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Ainsi, Miro resta à la maison et étudia les rapports des autres. Savoir ce qu’ils faisaient, et qu’il ne pouvait pas y prendre part, était une torture ; mais c’était préférable à ne rien faire, à regarder des films sur le terminal, à écouter de la musique. Il pouvait taper, lentement, en visant avec la main afin que le doigt le plus raide, l’index, appuie sur une touche. Ce n’était pas assez rapide pour entrer des informations significatives, ni même pour rédiger des mémos, mais il pouvait demander les archives des autres et lire ce qu’ils faisaient. Il pouvait rester en contact avec le travail capital qui s’épanouissait sur Lusitania depuis l’ouverture de la clôture.

Ouanda travaillait avec les piggies sur un lexique des Langues des Mâles et des Epouses, ainsi que sur leurs systèmes phonologiques, ce qui permettrait de les écrire. Quim l’aidait mais Miro savait qu’il avait ses objectifs personnels : il avait l’intention de se faire missionnaire auprès des piggies des autres tribus afin de les amener aux Evangiles avant qu’ils aient pu prendre connaissance de La Reine et l’Hégémon ; il avait l’intention de traduire au moins une partie des Ecritures et de parler aux piggies dans leur langue. Tout ce travail sur la langue et la culture des piggies était très bon, très important : conservation du passé, préparation de la communication avec les autres tribus, mais Miro savait que cela pouvait être aisément fait par les universitaires de Dom Cristão qui, vêtus de leur soutane monacale, rendaient visite aux piggies, posaient des questions et répondaient avec compréhension à celles qui leur étaient présentées. Selon Miro, Ouanda faisait un travail inutile.

Le véritable travail avec les piggies, du point de vue de Miro, était réalisé par Ender et quelques techniciens des services de Bosquinha. Ils posaient des tubes entre la rivière et la clairière de l’arbre-mère, afin d’y amener l’eau. Ils installaient l’électricité et enseignaient aux frères l’utilisation d’un terminal. En même temps, ils leur apprenaient des rudiments d’agriculture et tentaient de domestiquer les cabras afin de leur faire tirer des charrues. C’était déconcertant, ces divers niveaux de technologie qui étaient d’un seul coup apportés aux piggies, mais Ender s’en était entretenu avec Miro, expliquant qu’il voulait que les piggies constatent rapidement les résultats spectaculaires du traité : l’eau courante, une liaison par terminal holographique avec la bibliothèque, ce qui leur permettrait de lire n’importe quoi, la lumière électrique pendant la nuit. Mais tout cela restait magique et totalement dépendant de la société humaine. En même temps, Ender tentait de rendre les piggies autonomes, de stimuler leur esprit d’invention et leurs ressources. Le miracle de l’électricité donnerait naissance à des mythes qui courraient de tribu en tribu sur toute la planète mais, pendant de nombreuses années, ils ne constitueraient qu’une rumeur. Ce seraient la charrue en bois, la faux, la herse, les graines d’amarante qui entraîneraient les véritables transformations, qui multiplieraient la population des piggies par dix partout où elles se répandraient. Et elles pourraient se transmettre d’un endroit à l’autre avec une poignée de graines dans un sac en peau de cabra, et le souvenir des diverses étapes du travail.

C’était à cette tâche que Miro avait envie de participer. Mais à quoi pouvaient servir des mains raides et sa démarche traînante dans un champ d’amarante ? Pouvait-il tisser de la laine de cabra ? Il parlait si mal qu’il n’était même pas capable d’enseigner.

Ela travaillait au développement de nouvelles espèces de plantes terrestres, et même de nouveaux types d’animaux et d’insectes capables de résister à la Descolada, de la neutraliser. Sa mère l’aidait par ses conseils, mais pas davantage, car elle travaillait sur un projet capital et secret. Une nouvelle fois, ce fut Ender qui rendit visite à Miro et lui communiqua ce que seules sa famille et Ouanda savaient : à savoir que la reine vivait, qu’elle serait rendue à la conscience dès que Novinha aurait trouvé le moyen de la protéger contre la Descolada, ainsi que tous les doryphores à qui elle donnerait naissance. Dès que cela serait prêt, la reine revivrait.

