lui-même ne soit pas Juif. À la tête d’une bande organisée, il a réussi le coup du siècle : substituer à la statue de Toutânkhamon une copie, pendant que celle-ci a été exposée à Paris.

— Pas possible !

— Et cependant vrai, San-Antonio.

— Mais dans quel but ?

— Vous ne devinez pas ? Supposez que demain, le Caire découvre que ce qu’il détient n’est plus le vrai Toutânkhamon, mais une copie. Vous voyez la position de la France, à qui la statue fut prêtée, face à un scandale pareil ? Israël se réservait ce fantastique moyen de pression sur notre pays. Révéler la substitution au gouvernement français et menacer de faire éclater la vérité s’il s’obstinait trop dans sa politique pro-arabe. Génial, non ?

— Mieux que ça encore : for-mi-da-ble !

— Seulement, il y a eu un os. Et cet os s’appelait Walter Klozett. Ce filou de haute volée s’est arrangé pour duper ses partenaires. Pendant qu’il emportait la vraie statue à Tel-Aviv, il a posé son Mirage 20 dans le désert libyen et l’y a enfouie dans le sable, à un endroit donné. Ce qu’il a livré aux Israéliens, c’était une seconde copie. Quand je vous disais qu’il a réalisé le coup du siècle !

— Chapeau ! Ensuite ?

— Les Israéliens se sont aperçus de l’arnaquerie. Ils ont voulu se venger et ont dépêché des tueurs à Paris.

— Et il y a eu gourance ? C’est le frère qui a été scrafé ?

— Oui, à cause des papiers de Walter qui se trouvaient chez Hans.

— Si bien qu’on a arrêté Walter peu après ?

— Ce qui l’a comblé d’aise, car lui a tout de suite pigé qu’il y avait eu confusion. Et il savait que, désormais, il était condamné à mort. La prison constituait une aubaine, du moins un sursis. Mais les années ont passé… Et il est sorti…

— Pourquoi sont-ce des Algériens qui étaient à ses trousses ?

— Ces Algériens-là étaient bidons, comme vous diriez dans votre si pittoresque parler, mon très cher petit. Ils travaillaient en fait pour Israël… Nous avons contacté les homologues algériens pour jouer cartes sur table. Et de cette union, les fruits que vous savez sont nés. Gigantesque, hé ?

— Bravo. En ce cas, si l’enquête se développait aussi harmonieusement, pourquoi m’avoir laissé infliger ces tortures morales, ces tracasseries honteuses, ces…

Il soupire.

— Parce que c’était le moyen de vous amener à démissionner de façon fracassante. Tout le monde, dans nos services, est au courant de l’aventure et je passe pour un infect personnage. On applaudit à votre démission. C’est ce que je voulais…

— Vous vouliez vous débarrasser de moi, monsieur ?

— Pour mieux vous récupérer. La Police Française (ouvrez le ban) évolue, mon garçon. Elle doit modifier ses méthodes, se renouveler dans son concept fondamental. J’en ai très longuement discuté avec monsieur le Ministre de l’Intérieur dont la largeur de vue…

Il tousse, et c’est une toux d’éloquence.

— Bref, monsieur ?

— Bref, San-Antonio. Nous divorçons donc, vous et nous. Et vous allez réaliser ce à quoi je me doute que vous avez déjà pensé, c’est-à-dire une Agence Privée.

— Mais, patron…

Ça m’a échappé… Patron.

Il en a les larmes aux yeux. Il me prend les deux mains.

— Oui, oh oui, mon petit, répétez : patron ! Patron ! Toujours ! Vous allez voir… On va réaliser de grandes choses. De très grandes choses. Nouvelles ! Hardies ! Modernes ! Vous, dans l’ombre. Moi, au soleil. Apparemment ennemis, mais plus soudés que jamais. Et qui gagnera ? Qui, je vous le demande ? La France, San-Antonio ! La France ! Cette chérie…

FIN