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Le paysage parut tout d’abord monotone, lorsqu’ils commencèrent les vols d’exploration. Prairies interminables, énormes troupeaux de cabras, rares forêts au loin – ils n’en approchèrent jamais, naturellement, du fait qu’ils ne voulaient pas attirer l’attention des piggies qui y vivaient. En outre, ils cherchaient une patrie à l’intention de la reine et il ne fallait pas qu’elle se trouve à proximité d’une tribu.

Ce jour-là, ils allèrent vers l’ouest, de l’autre côté de la Forêt de Rooter, et suivirent un petit fleuve jusqu’à son estuaire. Ils s’arrêtèrent sur la plage, où les vagues venaient doucement mourir. Ender goûta l’eau. Salée. La mer.

Olhado demanda à l’ordinateur de bord d’afficher la carte de cette région de Lusitania, se faisant indiquer l’endroit où ils se trouvaient, la Forêt de Rooter et les autres colonies piggies des environs. C’était un bon endroit et, dans les profondeurs de son esprit, Ender sentit l’approbation de la reine. Près de la mer ; de l’eau à volonté, du soleil.

Ils remontèrent le fleuve sur quelques centaines de mètres, jusqu’à un endroit où la rive droite formait une falaise.

— Pouvons-nous nous arrêter ? demanda Ender.

Olhado trouva un endroit, à une cinquantaine de mètres du sommet de la colline. Ils revinrent en suivant le fleuve, où les roseaux cédaient la place au grama. Tous les cours d’eau de Lusitania avaient la même apparence, naturellement. Ela avait aisément mis en évidence les structures génétiques, lorsqu’elle avait pu disposer des archives de Novinha et obtenu la permission de travailler sur le sujet. Les roseaux se coreproduisaient avec les mouches. Le grama s’accouplait avec les serpents d’eau. Et le capim frottait ses épis riches en pollen contre le ventre des cabras fertiles afin de produire la génération suivante d’animaux producteurs d’engrais. Parmi les racines et les tiges de capim, on trouvait les tropeças, ces longues lianes dont Ela démontra qu’elles avaient les mêmes gènes que le xingadora, oiseau qui nichait parmi les Elantes vivantes. On retrouvait ce type de paires dans la forêt : les macios qui éclosaient dans les graines de merdona et donnaient naissance à des graines. Les puladores, de petits insectes, qui s’accouplaient avec les feuilles des buissons. Et, surtout, les piggies et les arbres, tous les deux au sommet de la pyramide, plantes et animaux s’unissant en une longue chaîne de vie.

Telle était la liste, la liste complète, des animaux et des plantes de la surface de Lusitania. Dans l’eau, il y en avait beaucoup, beaucoup d’autres. Mais la Descolada avait rendu Lusitania monotone.

Pourtant, cette monotonie elle-même recelait une étrange beauté. La géographie était aussi variée que sur les autres planètes – rivières, collines, montagnes, déserts, océans, îles. Le tapis de capim et les taches des forêts devenaient la musique de fond de la symphonie des paysages. Les yeux devenaient sensibles aux ondulations, ruptures, falaises, ravins et, surtout, au scintillement de l’eau sous le soleil. Lusitania, comme Trondheim, comptait parmi les rares planètes dominées par un motif unique au lieu de présenter toute la symphonie des possibilités. Dans le cas de Trondheim, toutefois, c’était parce que la planète se trouvait à la limite de l’habitabilité, son climat parvenant tout juste à entretenir la vie. Le climat et l’humus de Lusitania paraissaient faits pour la charrue du laboureur, le pic du terrassier, la truelle du maçon. Donnez-moi la vie, semblaient-ils dire.

