Miro ne répondit pas. Il tentait de deviner pourquoi le maire avait envoyé le Porte-Parole en réponse à son message.
— Le maire n’a pas reçu ton message, expliqua Ender. Il m’est parvenu. Et il est préférable que tu ne dises à personne ce que fait ton terminal.
— Pourquoi ? demanda Miro.
C’était un des rares mots qu’il pouvait prononcer d’une voix pas trop traînante.
— Parce que ce n’est pas un nouveau programme qui te vient en aide. C’est une personne.
Miro rit. Aucun être humain ne pouvait être aussi rapide que le programme qui l’aidait. Il était plus rapide, en fait, que tous les programmes qu’il avait pratiqués, ainsi que très inventif et intuitif ; plus rapide qu’un être humain, mais plus intelligent qu’un programme.
— C’est une vieille amie à moi, je crois. Du moins, c’est elle qui m’a parlé de ton message et m’a suggéré de te dire que la discrétion serait une bonne idée. Vois-tu, elle est un peu timide. Elle n’a pas beaucoup d’amis.
— Combien ?
— En ce moment, exactement deux. Pendant ces derniers millénaires, exactement un.
— Pas humaine, dit Miro.
— Raman, dit Ender. Plus humaine que la majorité des êtres humains. Nous nous sommes longtemps aimés, entraidés, nous avons compté l’un sur l’autre. Mais, au cours de ces dernières semaines, depuis que je suis ici, nous nous sommes éloignés l’un de l’autre. Je… je me consacre davantage à la vie des gens qui m’entourent. À ta famille.
— Maman ?
— Oui. Ta mère, tes frères et sœurs, le travail avec les piggies, la reine. Mon amie et moi, nous parlions continuellement. Je n’en ai plus le temps. Nous nous sommes parfois disputés. Elle se sent seule, de sorte que je crois qu’elle a choisi un autre compagnon.
— Nào quero.
Je n’en veux pas.
— Mais si, répondit Ender. Elle t’aide déjà. Maintenant que tu connais son existence, tu verras que c’est une amie fidèle. Tu ne peux pas en avoir de meilleure. De plus loyale. De plus utile.
— Chien-chien ?
— Ne sois pas ridicule, dit Ender. Je te présente à une quatrième espèce extraterrestre. Tu es xénologue, n’est-ce pas ? Elle te connaît, Miro. Tes problèmes physiques n’ont aucun sens pour elle. Elle n’a pas de corps. Elle vit dans les distorsions philotiques des liaisons par ansible. C’est la créature la plus intelligente qui soit et tu es le deuxième être humain à qui elle ait décidé de révéler son existence.
— Comment ? Comment est-elle apparue ? Comment a-t-elle fait ma connaissance, m’a-t-elle choisi ?
— Pose-lui toi-même la question. (Ender toucha la pierre précieuse de son oreille.) Juste un petit conseil. Lorsqu’elle te fera confiance, garde-la toujours avec toi. Ne lui cache rien. Elle a eu un amant qui l’a déconnectée. Seulement pendant une heure mais, après, leurs relations ont été complètement transformées. Ils sont devenus de simples amis. De bons amis, des amis loyaux, jusqu’à la mort de l’un d’entre eux. Mais, pendant toute sa vie, il regrettera cet acte irréfléchi d’infidélité.
Les yeux d’Ender brillaient et Miro constata que, quelle que soit la nature de la créature qui vivait dans l’ordinateur, ce n’était pas un fantôme, qu’elle faisait partie de la vie de cet homme. Et il lui transmettait, comme un père à son fils, le droit de connaître cette amie.
Ender s’en alla sans ajouter un mot et Miro alluma le terminal. Un holo représentant une femme apparut. Elle était petite, assise sur un tabouret, appuyée contre un mur holographique. Elle n’était pas belle. Ni laide. Son visage avait du caractère. Ses yeux étaient inoubliables, innocents, tristes. Sa bouche délicate semblait hésiter entre le rire et les larmes. Ses vêtements paraissaient diaphanes, insubstantiels ; pourtant, au lieu d’être provocants, ils révélaient une sorte d’innocence, un corps d’adolescente aux petits seins, les mains croisées sur les genoux, les jambes légèrement écartées, les pieds tournés vers l’intérieur. Elle aurait pu être assise sur un manège de fête foraine. Ou au bord du lit de son amant.
