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La caresse de l’eau ajoute à son euphorie.

Elle murmure :

— Vous habitez l’hôtel ?

— J’ai un studio dans l’un des immeubles neufs de Saint-François.

— Il doit en voir de belles ! glousse Lady M.

Lambert ne répond rien. Il traîne lentement sa cliente en direction du lagon bleu d’émeraude où un couple de jeunes gens batifolent dans des éclaboussures somptueuses. Il n’a pas envie de parler de ses frasques à la vieille.

Au bout d’un long cheminement silencieux, ils atteignent le rocher émergé formant la limite de leur promenade marine.

Là va avoir lieu le cérémonial du billet.

Milady enfonce sa canne dans le sol couvert de plantes aquatiques. Elle s’arc-boute pour avoir la liberté de sa main droite. Le dos de celle-ci se plaque contre le ventre plat de Lambert, recouvert d’un duvet soyeux. Les doigts habiles s’insinuent entre la peau et la ceinture élastique. Ils gagnent le pubis. La vieille retrouve cette sensation délicieuse qui, quotidiennement, lui apporte sa part de bien-être. Cela ressemble un peu à un rendez-vous d’amour. Des souvenirs se pressent à sa mémoire. Lambert lui rappelle un amant de jadis qui venait la visiter une fois la semaine. Il se jetait sur elle dès qu’elle ouvrait la porte et l’étreignait éperdument. Il était jeune, blond et ardent. Lady M. se dit avec tristesse qu’il a dû devenir un vieux monsieur impuissant, avec des maux, des avaries, des misères et des chagrins. Peut-être même est-il mort. Elle n’ose imaginer le cadavre de son fringant partenaire d’autrefois. Elle veut immortaliser cet instant où il se précipitait pour s’emparer d’elle après avoir refermé sa porte d’un coup de talon. Avant de sonner, il avait déjà sorti son sexe et elle riait en lui demandant la tête qu’il ferait si, d’aventure, un jour, ce n’était pas elle qui lui ouvrait.

Maintenant, elle triche. Elle paie cinq cents francs le furtif plaisir de sentir contre ses doigts cette jeune queue si vivante.

« Ô mon Dieu ! Mon Dieu ! ne permettez jamais que je renonce ! Faites que toujours subsiste cette louche faim d’amour ! Cet émoi qui me préserve de la mort ! Cette attente infernale qui accélère les battements de mon cœur ! Je suis une vieille salope, Seigneur ! Une femelle sans chaleurs qui n’a plus que de tristes approches pour combler son vieux cul défoncé ! Gardez-moi cette pitoyable fringale de chair fraîche, Dieu d’infinie bonté ! »

Elle adore les testicules, jugés pourtant si disgracieux par la plupart des femmes. Ils sont les alambics dans lesquels s’élabore la plus formidable des alchimies. Elle n’a jamais pompé un homme sans presser ses couilles d’une main.

Ses doigts crochus soulèvent les bourses inertes, glissent le billet plié sous un volume de peau à la pesanteur mystérieuse. Voilà, le billet est en place ! Elle sourit de l’âme en songeant que l’on appelle cela des bourses ! Il s’enrichit, le joli bougre, à ce tarif somptuaire ! Elle est l’aubaine de sa saison !

Le billet est une espèce de greffe ! Elle retire sa main à regret, une fois sa bouture en place.

Mais, aujourd’hui, il se passe un fait inhabituel. Lambert lui saisit la main et la guide à nouveau vers son intimité. Indécise, elle a presque un mouvement de refus. Ce garnement doré la prend au dépourvu en lui proposant l’incroyable. Elle résiste. Il pétrit ses doigts arthritiques pour les forcer à une caresse véritable. Alors, vaincue, elle le dévisage. Tête de cauchemar ! Gargouille fardée pour carnaval allemand ! Son regard de rate vicieuse plonge dans celui de Lambert où elle ne découvre qu’une espèce de bêtise affolée…

— C’est nouveau, petit homme ? murmure-t-elle.

