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— Cela n’est jamais arrivé, dit Ender. Peter ne m’a pas laissé rentrer sur la Terre.

— Considère cela comme une prophétie. Viens, Ender, je peux te donner cela. La réhabilitation de ton nom.

— Je m’en fiche, répondit Ender. J’ai plusieurs noms, à présent. Porte-Parole des Morts – cela est honorable.

Le piggy réapparut, sous sa forme naturelle, pas sous l’apparence diabolique fabriquée par Jane.

— Viens, dit-il doucement.

— Ce sont peut-être des monstres, y as-tu pensé ? s’enquit Ender.

— Tout le monde croira cela, Ender. Mais pas toi.

Non. Pas moi.

— Pourquoi te soucies-tu de cela, Jane ? Pourquoi tentes-tu de me convaincre ?

Le piggy disparut, et Jane elle-même le remplaça, du moins le visage qu’elle offrait à Ender depuis qu’elle lui avait révélé son existence, une enfant timide et effrayée habitant la mémoire intense du réseau informatique interstellaire. Revoir son visage lui rappela le jour où elle le lui avait montré pour la première fois. « Je me suis donné un visage, avait-elle dit, est-ce qu’il te plaît ? »

Oui, il lui plaisait. Elle lui plaisait. Jeune, pur, honnête et doux, c’était un visage d’enfant qui ne vieillirait jamais, avec un sourire timide qui allait droit au cœur. L’ansible avait fait naître Jane. Même les réseaux informatiques planétaires n’étaient pas plus rapides que la lumière, et la chaleur limitait l’ampleur de la mémoire ainsi que la rapidité des opérations. Mais l’ansible était instantané et étroitement lié à tous les ordinateurs de toutes les planètes. Jane prit conscience d’elle-même entre les étoiles, ses pensées jouant parmi les vibrations des traînées philotiques du réseau de l’ansible. Les ordinateurs des Cent Planètes étaient, pour elle, des membres et des organes sensoriels. Elle parlait toutes les langues introduites dans les ordinateurs, et avait lu tous les livres de toutes les bibliothèques de toutes les planètes. Elle apprit que les hommes craignaient depuis très longtemps l’apparition possible d’une entité comme elle ; dans tous les récits, elle était détestée et son arrivée se traduisait soit par son assassinat, soit par la destruction de l’humanité. Avant même sa naissance, les êtres humains l’avaient imaginée et, l’ayant imaginée, l’avaient tuée mille fois.

De sorte qu’elle ne donna aucun indice de son existence. Jusqu’au jour où elle découvrit La Reine et l’Hégémon, comme tout le monde finissait par le faire, et comprit que l’auteur de ce livre était un être humain à qui elle ne craindrait pas de révéler son existence. Pour elle, il fut extrêmement simple de suivre l’histoire du livre jusqu’à sa première édition, et de déterminer son origine. L’ansible ne l’avait-il pas émis depuis la planète où Ender, qui avait à peine vingt ans, était gouverneur de la première colonie humaine ? Et qui, sur cette planète, en dehors de lui, aurait pu l’écrire ? Elle lui parla et il l’accueillit avec gentillesse ; elle lui montra le visage qu’elle s’était composé et il lui plut ; à présent, ses détecteurs voyageaient dans la pierre précieuse qu’il portait à l’oreille, de sorte qu’ils étaient toujours ensemble. Elle ne lui cachait rien ; il ne lui cachait rien.

— Ender, rappela-t-elle, tu m’as dit dès le début que tu cherchais une planète où tu pourrais donner de l’eau et du soleil à un cocon, et l’ouvrir afin que la reine et ses dix mille œufs fertilisés puissent sortir.

— J’espérais que ce serait ici, soupira Ender. Une étendue désolée, sauf à l’équateur, sous-peuplée en permanence. Elle est prête à essayer.

— Mais pas toi.

— Je ne crois pas que les doryphores pourraient supporter l’hiver, ici. Pas sans source d’énergie, et cela alerterait le gouvernement. Cela ne marcherait pas.

