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— Je raconterai ton histoire, promit Ender.

— Dans ce cas, je vivrai vraiment à jamais.

Ender prit les poignards. Humain s’allongea sur le sol.

— Olhado, dit Novinha, Quim, retournez près de la porte. Toi aussi, Ela.

— Je veux voir, maman, dit Ela. Je suis une scientifique.

— Tu oublies mes yeux, fit Olhado. J’enregistre tout. Nous pourrons montrer à tous les humains que le traité a été signé. Et nous pourrons montrer aux piggies que le Porte-Parole a également ratifié le traité à leur façon.

— Je ne m’en vais pas non plus, annonça Quim. La Sainte Vierge elle-même est restée au pied de la croix.

— Restez, dit Novinha à voix basse.

Et elle resta également.

La bouche d’Humain était pleine de capim, mais il ne mâchait guère.

— Encore, dit Ender, afin que tu ne sentes rien.

— Il ne faut pas, intervint Mandachuva. Ce sont les derniers instants de sa deuxième vie. Il est bon de sentir un peu de la douleur de ce corps, afin de s’en souvenir dans la troisième vie, au-delà de la douleur.

Madachuva et Mange-Feuille indiquèrent à Ender où et comment couper. Cela devait être fait rapidement, lui expliquèrent-ils, et leurs mains montrèrent, à l’intérieur du corps fumant, les organes qui devaient aller ici et là. Les mains d’Ender étaient rapides et sûres, son corps calme mais, bien qu’il ne puisse quitter que rarement sa chirurgie des yeux, il savait que des yeux humains surveillaient son travail sanglant, le regardaient, pleins de reconnaissance et d’amour, emplis des souffrances de la mort.

Cela arriva entre ses mains, si rapidement que, pendant les premières minutes, ils purent le voir grandir. Plusieurs gros organes se flétrirent tandis que des racines en jaillissaient ; des filaments relièrent divers endroits du corps ; et, de la colonne vertébrale, une pousse se dressa, deux feuilles, quatre feuilles…

Puis tout se stabilisa. Le corps était mort ; son dernier spasme de force avait été destiné à créer l’arbre qui s’enracinait dans la colonne vertébrale d’Humain. Ender avait vu les racines et les filaments se répandre dans le corps. Les souvenirs d’Humain, son âme avaient été transférés dans les cellules du jeune arbre. C’était fait. Sa troisième vie avait commencé. Et quand le soleil se lèverait, bientôt, les feuilles goûteraient la lumière pour la première fois.

Les autres piggies se réjouissaient, dansaient. Mange-Feuille et Mandachuva prirent les poignards d’Ender et les enfoncèrent dans le sol, de part et d’autre de la tête d’Humain. Ender fut incapable de prendre part à la fête. Il était couvert de sang et sentait sur lui la puanteur du corps qu’il avait découpé. À quatre pattes, il s’éloigna, gravissant la colline jusqu’à un endroit où nul ne serait obligé de le voir. Novinha le suivit. Epuisés, vidés, tous, par le travail et les émotions de la journée, les autres restèrent silencieux, ne firent rien, se laissèrent juste tomber dans le capim touffu, appuyés les uns contre les autres, trouvant enfin le soulagement dans le sommeil, tandis que les piggies regagnaient la forêt en dansant.

Bosquinha et l’Evêque Peregrino gagnèrent la porte avant le lever du soleil, afin d’assister au retour du Porte-Parole. Dix minutes s’étaient écoulés lorsqu’ils virent des mouvements, à bonne distance de la lisière de la forêt. C’était un jeune garçon urinant dans un buisson.

— Olhado ! appela le maire.

Le jeune garçon se retourna, fit un geste de la main, puis reboutonna hâtivement son pantalon et entreprit de réveiller les autres, qui dormaient dans les hautes herbes. Bosquinha et l’évêque ouvrirent la porte puis allèrent à leur rencontre.

— Ridicule, n’est-ce pas, dit Bosquinha, « mais c’est en ce moment que notre rébellion me paraît vraiment réelle. Alors que je franchis la clôture pour la première fois.

