Orson Scott Card
La voix des morts
À Gregg Keiser
Qui savait déjà
QUELQUES PERSONNALITES DE LUSITANIA
Xénologue (Zenadores):
Pipo (João Figueira Alvarez)
Libo (Libertad Graças a Deus Figueira de Medici)
Mioro (Marcão Vladimir Ribeira von Hesse)
Ouanda (Ouanda Quenhatta Figueira Mucumbi)
Xénobiologistes (Biologistas):
Gusto (Vladimir Tiago Gussman)
Cida (Ekaterina Maria Aparecida di Norte von Hesse-Gussman)
Novinha (Ivanova Santa Catarina von Hesse)
Ela (Ekaterina Elanora Ribeira von Hesse)
Gouverneur:
Bosquinha (Faria Lima Maria do Bosque)
Evêque:
Peregrino (Armão Cebola)
Abbé et Principal du Manastère:
Dom Cristão (Amai a Tudomundo Para Que Deus Vos Ame Cristão)
Dona Cristã (Detestai o Pecado e Fazei o Direito Cristão)
PROLOGUE
En l’an 1830, après la constitution du Congrès Stellaire, un vaisseau éclaireur automatisé transmit un rapport par ansible : La planète qu’il examinait entrait tout à fait dans le cadre des paramètres de l’existence humaine. La planète la plus proche ayant un problème de population était Bahia : le Congrès Stellaire lui accorda une autorisation d’exploration.
Ainsi, les premiers êtres humains qui posèrent le pied sur ce nouveau monde parlaient portugais, étaient de culture brésilienne et de religion catholique. En 1886, ils descendirent de leur navette, se signèrent et baptisèrent la planète : Lusitania, ancien nom du Portugal. Ils entreprirent de répertorier la flore et la faune. Cinq jours plus tard, ils constatèrent que les petits animaux des forêts qu’ils avaient appelés porquinhos – petits cochons – n’étaient absolument pas des animaux.
Pour la première fois, depuis le Xénocide des Doryphores par le monstrueux Ender, les êtres humains avaient découvert des êtres intelligents. Les porquinhos – piggies en stark – étaient technologiquement primitifs, mais ils utilisaient des outils, construisaient des maisons et parlaient. « Dieu nous donne l’occasion de nous racheter », déclara l’archicardinal de Bahia. « Nous pouvons laver notre conscience de la destruction des doryphores. »
Les membres du Congrès Stellaire adoraient de nombreux dieux, ou aucun, mais ils furent du même avis que l’archicardinal. Lusitania serait colonisée à partir de Bahia et, par conséquent, sous licence catholique, comme l’exigeait la tradition. Mais la population ne pourrait pas s’étendre au-delà d’une zone donnée ni dépasser une population limitée. Et, surtout, elle serait liée par une loi :
Il ne faudrait pas gêner les piggies.
PIPO
Comme nous ne sommes pas encore tout à fait habitués à l’idée que les habitants du village voisin sont aussi humains que nous, il est présomptueux à l’extrême de supposer que nous pourrons un jour considérer des créatures sociales, utilisant des outils et issues d’une évolution distincte de la nôtre, non comme des animaux mais comme des frères, non comme des rivaux mais comme des compagnons de pèlerinage sur le chemin du sanctuaire de l’intelligence.
Néanmoins, c’est ce que je vois ou espère voir. La différence entre raman et varelse n’est pas inhérente à la créature qui est jugée, mais à celle qui juge. Lorsque nous déclarons qu’une espèce nouvelle est ramane, cela ne signifie pas qu’elle a franchi le seuil de la maturité morale, cela signifie que nous l’avons franchi.
Rooter était à la fois le pequenino le plus difficile et le plus coopératif. Il était là chaque fois que Pipo se rendait dans la clairière, et faisait de son mieux pour répondre aux questions que, dans le cadre de la loi, Pipo n’avait pas le droit de poser directement. Pipo dépendait de lui – trop, vraisemblablement. Cependant, alors que Rooter faisait le clown et jouait comme le jeune piggie irresponsable qu’il était, il trouvait également le temps d’observer, de sonder, de tester. Pipo devait continuellement se méfier des pièges que Rooter lui tendait.
Quelques instants auparavant, Rooter avait décidé de grimper aux arbres, ne serrant l’écorce qu’avec les plaques calleuses de ses chevilles et de l’intérieur de ses cuisses. Dans les mains, il serrait deux bâtons – qu’on appelait : Bâtons-Pères – avec lesquels il frappait l’arbre suivant une cadence envoûtante, arythmique, tout en grimpant.
Le bruit attira Mandachuva hors de la maison de rondins. Il appela Rooter dans la Langue des Mâles, puis en portugais.
— P’ra baixo, bicho !
Les piggies qui se trouvaient à proximité, entendant le jeu de mots en portugais, exprimèrent leur appréciation en se frottant vigoureusement les cuisses l’une contre l’autre. Cela produisit une sorte de sifflement sourd et Mandachuva, ravi de leurs applaudissements, sauta joyeusement sur place.
Rooter, pendant ce temps, se pencha en arrière, jusqu’au moment où la chute parut inévitable. Puis il tendit les bras, exécuta un saut périlleux arrière et atterrit sur les pieds, sautillant pour rétablir son équilibre, mais sans tomber.
— Alors, te voilà acrobate, maintenant, constata Pipo.
Rooter se dirigea vers lui d’un air avantageux. C’était sa façon d’imiter les êtres humains. C’était tout aussi efficace que ridicule parce que son museau aplati, retroussé, semblait manifestement porcin. Pas étonnant que les habitants des autres planètes les aient appelés « piggies ». Les premiers visiteurs de la planète les avaient baptisés ainsi dans leurs premiers rapports, en 1886, et en 1925, lorsque la colonie de Lusitania avait été fondée, le nom était indélébile. Dans leurs ouvrages, les xénologues éparpillés sur les Cent Planètes parlaient des « indigènes de Lusitania », mais Pipo savait parfaitement bien qu’il ne s’agissait là que d’une question d’honneur professionnel… Sauf dans les articles savants, les xénologues les appelaient vraisemblablement piggies, eux aussi. En ce qui concernait Pipo, il les appelait « pequeninos », et ils n’y paraissaient pas opposés car, à présent, ils s’appelaient eux-mêmes : « les Petits ». Toutefois, honneur ou pas, on ne pouvait le nier : dans des moments comme celui-ci, Rooter évoquait un goret debout sur les pattes de derrière.
— Acrobate ? dit Rooter, mettant ce mot nouveau à l’épreuve. Ce que j’ai fait ? Vous avez un mot pour les gens qui font cela ? Alors, il y a des gens dont c’est le travail ?
Pipo soupira discrètement, tout en figeant son sourire. La loi lui interdisait formellement de fournir des informations relatives à la société humaine, de peur que la culture des piggies ne soit contaminée. Cependant, Rooter s’amusait toujours à extraire toutes les implications possibles des paroles de Pipo. Cette fois, cependant, Pipo était le seul responsable de l’ouverture de fenêtres inutiles sur l’existence humaine. De temps en temps, il était tellement détendu, parmi les pequeninos, qu’il parlait naturellement. Toujours un risque. Je ne suis pas fort à ce jeu qui consiste continuellement à obtenir des informations sans donner quoi que ce soit en échange. Libo, mon fils à la bouche cousue, est déjà plus naturellement discret que moi, et il n’est en apprentissage que depuis… – quand a-t-il eu treize ans ? – … il y a quatre mois.