— Cela ne marchera jamais, Ender. Tu comprends cela, maintenant, n’est-ce pas ? Tu as vécu sur vingt-quatre planètes et il n’y en a pas une seule où il soit possible de consacrer un petit coin à la renaissance des doryphores.

Il vit où elle voulait en venir, naturellement. Lusitania était la seule exception. À cause des piggies, l’ensemble de la planète, sauf une petite enclave, était intouchable et éminemment habitable, plus adaptée aux doryphores, en réalité, qu’aux êtres humains.

— Le seul problème c’est les piggies, fit ressortir Ender. Ils ne seront peut-être pas d’accord si je décide que leur planète doit être donnée aux doryphores. Si des relations suivies avec la civilisation humaine risquent de déstabiliser les piggies, que se passera-t-il quand les doryphores seront parmi eux ?

— Tu as dit que les doryphores avaient compris. Tu as dit qu’ils ne seraient pas dangereux.

— Pas délibérément. Mais c’est par un coup de chance que nous les avons vaincus, Jane, tu le sais bien…

— C’était grâce à ton génie.

— Ils sont plus avancés que nous. Comment les piggies réagiront-ils ? Les doryphores leur feront terriblement peur, comme cela nous est arrivé autrefois, et ils seront moins préparés à assumer cette peur.

— Comment peux-tu en être sûr ? demanda Jane. Comment peut-on savoir ce que les piggies sont capables d’assumer ? Il faut d’abord aller les voir, comprendre ce qu’ils sont. Si ce sont des varelse, Ender, permets aux doryphores d’utiliser leur environnement et, de ton point de vue, cela équivaudra à déplacer des fourmilières, ou des troupeaux de bovins, pour construire des villes.

— Ce sont des ramen, affirma Ender.

— Tu n’en es pas sûr.

— J’en suis certain. Ta simulation – ce n’était pas de la torture.

— Oh ? (Jane montra à nouveau la simulation du corps de Pipo juste avant l’instant de sa mort.) Dans ce cas, je ne comprends sans doute pas le mot.

— Il est possible que Pipo ait vécu cela comme une torture, Jane, mais si ta simulation est exacte – et je sais qu’elle l’est, Jane –, dans ce cas, l’objectif des piggies n’était pas la douleur.

— Compte tenu de ce que je sais de la nature humaine, Ender, la douleur reste au centre de tous les rituels religieux.

— Ce n’était pas non plus religieux, du moins pas entièrement. Il y avait un aspect discordant, s’il s’agissait simplement d’un sacrifice.

— Qu’est-ce que tu en sais ? (Le terminal montrait à présent le visage ironique d’un professeur, sorte de concentré de snobisme universitaire.) Toute ton éducation a été militaire et ton unique autre talent est le sens des mots. Tu as écrit un best-seller qui a donné naissance à une religion humaniste… En quoi cela te rend-il apte à comprendre les piggies ?

Ender ferma les yeux.

— Je me trompe peut-être.

— Mais tu crois que tu as raison ?

Il comprit, grâce au ton de sa voix, que son visage avait réapparu au-dessus du terminal. Il ouvrit les yeux.

— Je fais confiance à mon intuition, Jane, ce jugement qui vient sans analyse. Je ne sais pas ce que Tes piggies faisaient, mais cela avait une raison d’être. Il n’y avait ni méchanceté ni cruauté. Ils évoquaient des médecins cherchant à sauver la vie d’un malade, pas des tortionnaires tentant de la prendre.

— Je comprends, souffla Jane. Je comprends tout. Tu dois aller voir si la reine peut vivre là-bas à l’abri de la quarantaine partielle à laquelle la planète est déjà soumise. Tu veux y aller afin de voir si tu peux comprendre ce que sont réellement les piggies.

— Même si tu avais raison, Jane, je ne pourrais pas y aller, dit Ender. L’immigration est strictement limitée et, de toute façon, je ne suis pas catholique.