Ender ne comprenait pas qu’il aimait cet endroit parce qu’il était aussi dépouillé et stérile que sa vie, marquée et déformée dans son enfance par des événements aussi terrifiants, sur une échelle moindre, que ceux que la Descolada avait imposés à cette planète. Pourtant, elle s’était développée, avait exploité les rares moyens de survivre et de poursuivre sa croissance. Du défi de la Descolada étaient nées les trois vies des Petits. De l’Ecole de Guerre, des années d’isolement, était sorti Ender Wiggin. Il convenait à cet endroit comme s’il avait été conçu pour lui. Le jeune garçon qui marchait à ses côtés dans le grama lui faisait l’effet d’être véritablement son fils, comme s’il le connaissait depuis la petite enfance. Je sais ce que l’on ressent, Olhado, quand il y a une paroi métallique entre soi et le monde. Mais ici, j’ai abattu la paroi et la chair touche la terre, boit l’eau, réconforte, prend de l’amour.

La rive du fleuve s’élevait en terrasses, à une douzaine de mètres de la crête. L’humus était humide, de sorte qu’il était aisé de creuser dedans. La reine était une fouisseuse ; Ender ressentit le désir de creuser, si bien qu’il creusa, et Olhado aussi. La terre céda facilement, pourtant le toit de leur petite caverne resta solide.

‹ Oui. Ici ›

C’est ainsi que la décision fut prise.

— Ici, alors, dit Ender à voix haute.

Olhado sourit. Mais c’était en fait à Jane qu’il s’adressait, et ce fut sa réponse qu’il entendit :

— Novinha pense qu’ils ont trouvé. Tous les tests se sont révélés négatifs… La Descolada reste inactive lorsque le nouveau Colador est présent dans les cellules données des doryphores. Selon Ela, on peut adapter les pâquerettes sur lesquelles elle travaille afin qu’elles produisent naturellement le Colador. Si cela fonctionne, il suffira de planter les graines çà et là, si bien que les doryphores n’auront qu’à manger les pâquerettes pour combattre victorieusement la Descolada.

Le ton de sa voix était vif, mais il s’agissait exclusivement de travail, pas de plaisanterie. Pas la moindre plaisanterie.

— Bien, répondit Ender.

Il éprouva un douloureux sentiment de jalousie… Jane parlait sans doute beaucoup plus librement à Miro, le taquinant, restant continuellement avec lui, comme elle le faisait naguère avec Ender.

Mais il était facile de chasser ce sentiment de jalousie. Il tendit la main et la posa sur l’épaule d’Olhado ; il serra un instant le jeune garçon contre lui, puis ils regagnèrent ensemble le véhicule. Olhado indiqua l’endroit sur la carte, puis l’enregistra. Il rit et plaisanta pendant tout le chemin du retour, et Ender rit avec lui. Ce n’était pas Jane. Mais c’était Olhado, Ender l’aimait, Olhado avait besoin d’Ender, et c’était ce dont Ender avait essentiellement besoin. C’était le désir qui l’avait rongé pendant toutes ces années passées en compagnie de Valentine, qui l’avait poussé de planète en planète. Cet enfant aux yeux métalliques. Son petit frère, Grego, intelligent et terriblement destructeur. L’intuition pénétrante de Quara, son innocence ; l’impassibilité de Quim, sa foi, son ascétisme ; la solidité d’Ela, semblable à un rocher mais sachant quand il fallait agir ; et Miro…

Miro. Je ne peux pas consoler Miro, pas sur cette planète, pas en ce moment. On lui a pris la tâche de sa vie, son corps, ses espoirs d’avenir, et ce que je pourrais dire ou faire ne lui rendra pas ce qu’il a perdu. Il vit dans la douleur, la femme de sa vie étant devenue sa sœur, son projet de vivre parmi les piggies se révélant irréalisable puisqu’ils recherchent la compagnie et la fréquentation d’autres êtres humains.

— Miro a besoin… dit Ender à voix basse.

— Miro a besoin de quitter Lusitania, dit Olhado.

— Mmm, fit Ender.

— Vous avez un vaisseau interstellaire, n’est-ce pas ? reprit Olhado. Je me souviens d’une histoire que j’ai lue, un jour. Ou bien c’était un film. À propos d’un héros de la guerre contre les doryphores, Mazer Rackham. Il a sauvé la Terre, mais on savait qu’il serait mort bien avant la bataille suivante. Alors on l’a envoyé dans l’espace à une vitesse relativiste, un simple aller-retour. Cent ans s’étaient écoulés sur la Terre, mais seulement deux pour lui.