Immédiatement, cette vision s’estompe parce qu’une formidable cataracte de cochons nous choit dessus, nous submerge, nous ensevelit. Le camion s’est arrêté au creux d’un gigantesque massif de buis. Moi, j’aime bien le buis, malgré qu’il sente l’enterrement. Il me fait songer à la province dodue. Derrière du buis, y’ a toujours une belle vieille demeure, comme je les aime, avec des meubles cirés, des porcelaines craquelées, des chats castrés et des dames qui se font chier. C’est beau, reposant, éternel comme une vie de veuve bourgeoise.
Pour dépétrer de nos cochons en folie trouillasse et de nos rameaux de buis, de nos ferrailles convulsées, de nos banquettes à la dérive, du reste, de tout, de nous, crois-moi, on a besoin d’un bout de moment. Sa Majesté tempête comme une lampe du même nom. Elle sacre pis qu’à Reims. Elle gesticule comme une grève du zèle des sémaphores. Elle vomit des flots d’obcéninsanités que je pourrais pas te relater ici à cause de la crise du papier et puis dis, tu sais pas les nouveaux tarifs d’impression que déjà on a les prix bloqués dans le livre alors que t’as vu le sucre, l’essence, les capotes anglaises et toutim cette montée en flèche, hein ? Qu’heureusement notre gouvernement fait d’urgence le nécessaire, et même le superflu, en modifiant le protocole, la Marseillaise, la préfecture du Var, la couleur de la pilule et la date de la rentrée scolaire.
Mais bon, à force de démener, on parvient à s’évacuer des décombres. Un spectacle désolant se propose. Les cochons en liberté ont investi le parc, au grand effroi des promeneurs qui poussent des cris, perchés sur les bancs… C’est la confusion, l’émoi, la panique. Des hurlements de trident, des appels au secours. Mais au secours de qui, de quoi ?
Je sanguignole de je ne sais où. Bérurier a, au-dessus de l’œil gauche, une bosse grosse comme un gant de boxe.
Il me désigne la cabine disloquée, que recouvrent les décombres de l’arrière… Un grand sapin, naguère roi des forêts, fauché par mon dix tonnes, s’est couché sur le véhicule.
— J’ai bien peur que not’ mec serait resté dans ce bouzin, me dit-il.
On essaie de dégager Walter Klozett.
C’est du boulot, car l’impact s’est produit de son côté…
J’escrime en ahanant lorsqu’une main se pose sur mon avant-bras.
Une femme se tient derrière moi, grande, blonde, belle, un peu pâle et fanée, mais pleine d’un charme étrange.
— Venez vite, me dit-elle. Ça urge !
Au ton, je pressens du pathétique. La frayeur me biche qu’on ait télescopé un occupant du parc, un gosse peut-être ?
Je la suis. Mais, contrairement à ce que je redoute, la v’là qui s’éloigne de l’accident. Sans lâcher mon bras, elle trace à travers le parc, coupant droit, sous les branches basses d’arbres vénérables, tous plus conifères les uns que les autres.
— Où m’emmenez-vous ?
— Vite ! Vite !
Tout ce qu’elle trouve à me répondre. Elle est plus grande que moi. Il y a des fils gris dans ses cheveux blonds. Sa main se crispe si fort sur mon biceps qu’elle finit par me paralyser l’aileron. Nous atteignons une espèce de cabane de jardinier en planches, nichée derrière une haie de charmille, à l’angle de la propriété.
La femme pousse la porte de cet appentis. Puis m’oblige d’entrer le premier. Ce dont je.
Elle pénètre à son tour. Referme. Seul un as de carreau découpé dans la lourde éclaire le petit local qui sent la plante séchée et l’engrais azoté.
Une brouette tend ses bras compatissants vers nous.
— Asseyez-vous !
Hébété par l’accident, par l’autorité de ma gonzesse, par le saugrenu de la situation et par tout ce qu’il te fera plaisir d’ajouter, surtout te gêne pas, mes bouquins sont des centres d’accueil ; que tu griffonnes les pages avec tes pensées ou que tu t’en torches le cul, pour moi, la signification reste identique, hébété, donc, j’obéis.