Et Miro ne participerait pas non plus à cela. Pour la première fois, les êtres humains et deux espèces extraterrestres vivraient sur la même planète, et Miro n’y participerait pas. Il était moins humain que les piggies. Il ne pouvait ni parler ni utiliser ses mains aussi bien qu’eux. Il avait cessé d’être un animal capable de parler et d’employer des outils. Il était devenu un varelse. On le gardait comme animal de compagnie.

Il avait envie de partir, mieux, de disparaître, même à ses propres yeux.

Mais pas tout de suite. Il y avait un nouveau problème qu’il était seul à connaître et que lui seul pouvait résoudre. Son terminal avait un comportement très étrange.

Il s’en aperçut au cours de la semaine où il commença de se rétablir après sa paralysie totale. Il examinait les archives d’Ouanda et constata que, sans avoir présenté la moindre demande, il accédait à des dossiers confidentiels. Ils étaient efficacement protégés, il ignorait tout des mots clés, pourtant, un simple examen de routine lui avait fourni les informations. C’étaient ses hypothèses sur l’évolution des piggies et les structures probables de leur société antérieure à la Descolada. Le genre de chose dont, quelques semaines auparavant, elle aurait discuté avec Miro. À présent, elle leur conférait un caractère confidentiel et n’en parlait jamais avec lui.

Miro ne lui dit pas qu’il avait vu ses dossiers, mais il orienta les conversations sur ce sujet et la força à se découvrir ; elle accepta sans difficulté de parler, lorsque Miro eut montré que le sujet l’intéressait. Parfois, c’était presque comme avant. À ceci près qu’il entendait sa voix pâteuse et n’exprimait que rarement son opinion, se contentant d’écouter, laissant passer des éléments sur lesquels il aurait discuté. Cependant, les dossiers confidentiels lui permirent de voir ce à quoi elle s’intéressait vraiment.

Mais comment y avait-il eu accès ?

Cela se reproduisit. Les archives d’Ela, de sa mère, de Dom Cristão. Lorsque les piggies commencèrent à jouer avec leur nouveau terminal, Miro fut en mesure de les voir sur un mode d’écho dont les terminaux, à sa connaissance, étaient incapables – cela lui permit d’assister à toutes leurs transactions par ordinateur, puis d’apporter quelques suggestions, quelques changements. Il prit un plaisir particulier à deviner ce que les piggies tentaient effectivement de faire et à les aider, subrepticement, à y parvenir. Mais d’où provenait cet accès exceptionnel et étrange à la machine ?

En outre, le terminal apprenait à s’adapter à lui. Au lieu de longues successions de codes, il lui suffisait de commencer une séquence pour que la machine obéisse à ses instructions. Finalement, il n’eut même plus besoin de s’identifier. Il touchait le clavier et le terminal affichait la liste des activités qu’il pratiquait généralement, puis les énumérait. Il pouvait appuyer sur une touche et parvenir directement à l’activité qu’il souhaitait, sautant des dizaines d’opérations préliminaires, ce qui le dispensait de nombreuses minutes désagréables pendant lesquelles il lui aurait fallu taper une lettre à la fois.

Au début, il crut qu’Olhado avait créé un nouveau programme à son intention, ou bien un employé des services du maire. Mais Olhado se contenta de regarder sans comprendre ce que le terminal faisait, et de dire :

— Bacaña.

C’est formidable.

Et, lorsqu’il envoya un message au maire, elle ne le reçut pas. En remplacement, le Porte-Parole des Morts lui rendit visite.

— « Ainsi, ton terminal est très coopératif, » dit Ender.