Il a la mâchoire crispée. D’un geste presque désespéré, il abaisse le devant de son slip. Elle regarde le sexe du garçon, de bonne venue et sans grand émoi apparent. Sa main décharnée s’avance avec une maladresse qu’elle ne se connaissait pas. Voilà que des années d’abstinence l’ont rendue empruntée et effarouchée comme une adolescente sans expérience.

Elle cueille la bite dans sa main creusée en tuile qu’elle passe sous le membre. La Truite de Schubert ! Et ils restent là, un long moment immobiles, sans prendre d’autres décisions, l’un comme l’autre étant allé au bout de son élan.

« Il ne bandera pas, Seigneur ! Ce n’est qu’un trouble passager. Ma main dans son maillot a éveillé un désir que je ne puis assouvir. Je dois éviter la faillite de ne pas le faire bander. Si je m’y emploie et que je connaisse un échec, j’aurai l’air d’une affreuse vieille connasse de merde, Seigneur ! Ce sera dérisoire, dérisoire à pisser debout comme une jument ! »

Elle murmure, en faisant tressauter la jolie pine de Lambert :

— C’est très noble, très émouvant !

Et puis elle rend sa liberté à l’oiseau, lequel, au lieu de s’envoler, se met à pendre.

Lady M. voit choir le billet plié de sa cachette. Il flotte sur l’eau bleue, petit bateau de papier. Elle ne dit rien. Le grand imbécile, avec ses sottes manigances inabouties vient de paumer cinq cents francs ! La coupure s’éloigne doucement d’eux. Lambert rajuste son slip. Offre son bras. Ils regagnent la plage. Lady M. se sent vieille à dégueuler. Elle aurait dû le sucer, bien sûr ! Mais elle manque de souffle. Les pipes d’asthmatique ne sont guère réjouissantes. Les planches à voile continuent leur gracieux ballet autour d’eux, dans un doux clapotis avec, parfois, le sec claquement de la voile qui change de cap.

2

Pompilius se rasait avec un rasoir à manche. Chaque fois le cérémonial fascinait Lady M. La façon interminable dont il s’enduisait les joues de savon mousseux pour se confectionner une illusoire barbe de Père Noël ; l’application qu’il apportait à l’aiguisage de la lame damasquinée, réduite d’un bon tiers par l’usure, la passant et repassant avec persévérance sur un ruban de cuir à boucles tenu tendu ; et ensuite le côté clinique du rasage proprement dit ; tout cela impressionnait la vieillarde.

Elle admirait la grâce de Pompilius Senaresco, ancien diplomate roumain décavé ; l’élégance qu’il mettait dans ses gestes les plus modestes, les plus quotidiens ; sa lenteur savante d’homme blasé pour qui le temps est une denrée sans importance qu’un gentleman doit avoir à cœur de gaspiller. Il avait la nonchalance badine, un air d’ennui affable dont il ne se départait jamais. L’âge l’avait amidonné sans pourtant lui conférer de raideur. Il pelait les fruits en s’aidant de sa fourchette, changeait de chemise plusieurs fois par jour, usait d’un vocabulaire recherché et aimait à séduire les adolescentes pour peu qu’elles lui parussent en règle avec l’hygiène.

Il accueillit Lady M. d’un sourire tendre, délivré par le miroir du lavabo.

— Bonne promenade ? demanda-t-il, la bouche arrondie, car il se rasait sous la lèvre inférieure.

Elle ne répondit pas et il jugea qu’elle allait lui infliger une matinée maussade. Ils avaient été longtemps amant et maîtresse et avaient connu des moments de grande volupté. Mais l’inertie de l’habitude avait eu raison de leurs débordements. Peu à peu, leurs étreintes s’étaient espacées pour cesser complètement. C’était Lady M. qui avait pris l’initiative, un après-midi où Pompilius la caressait par politesse.

« — Grand chéri, avait-elle soupiré, finissons-en avec cette danse ridicule puisque sans musique désormais. Pourquoi s’obstiner à faire du bouche-à-bouche à un amour mort ? Nous avons capitalisé suffisamment de souvenirs radieux pour en vivre désormais. Soyons les rentiers de la passion. Il nous reste notre tendresse et notre complicité. Combien de vieux couples peuvent en dire autant ? »