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La vieille femme sentit un poids sur sa poitrine vide. L’écrasement de la déception.

— Êtes-vous prête, mon rêve d’or ? demanda Pompilius, à la cantonade.

Lui, au moins, lui restait. Il était devenu son île, son donjon, le réceptacle d’une partie de son passé et le témoin vigilant de son présent. À sa manière, il l’aimait et il lui arrivait parfois de se montrer jaloux des hommes qui, impressionnés par la classe de sa compagne, lui prodiguaient trop de mamours.

Il apparut, superbe dans son pantalon blanc, son blazer bleu et sa chemise myosotis à col ouvert. Ses cheveux clairsemés, d’une couleur indéfinissable, allant du gris clair au châtain foncé, étaient plaqués sur son crâne pointu. Lady M. songea que la tête de Pompilius avait la forme d’un autobus anglais à double étage.

— Il va falloir que nous refassions votre teinture, Pompilius, lui dit-elle, vos cheveux commencent à ressembler à n’importe quoi !

Elle ne laissait à personne d’autre le soin de cette délicate mission, prétendant qu’elle seule était capable de peinturlurer convenablement le bonhomme. Le cérémonial avait lieu le soir. Senaresco s’asseyait, nu, sur le tabouret de sa salle de bains, la queue entre ses cuisses, les mains posées sur les genoux. Lady M. se mettait alors à badigeonner ses cheveux d’un produit brunâtre qui, au bout de peu de temps, devenait franchement noir. Ils attendaient dans l’étroit local que la teinture opère. Au cours de cette demi-heure, ils parlaient de leurs occupations, comme si l’insolite de la situation les incitait à la gravité. Les plus belles opérations, ils les avaient échafaudées pendant que Pompilius avait le chef déshonoré par cet enduit visqueux qui, parfois, coulait sur les joues creuses du vieillard comme les larmes d’une bougie. Lady M. torchait ces chandelles noires avec un tampon de coton démaquillant et son cœur se serrait de pitié car, au cours de ce « traitement », son ami lui semblait infiniment vieux, vulnérable et déchu.

— Il va être l’heure de notre rendez-vous, assura le Roumain après un regard à sa montre Cartier.

— Avez-vous pris le nécessaire, vieux fou ?

Il tapota son blazer à l’emplacement de la poche intérieure.

— M’avez-vous jamais pris en flagrant délit d’oubli ?

Le vent s’était calmé et les palmiers ressemblaient à des éventails pour maharadjah ; ils bougeaient mollement dans un ciel bleu, provisoirement purgé de tout nuage.

Ils se déplacèrent lentement dans une allée bordée d’orangers. L’embout caoutchouté de la canne anglaise produisait un léger bruit râpeux sur le ciment jonché de feuilles. L’air possédait une douceur grisante.

Pompilius respirait en connaisseur. Jouisseur-né, il savait déguster les moindres instants de félicité.

— Croyez-vous que notre hôte soit coriace ? demanda-t-il, en s’appliquant à réduire ses enjambées afin d’épouser celles de Lady M.

— Et quand bien même ? objecta la vieille femme.

Il sourit de contentement. Elle ne perdrait jamais son intrépidité, ni sa formidable confiance en soi.

L’hôtel se composait d’un corps de bâtiment à usage collectif et de luxueux bungalows dispersés dans un vaste parc à la végétation tropicale. Ceux-ci étaient de dimensions différentes. Il en existait à deux chambres et un salon, comme celui qu’occupaient Lady M. et son ami ; et d’autres d’une chambre avec seulement un « coin » living.

L’homme qui les avait conviés à l’apéritif bénéficiait également d’un bungalow grand format qu’il occupait avec sa compagne, une splendide femme de couleur pleine d’abattage, le bambin de celle-ci et la gouvernante noire du marmot. Les amours de Justin Mazurier et de Muriel, son amie, étaient récentes. Lui, dirigeait un important laboratoire de produits pharmaceutiques à Lyon ; elle, était mannequin itinérant. Ce séjour en Guadeloupe constituait leur première escapade amoureuse. Notable marié et père de famille, le quinquagénaire transi avait amené sa récente conquête dans son île d’origine. Comme elle ne voulait pas se séparer de son enfant, né sans père légal d’une rencontre ténébreuse, l’industriel lyonnais avait engagé sur place, par le truchement de l’hôtel, une baby-sitter compétente afin de pouvoir aimer la mère sans trop de tracasseries.

