— Porte-Parole, dit l’évêque, vous m’avez presque convaincu de devenir humaniste.
Les autres, moins accoutumés à l’éloquence, ne trouvèrent rien à dire, ni ce jour-là ni plus tard. Mais ils comprirent alors qui étaient les piggies, tout comme les lecteurs de La Reine avaient compris les doryphores, et les lecteurs de L’Hégémon avaient compris l’humanité et sa quête inlassable de la grandeur dans une jungle d’opposition et de méfiance.
— C’est pour cela que je t’ai appelé, dit Novinha. J’ai rêvé autrefois d’écrire ce livre. Mais il fallait que ce soit toi qui l’écrives.
— J’ai joué dans cette histoire un rôle plus important que celui que je prévoyais, souligna Ender. Mais tu as réalisé ton rêve, Ivanova. C’est ton travail qui est à l’origine de ce livre. Et c’est grâce à toi et aux enfants que j’ai pu l’écrire.
Il le signa, comme il avait signé les précédents : Porte-Parole des Morts.
Jane se chargea de la diffusion du livre et le transmit par ansible aux Cent Planètes. Elle y ajouta le texte du traité et les images d’Olhado relatives à sa signature et au passage d’Humain dans la lumière. Elle les plaça çà et là, dans une vingtaine d’endroits sur chacune des Cent Planètes, les donnant à des gens susceptibles de les lire et de les comprendre. Des exemplaires passèrent d’un ordinateur à l’autre ; lorsque le Congrès Stellaire apprit la nouvelle, il était trop répandu pour qu’il soit possible de l’interdire.
Ils tentèrent donc de le faire passer pour un faux. Les images étaient une simulation grossière. L’analyse textuelle révéla qu’il était impossible que le même auteur ait écrit les deux livres. Les enregistrements des utilisations de l’ansible révélèrent qu’il ne pouvait en aucun cas venir de Lusitania, qui ne disposait pas d’ansible. Certaines personnes le crurent. La majorité ne s’en soucia pas. Ceux qui prirent la peine de lire La Vie d’Humain n’eurent pas le cœur à ne pas considérer les piggies comme des ramen.
Quelques-uns acceptèrent les piggies, lurent l’accusation écrite par Démosthène quelques mois auparavant, et appelèrent la flotte, qui était déjà en route pour Lusitania, « le Second Xénocide ». C’était une expression horrible. Il n’y avait pas assez de prisons, sur les Cent Planètes, pour enfermer tous ceux qui l’utilisaient. Le Congrès Stellaire avait cru que la guerre commencerait lorsque les vaisseaux atteindraient Lusitania, quarante ans plus tard. Au lieu de cela, la guerre avait déjà commencé, et elle serait féroce. Ce que le Porte-Parole écrivait, beaucoup de gens le croyaient ; et beaucoup étaient prêts à considérer les piggies comme des ramen, et tous ceux qui voulaient leur mort comme des assassins.
Un jour d’automne, Ender prit le cocon soigneusement enveloppé puis, accompagné de Novinha, d’Olhado, de Quim et d’Ela, parcourut les kilomètres de capim qui les séparaient de la colline proche du fleuve. Les pâquerettes qu’ils avaient plantées étaient fleuries ; l’hiver, dans cette région, serait doux, et la reine serait à l’abri de la Descolada.
Ender porta prudemment la reine au bord du fleuve puis la posa dans le petit logement qu’Olhado et lui avaient préparé. Ils posèrent un cabra mort par terre, devant le logement.
Puis Olhado les ramena. Ender pleura à cause de l’extase immense, incontrôlable, que la reine avait placée dans son esprit, une joie trop intense pour un cœur humain. Novinha le serra contre elle, Quim pria à voix basse et Ela chanta une chanson rythmée que l’on entendait autrefois dans les montagnes de Minas Gérais, parmi les caiparas et les mineiros du Brésil. Ce fut un moment agréable, c’était un endroit agréable, et jamais Ender n’aurait rêvé connaître un jour cela, lorsqu’il était enfant, dans les couloirs nus de l’Ecole de Guerre, et se battait pour survivre.
— Je peux sans doute mourir, à présent, dit Ender. J’ai fait tout ce que j’avais à faire.
— Moi aussi, acquiesça Novinha. Mais je crois que cela signifie qu’il est temps de commencer à vivre.
Derrière eux, dans l’air humide de la petite caverne proche du fleuve, de puissantes mandibules déchirèrent le cocon puis un corps mou et squelettique se dégagea. Ses ailes s’étendirent progressivement et séchèrent au soleil ; la reine se traîna faiblement jusqu’au bord de l’eau, aspirant la force et l’humidité dans son corps desséché. Elle mordilla la viande du cabra. Les œufs qu’elle portait en elle, voulaient sortir ; elle pondit la première douzaine près du cadavre du cabra, puis mangea les pâquerettes les plus proches, tentant de percevoir la transformation qui s’opérait dans son corps tandis qu’elle revenait enfin à la vie.
Le soleil sur son dos, la brise contre ses ailes, l’eau fraîche sous ses pattes, les œufs mûrissant dans la chair du cabra : la vie, qu’elle attendait depuis si longtemps. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle acquit la certitude qu’elle ne serait pas la dernière de sa tribu, mais la première.