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Cela fut terriblement simple et ordinaire. Novinha analysait la structure génétique des roseaux infestés de mouches qui bordaient la rivière et constata que l’élément subcellulaire qui avait causé la Descolada était également présent dans les cellules des roseaux. Elle entra plusieurs autres structures cellulaires dans le terminal et les examina. Elles contenaient toutes l’agent de la Descolada.

Elle appela Pipo, qui relisait les transcriptions de la dernière visite chez les piggies. L’ordinateur compara tous les échantillons de cellules dont elle disposait. Indépendamment de leur fonction, indépendamment de l’espèce dont elles provenaient, toutes les cellules contenaient la molécule de la Descolada, et l’ordinateur indiqua qu’elles étaient absolument identiques sur le plan des proportions chimiques.

Novinha croyait que Pipo allait acquiescer, lui dire que cela paraissait intéressant, peut-être proposer une hypothèse. Mais il s’assit et recommença le test, l’interrogeant sur la façon dont l’ordinateur effectuait la comparaison, puis sur le fonctionnement même de la Descolada.

— Maman et papa n’ont jamais trouvé ce qui la déclenchait, mais le corpuscule de la Descolada libère cette protéine – enfin, pseudo-protéine, je suppose – qui attaque les molécules génétiques, commençant à une extrémité et séparant les deux bandes de la molécule en leur milieu. C’est pour cela qu’on l’a appelé : Descolador… Il décolle l’A.D.N. également chez les êtres humains.

— Montre-moi ce qu’il produit sur une cellule extraterrestre.

Novinha mit la simulation en mouvement.

— Non, pas seulement la molécule génétique – l’ensemble de l’environnement cellulaire.

— C’est limité au noyau, précisa-t-elle.

Elle élargit le champ pour inclure de nouvelles variables. L’ordinateur travailla plus lentement parce qu’il traitait chaque seconde des millions de dispositions différentes de la matière nucléique. Dans la cellule du roseau, lorsque la molécule génétique fut décollée, plusieurs protéines qui s’y trouvaient en grande quantité se fixèrent sur les deux bandes séparées.

— Chez les êtres humains, l’A.D.N. tente de se reformer, mais des protéines y pénètrent, de sorte que les cellules deviennent folles. Parfois, elles entrent en mitose, comme dans le cas du cancer, et parfois elles meurent. Mais, surtout, chez les êtres humains, les corpuscules de la Descolada se reproduisent à toute vitesse, passant d’une cellule à l’autre. Bien entendu, toutes les créatures extraterrestres le possèdent.

Mais Pipo n’écoutait pas ce qu’elle disait. Lorsque le Descolador en eut terminé avec les molécules génétiques du roseau, Pipo regarda les autres cellules.

— Ce n’est pas seulement significatif, c’est la même chose, releva-t-il. C’est exactement pareil !

Novinha ne vit pas immédiatement ce qu’il avait remarqué. Qu’est-ce qui était pareil que quoi ? Et elle n’eut pas le temps de poser la question. Pipo avait déjà quitté son fauteuil et, ayant pris son manteau, se dirigeait vers la porte. Une pluie fine tombait, dehors. Pipo ne s’arrêta que le temps de lui crier :

— Dis à Libo que ce n’est pas la peine qu’il vienne, montre-lui simplement la simulation et vois s’il peut deviner avant mon retour. Il verra… C’est la réponse à la grande question. La réponse à tout !

— Expliquez-moi !

Il rit.

— Ne triche pas. Libo t’expliquera, si tu ne vois pas.

— Où allez-vous ?

— Demander aux piggies si j’ai raison, naturellement. Mais je sais que j’ai raison, même s’ils mentent. Si je ne suis pas de retour dans une heure, j’aurai glissé dans la boue et me serai cassé la jambe.

Libo ne vit pas les simulations. La réunion de la commission des projets se prolongea très longtemps en raison d’un désaccord sur l’extension des pâturages destinés au bétail et, après la réunion, Libo dut encore aller faire les courses de la semaine. Lorsqu’il revint, Pipo était parti depuis quatre heures, il commençait à faire noir et la pluie se transformait en neige. Ils partirent immédiatement à sa recherche, craignant de devoir le chercher pendant des heures dans la forêt.