La veille, au cours d’une soirée folklorique organisée par l’hôtel, Lady M. et Senaresco s’étaient arrangés pour faire la connaissance du couple. On avait sympathisé. La classe des deux vieillards, leur brio et leur charme suranné avaient conquis Mazurier. Au moment de la séparation, rendez-vous avez été pris pour « un apéritif à la maison ». Rires.

Lady M. s’y rendait donc, pimpante, ramante, au bras de son vieil ami. Elle se sentait comme grisée par l’imminence de l’étrange combat qu’elle s’apprêtait à livrer. Pompilius qui la connaissait par cœur, chuchota :

— Vous jubilez, ma mie, vous jubilez ; je le constate au frémissement de vos doigts sur mon bras.

Elle ne répondit pas.

« Il ne me reste plus que cela, comme joie authentique, Seigneur ! Je sais que je commets un très grave péché en me montrant garce et machiavélique à ce point ; mais les hommes n’ont-ils pas besoin de révélateurs, au cours de leur merdique existence ? Jadis, je faisais voler les couples en éclats, à plaisir. Je gardais néanmoins bonne conscience car, si je les désunissais c’était parce qu’ils se trouvaient fissurés de partout sans le savoir. On ne peut briser les unions heureuses. Les planches superposées que cassent du tranchant de la main les hercules forains sont préalablement sciées. On ne rompt que ce qui est fragile. Désormais, j’exerce ma malignité différemment, cher Seigneur de grande clémence ! Je glisse des vers dans des fruits déjà gâtés malgré leur apparence ! »

Ses doigts s’agitaient sur l’avant-bras de Pompilius. Et lui qui la savait sèche de longue date, comme une figue en boîte, regrettait qu’elle ne mouillât plus. Les grandes joies intérieures doivent s’accompagner de sécrétions pour être pleinement vécues.

Justin Mazurier, parce qu’il parvenait à renvoyer quatre balles consécutives à un moniteur docile, se prenait pour un tennisman et portait des tenues adéquates repérées dans des magazines. C’était un homme massif, sans être gros, brun et vif, dont une expression d’intense contentement égayait le regard. Il empestait le parfum coûteux, se prenait pour don Juan et affectait une bonhomie condescendante qui n’impressionnait que les jean-foutre.

Il vit arriver les vieillards par l’allée bordée d’orangers croulant sous leurs fruits. Aussitôt, il adopta pour les accueillir une attitude avantageuse, saisissant son amie par la taille et s’appuyant de l’épaule au pilier de la véranda. Gary Cooper. Muriel impressionnait par sa beauté sauvage. Nue sous une robe blanche d’inspiration grecque, elle faisait songer à un fauve ronronnant d’aise, mais capable de griffer à tout instant.

Lady M. les contemplait en avançant. Elle leur sourit de loin et se permit même un petit geste dégagé avec sa canne.

— La fille est superbe ! chuchota Pompilius.

« Il n’empêche que les poils de sa chatte sont rêches et frisés serré, ce qui couperait tout plaisir à ce bouffeur de cul invétéré, Seigneur ! Pompon n’aime que le soyeux. Il léchait admirablement, je m’en souviens ; avec âme ! Il était capable de faire minette pendant plusieurs heures d’affilée. La première fois que je lui ai cédé, il m’a dégustée un après-midi entier avant de me monter dessus. J’avais déjà joui à quatre ou cinq reprises, Seigneur, aussi son étreinte finale me laissa-t-elle froide comme un museau de chien. Trop, c’est trop. »

Elle marqua un léger temps d’arrêt.