La femme, pour lors, s’assoit sur mes genoux. Et puis, tu sais quoi ? Oh, non, je te jure, quand t’est-ce ça finira de m’arriver des hurluberleries pareilles ! Y’a de quoi se brancher le rectum sur la force pour pouvoir cracher des étincelles ! Magine-toi qu’elle me lèche le sang sur la frime, cette personne. Bon, v’là qu’on joue le Bal des Vampires, tout soudain.
— Mais, Madame… Madame ! Je proteste.
Seulement, la gueuse qui a deux mains en plus d’une langue et qui sait les utiliser aussi parfaitement, est en train de plonger dans mon décolleté sud. Des deux mains, j’ te dis ! À la fois. J’aurais été à boutons, façon soutane, j’eusse eu le temps d’opposer, mais à fermeture Éclair comme nous voilà tous lotis, pratiquement, à part dans les campagnes biscotte avec leurs chères grosses pognes, ils auraient mille fois le temps de licebroquer dans leurs bénouzes, les nabus, avant d’avoir pu saisir la minuscule languette métallique ; à fermeture Éclair, il est niqué Salantonio pour défendre sa vertu. Et moi, avec un chibranche soupe au lait comme pas deux, qui monte la gamme instantanément, et se dresse sur ses ergots, tu veux que je fasse quoi, sinon de désigner l’étoile polaire avec, hmmm ?
Tu me comprends, au moins ? Dis-moi qu’ tu me comprends ! Fais semblant. Bien sûr si t’as zézette qui colimaçonne, ton imaginance traîne la jambe, tout de même tu as entendu causer de la chose, à ton âge, non ? La bébête qui monte, qui monte, tu sais que ça existe, en quoi ça consiste et que ça consiste, précisément ? Ou alors prends des cours privés. Meurs con, le moyen que tu fasses autrement ? mais pas ignare ! Les deux à la fois, ce serait trop triste. Je te veux bien nul, je me suis fait à cette idée, mais pas non avenu.
Donc, la gueuse en chaleur me dévergogne sans vergonde. M’extrait de mes quartiers de noblesse, de mes quartiers divers. Me rend maximal. M’enfourche comme le zig qui double John Wayne au moment qu’il va courser le méchant pilleur de bétail. Très bien, je laisse quimper. Pendant qu’elle m’extasie sur cette brouette terreuse, je peux pas m’arrêter de gamberger à l’accident, si glandu. Est-ce que le Gros arrive à dégager Klozett ? Ce dernier a-t-il été durement touché ? Sotte affaire. Tout ce micmac pour la peau. Le copain pas dupe, qui nous a retapissé de première, et qui semble ne pas se soucier de son sort. Un homme perdu au fin fond de sa désabusance…
La blonde follingue me relèche les plaies, comme si ce serait des ecchymoses gervaises.
— Encore, encore ! grouine-t-elle.
Et d’hardi-petiter en rechef.
— Encore ! Encore ! Donne-moi ton sang ! elle me fait comme ça. T’avoueras d’une siphonnée, M’man, je lui répéterais, elle refuserait de me croire, pure comme elle est, Félicie.
Tu trouves pas qu’il y a un je ne sais quoi de comique dans ma position ? Je me sors des décombres d’un camion, et voilà qu’une nympho me cramponne par le bras et m’emmène limer d’urgence. Je vais être franc avec toi : moi, je lirais ça ailleurs que dans un de mes polars, je foutrais le book à la corbeille recta, sans aller plus loin. J’exclamerais : « De qui se moque-t-on ! En plein notre époque, sortir des foutaises balivernes de ce tonneau, faut réellement prendre les gens pour ce qu’ils sont ! ». Textuel !
Mais, n’importe mes pensées, arrière-pensées et dérapages mentaux. La glande est souveraine. Elle commande. Elle nous dirige mieux que par ondes courtes. Cette lécheuse amazone, dans sa fougue, m’entraîne pour un steeple éperdu. Je suis à la renverse sur la brouette, je me laisse siphonner à la feignasse. Ce qu’est relatif vu l’incommode du matelas, son équilibre précaire. Trois points d’appui, c’est pas un chiffre. Vaut mieux deux ou quatre. C’est pas sécurisant, je te promets. Faut que je me gaffe à pas basculer. Je m’efforce d’assurer mon centre de gravité. Duraille, compte tenu des charges enragées de ma partenaire. Sa prestation frénétique m’arrive en tempête sur l’épicentre. Cramponne-toi, Julot !