Mais ils ne tardèrent pas à le trouver. Son corps était déjà presque froid, dans la neige. Les piggies n’avaient même pas planté un arbre à l’intérieur.

TRONDHEIM

Je regrette profondément de ne pas avoir pu donner suite à votre demande de détails supplémentaires concernant les traditions des indigènes de Lusitania dans le domaine du mariage. Cela doit vous désespérer au plus haut point, sinon vous n’auriez jamais demandé à la Société de Xénologie de me censurer pour refus de coopérer dans le cadre de vos recherches.

Lorsque des aspirants xénologues affirment que mes observations des pequeninos ne produisent pas les informations convenables, je les invite toujours à relire les limites qui me sont imposées par la loi. Il m’est interdit d’emmener plus d’un assistant lorsque je vais sur le terrain ; je ne peux pas poser de questions susceptibles de trahir les desseins humains, de peur qu’ils ne tentent de nous imiter ; je ne peux pas communiquer d’informations visant à obtenir des réponses parallèles ; je ne peux pas rester plus de quatre heures de suite parmi eux ; en dehors de mes vêtements, je ne puis utiliser aucun matériel technologique en leur présence, ce qui interdit les appareils photo, les magnétophones, et même un crayon et du papier ; je ne puis même pas les observer sans qu’ils le sachent.

En bref, je ne peux pas vous dire comment les pequeninos se reproduisent parce qu’ils n’ont pas jugé utile de le faire devant moi.

Il est évident que vos recherches sont amputées. Il est évident que vos conclusions concernant les piggies sont absurdes ! Si nous devions étudier votre université dans le cadre des limites qui nous sont imposées dans l’observation des indigènes de Lusitania, nous conclurions sans doute que les êtres humains ne se reproduisent pas, ne constituent pas des groupes d’affinités et consacrent toute leur existence à la transformation de l’étudiant larvaire en professeur adulte. Nous pourrions même supposer que les professeurs exercent une influence notable sur la société humaine. Une enquête poussée démontrerait rapidement la fausseté de ces conclusions – mais, dans le cas des piggies, l’enquête poussée n’est ni autorisée, ni même envisagée.

L’anthropologie n’a jamais été une science exacte ; l’observateur ne perçoit pas une culture de la même façon que l’individu qui en fait partie. Mais il s’agit là de limites naturelles inhérentes à la science. Ce sont les limites artificielles qui nous entravent – et vous à travers nous. Compte tenu du rythme actuel de notre progression, nous pourrions aussi bien envoyer aux pequeninos des questionnaires par la poste et attendre qu’ils nous fassent parvenir des articles savants en guise de réponse.

João Figueira Alvarez, réponse à Pietro Guataninni, de l’université de Sicile, campus de Milan, Etrurie ; publication posthume dans Etudes xénologiques, 22 :4 :49 :193

La nouvelle de la mort de Pipo ne fut pas importante seulement sur le plan local. Elle fut transmise immédiatement, par ansible, aux Cent Planètes. Les seuls extraterrestres découverts depuis le Xénocide d’Ender avaient torturé à mort l’être humain chargé de les observer. En quelques heures, universitaires, scientifiques, politiciens et journalistes prirent position.

Un consensus se dégagea rapidement. Un incident, dans des circonstances incompréhensibles, ne prouvait pas l’échec de la politique du Congrès Stellaire vis-à-vis des piggies. Au contraire, le fait qu’un seul homme soit mort paraissait démontrer la sagesse de la politique actuelle de non-intervention. En conséquence, il ne fallait rien faire, sauf ralentir légèrement le rythme des observations. Le successeur de Pipo reçut l’ordre de ne rendre visite aux piggies qu’un jour sur deux, et jamais pendant plus d’une heure. Il ne devait pas amener les piggies à parler de la façon dont ils avaient traité Pipo. Ce fut, en fait, un renforcement de la politique de non-intervention.