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— Je marche trop vite, ma souris rose ? s’inquiéta immédiatement Pompilius.

— C’est moi qui pense trop fort ! répondit-elle. Je suppose, doux gredin, que vous aimeriez capturer cette somptueuse Noire et l’emmener dans notre Rolls aux verres teintés où vous perpétrez vos délectables infamies ! En ai-je déniché, des slips affriolants à l’arrière de cette noble voiture ! Des culottes de jeune fille et des slips de catin pleins de fentes vicieuses et de dentelle ! Des roses, des blancs, des noirs surtout ! Et même un rouge qui devait appartenir à quelque Italienne dévergondée.

À quelques mètres d’eux, le couple en blanc et noir leur prodiguait des gestes de bienvenue auxquels ils répondaient par des sourires.

— Si vous embrassiez cette magnifique créature là où vous le souhaitez, Pompilius, vous éternueriez car elle n’est pas seulement négresse de peau, elle l’est également de poil !

Il se mit à rire et posa un baiser sur l’oreille blanche et froide de Lady M.

— Vous êtes unique, chérie exquise !

Mazurier quitta la pose pour s’avancer vers ses invités. Il poussa même la galanterie jusqu’à relayer Pompilius afin de permettre à Lady M. de gravir sans encombre les trois marches du bungalow.

Sa compagne avait bien fait les choses. Une bouteille de Dom Pérignon dans un seau à champagne embué régnait sur une escouade de flacons variés. Des canapés au caviar et au foie gras, délicatement présentés, attendaient le bon plaisir des arrivants. L’appareil à air conditionné zonzonnait comme un moustique énervé, répandant un air froid qui passait par saccades sur les visages. Lady M. frissonna et demanda à Mazurier d’en baisser l’intensité, ce qu’il s’empressa de faire avant de déboucher le champagne. La vieille femme accepta une demi-flûte du breuvage et cueillit un toast au caviar sans qu’on l’en priât avec une désinvolture pleine d’une aisance aristocratique.

L’industriel et sa maîtresse sombre en furent sottement charmés.

Lady M., qui connaissait tout de la vie de Mazurier, posa aux amants des questions innocentes. Elle voulut savoir — « sans indiscrétion » prévint-elle — si le bel enfant était de lui. La question eût été indiscrète, formulée par quelqu’un d’autre, mais la vieille femme pouvait tout se permettre et plus elle questionnait, plus son interlocuteur lui savait gré de cette marque d’intérêt. Mazurier répondit sur un ton de regret que non hélas. Son amie prétendit qu’elle était divorcée. Lady M. assura que ce bambin comptait parmi les plus beaux qu’il lui eût été donné de voir. Elle avait même prié M. Senaresco de le prendre en photo, car il maniait le Nikon en professionnel.

— Avez-vous songé à apporter quelques-uns de vos clichés à la jolie maman, bon ami ? demanda-t-elle à son compagnon.

Bon ami tira de son blazer un jeu de photographies qu’il fit courir dans ses mains comme des cartes à jouer. Il en sélectionna deux qu’il présenta à Muriel. La jeune femme considéra les images avec cette émotion contenue dont font preuve les mères quand on célèbre leur progéniture. Justin, quant à lui, dissimulait son discret agacement derrière un sourire idiot.

— Merveilleux bébé ! trancha Lady M. en se penchant pour regarder les photos par-dessus l’épaule de sa voisine de canapé.

« Seigneur, ce petit trou de balle est hydrocéphale ! Déjà gras, il ressemblera un jour au fils Duvalier ! Pourquoi la maternité rend-elle niais ? Vous m’avez épargné, Seigneur, de rentrer dans l’immense cohorte des connasses en gésine qui ne cessent d’essorer de la pisse que pour torcher de la merde ! Elles pondent à grands cris des anormaux qu’elles prennent ensuite pour des chefs-d’œuvre en vie ! Mes flancs ont reçu une folle quantité de semence, Seigneur, sans qu’il en ait résulté le moindre fruit. Grâce Vous en soit rendue ! Votre infinie bonté m’aura permis de conserver à tout jamais cette véritable virginité d’une femme : la stérilité ! »

— Vous pouvez les garder ! prévint Pompilius.