— Bom dia, dit Miro à voix basse.
— Salut, répondit-elle. Je lui ai demandé de nous présenter.
Elle était calme, réservée, mais c’était Miro qui se sentait timide. Pendant très longtemps, Ouanda avait été la seule femme de sa vie, outre les femmes de sa famille, et il ne faisait guère confiance aux relations sociales. En même temps, il était conscient du fait qu’il parlait à un hologramme. Il était absolument convaincant, mais ce n’était tout de même qu’une projection par laser.
Elle leva une main et la posa doucement sur sa poitrine.
— Aucune sensation, dit-elle. Pas de nerfs.
Les larmes lui montèrent aux yeux. Complaisance, bien entendu, parce qu’il n’aurait probablement jamais de femme plus substantielle que celle-ci. S’il tentait d’en toucher une, ses caresses seraient grossières et maladroites. Parfois, quand il ne faisait pas attention, il bavait sans même s’en rendre compte. Quel amant !
— Mais j’ai des yeux, dit-elle. Et des oreilles. Je vois tout, sur les Cent Planètes. Je regarde le ciel à travers mille télescopes. J’entends un trillion de conversations chaque jour. (Elle eut un rire étouffé.) Je suis la commère la mieux informée de l’univers.
Puis, soudain, elle se leva et grandit, approcha, de sorte que seule la partie supérieure de son corps resta visible, comme si une caméra avait avancé dans sa direction. Ses yeux brillaient avec intensité et elle plongea son regard dans le sien.
— Et tu es un écolier ne connaissant qu’une ville et une forêt.
— Je n’ai guère eu l’occasion de voyager, dit-il.
— Nous verrons, répondit-elle. Alors, que veux-tu faire, aujourd’hui ?
— Comment t’appelles-tu ? demanda-t-il.
— Tu n’as pas besoin de mon nom, dit-elle.
— Comment vais-je t’appeler ?
— Je serai ici chaque fois que tu auras besoin de moi.
— Mais je veux savoir, insista-t-il.
Elle se toucha l’oreille.
— Quand tu m’aimeras assez pour m’emmener partout où tu iras, je te dirai mon nom.
Répondant à une impulsion, il lui confia ce qu’il n’avait dit à personne :
— Je veux quitter cet endroit, dit Miro. Peux-tu me conduire loin de Lusitania ?
Aussitôt, elle devint coquette et moqueuse :
— Et nous venons tout juste de nous rencontrer ! Vraiment, monsieur Ribeira, vous vous méprenez sur moi.
— Peut-être quand nous nous connaîtrons, dit Miro en riant.
Elle effectua une transition subtile, merveilleuse, et la femme de l’écran devint un félin souple, sensuellement allongé sur une branche. Lequel ronronna, tendit un membre, se gratta.
— Je peux te casser la nuque d’un seul coup de patte, souffla-t-elle. (Le ton de sa voix suggérait la séduction ; les griffes évoquaient le meurtre.) Quand nous serons seuls, je pourrais t’égorger d’un seul baiser.
Il rit. Puis il se rendit compte que, pendant toute cette conversation, il avait oublié sa voix traînante. Elle comprenait tous les mots. Elle ne disait jamais : « Comment ? Je n’ai pas compris », ne recourait jamais aux expressions polies et exaspérantes que les autres employaient. Elle le comprenait sans faire le moindre effort.
— Je veux tout comprendre, dit Miro. Je veux tout savoir et l’analyser pour voir ce que cela signifie.
— Excellent projet, apprécia-t-elle. Cela sera du meilleur effet dans ton curriculum.
Ender constata qu’Olhado conduisait beaucoup mieux que lui. Sa perception des distances était meilleure et, lorsqu’il branchait son œil directement sur l’ordinateur de bord, les problèmes de navigation se résolvaient pratiquement d’eux-mêmes. Ender pouvait se consacrer entièrement à l’observation.