— Pourquoi ont-ils passé la nuit dehors ? se demanda Peregrino à haute voix. La porte était ouverte. Ils auraient pu rentrer.

Bosquinha effectua un recensement rapide du groupe. Ouanda et Ela se tenaient par le bras, comme des sœurs. Olhado et Quim. Et, oui, le Porte-Parole, assis, Novinha derrière lui, les mains posées sur ses épaules. Tous attendaient en silence, quoiqu’impatients. Jusqu’au moment où Ender leva la tête.

— Nous avons un traité, annonça-t-il. Et il est bon.

Novinha tendit le paquet enroulé dans les feuilles.

— Ils l’ont écrit, indiqua-t-elle, pour que vous le signiez.

Bosquinha prit le paquet.

— Toutes les archives ont été reconstituées avant minuit, les renseigna-t-elle. Pas seulement celles que nous avons sauvées en vous les envoyant sous forme de message. Qui que soit votre ami, Porte-Parole, il est très fort.

— Elle, précisa Ender. Elle s’appelle Jane. »

À ce moment-là, cependant, l’évêque et Bosquinha virent ce qui était étendu sur la terre nue, au flanc de la colline, non loin de l’endroit où le Porte-Parole avait dormi. Ils comprirent alors la raison d’être des traînées foncées qui maculaient les mains et les bras du Porte-Parole, les éclaboussures qui couvraient son visage.

— Je préférerais ne rien avoir, dit Bosquinha, plutôt qu’un traité dont l’obtention a nécessité de tuer.

— Attendez, avant de juger, la tempéra l’évêque. Je crois que le travail de la nuit ne se résume pas à ce que nous voyons.

— Très sage de votre part, Père Peregrino, glissa le Porte-Parole à voix basse.

— J’expliquerai, si vous voulez, proposa Ouanda. Ela et moi, nous avons compris.

— C’était comme un sacrement, souligna Olhado.

Bosquinha regarda Novinha sans comprendre.

— Vous l’avez laissé regarder ?

Olhado toucha son œil.

— Tous les piggies verront cela, un jour, avec mes yeux.

— Ce n’était pas la mort, assura Quim. C’était la résurrection.

L’évêque alla près du cadavre torturé et toucha le jeune arbre poussant dans la cavité thoracique.

— Il s’appelle Humain, annonça le Porte-Parole.

— Et vous aussi, dit l’évêque à voix basse.

Il se retourna et regarda les membres du petit troupeau, qui avaient déjà fait avancer l’humanité d’un pas. Suis-je le berger, se demanda Peregrino, ou l’agneau le plus impuissant et déconcerté ?

— Venez, tous. Venez avec moi à la cathédrale. Les cloches vont bientôt sonner pour la messe.

Les enfants se rassemblèrent et se préparèrent à partir. Novinha quitta également la place qu’elle occupait, derrière le Porte-Parole. Puis elle s’immobilisa, se tourna vers lui et le regarda, l’invitant du regard.

— Bientôt, dit-il. Encore un instant.

Elle suivit l’évêque sur le chemin de la cathédrale.

La messe venait tout juste de commencer quand Peregrino vit le Porte-Parole entrer au fond de la cathédrale. Il resta un instant immobile, puis localisa Novinha et sa famille. En quelques pas, il les rejoignit. À la place de Marcão, les rares fois où la famille venait au complet.

Les devoirs de sa charge retinrent son attention ; quelques instants plus tard, lorsqu’il leva à nouveau les yeux, l’évêque constata que Grego était assis sur les genoux du Porte-Parole. Peregrino pensa aux termes du traité, tels que les deux jeunes filles les lui avaient exposés. À la signification de la mort du piggy nommé Humain et, avant lui, des décès de Pipo et Libo. Tout devenait clair, tout se mettait en place. Le jeune homme, Miro, paralysé sur son lit, et sa sœur, Ouanda, s’occupant de lui. Novinha, la brebis égarée, qui avait rejoint le troupeau. La clôture, dont l’ombre était si noire dans l’esprit de tous ceux qu’elle avait emprisonnés, désormais inoffensive, invisible, dépourvue de substance.