Sa complice lui adressa un regard appuyé pour lui intimer de passer à la « rubrique » suivante.

Il mit en éventail les photographies qu’il gardait en main.

— Étant sensible à la beauté, madame, je me suis permis de tirer quelques portraits de vous au téléobjectif. J’espère que vous voudrez bien me pardonner cette petite indiscrétion ?

Il tendit le restant des clichés à la jeune créole. Muriel s’en saisit avec quelque avidité et contempla son image complaisamment. Justin, assis sur l’accoudoir, les découvrait en même temps qu’elle. La première la montrait sur la plage, dans un maillot deux pièces, irisée par l’eau du bain qu’elle venait de prendre, ses cheveux décrépés plaqués sur ses tempes et riant à pleines dents. Son bonheur vorace impressionnait. On devinait en elle une bête d’amour qui devait se donner sans retenue.

Sur la seconde photographie, elle se tenait allongée, nue, dans un hamac et son amant agenouillé léchait sa cuisse à travers les mailles du filet. Un sursaut de pudeur la fit réagir. Son sourire s’éteignit et elle regarda Pompilius d’un œil indécis, puis, ensuite, son ami. Mais le bellâtre trouvait au contraire la scène charmante. Il était stupidement fier d’avoir été pris à l’improviste dans cette attitude polissonne.

Sur la troisième image, le couple se trouvait au crépuscule devant la porte du bungalow. Il la tenait plaquée dos à lui. Mazurier pressait une main contre le sexe de Muriel et l’autre sur l’un de ses seins.

— Je ne me rendais pas compte que nous avions si peu de retenue, murmura la fille noire.

— C’est beau, l’amour, fit Lady M.

Il y eut un flamboiement d’amants dans son esprit. Une espèce de pêle-mêle photographique comme ceux que l’on constitue dans un cadre. Et cela s’achevait en cuisante amertume, comme toujours. Le naufrage de l’âge ! Le pire étant l’acceptation.

— Elles sont très bien, ces photos, complimenta Mazurier, on peut les garder également ?

— Je vous en prie : j’en ai d’autres ! répondit le Roumain.

Quelque chose, dans sa voix, alerta Muriel, beaucoup plus intuitive que son ami. Justin examinait les épreuves avec une certaine vanité. Il trouvait sa maîtresse terriblement bandante et, que ce vieil homme l’eût photographiée en cachette dénotait de sa part quelque concupiscence louche qui, confusément, l’excitait.

Lady M. savourait l’instant. Chatte pourlécheuse, elle jouissait du bonheur de l’industriel. Si précaire ! Et il ne le sentait pas.

« Seigneur ! ce sombre con a une bombe dans la poche de son beau pantalon blanc ; une bombe dont la mèche traîne derrière lui comme une queue de rat. Je l’ai allumée, et il ne s’en rend pas compte. Dans un instant sa peinarde existence d’enfoiré va exploser. Quelques phrases et je vais lui flanquer envie de dégueuler ! Il aura froid jusque dans les couilles parce qu’il aura peur ! »

Elle sourit.

— Je pense que vous disposez d’un endroit sûr pour conserver ces photographies, cher ami ? fit-elle.

Elle avait une voix de vieille lorsqu’elle se montrait égrillarde. Une voix « Carabosse » qui l’incommodait elle-même ; mais elle ne parvenait pas à la corriger.

Comme Mazurier la considérait d’un air soudain attentif, elle ajouta :

— Je me doute de l’effet qu’elles produiraient sur votre famille.

Il y eut un silence. Pompilius prit sa coupe et l’éleva pour porter un toast muet à la femme sombre. Il y but une gorgée d’oiseau puis la conserva en main pour admirer les fines bulles qui s’y agitaient. Lady M. baissa le ton :

— Vous vous êtes marié, je crois, à une demoiselle Mitron-Lasauge, n’est-ce pas ?

Il acquiesça, brusquement assommé par la question de la vieille.