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Je n’ai jamais entendu parler d’une société humaine où des groupes de célibataires tels que celui-ci ne seraient pas marginaux, sans pouvoir ni prestige. Pas étonnant qu’ils parlent des femelles avec ce mélange de respect et de mépris, n’osant pas prendre une décision sans leur accord puis, l’instant suivant, nous disant qu’elles sont tellement stupides qu’elles ne comprennent rien, que ce sont des varelse. Jusqu’ici, je prenais ces affirmations pour argent comptant, ce qui m’avait amené à imaginer que les femelles n’étaient pas intelligentes, qu’il s’agissait d’un troupeau de truies marchant à quatre pattes. J’imaginais que les mâles les consultaient comme ils consultaient les arbres, utilisant leurs grognements pour deviner leurs réponses, comme on lance des osselets ou on lit dans les entrailles d’un animal sacrifié.

À présent, toutefois, je me rends compte que les femelles sont probablement tout aussi intelligentes que les mâles, et qu’il ne s’agit en aucun cas de varelse. Les déclarations négatives des mâles proviennent de leur amertume de célibataires exclus du processus reproductif et des structures de direction de la tribu. Les piggies se sont montrés aussi prudents avec nous que nous l’avons été avec eux – ils ne nous ont pas permis de rencontrer les femelles et les mâles qui détiennent effectivement le pouvoir. Nous croyions explorer le cœur de la société des piggies. Au lieu de cela, pour prendre une image, nous sommes dans un égout génétique, parmi les mâles dont les gènes sont considérés comme inutiles à la tribu.

Toutefois, je n’y crois pas. Les piggies que j’ai connus étaient toujours intelligents, rusés, et apprenaient rapidement. Si rapidement que je leur ai appris davantage sur la société humaine, accidentellement, que je n’ai appris sur eux, après des années d’études. Si ce sont leurs déchets, dans ce cas j’espère qu’ils me jugeront un jour digne de rencontrer les « épouses » et les « pères ». En attendant, je ne puis pas transmettre cela parce que, accidentellement ou pas, j’ai enfreint le règlement. Peu importe que personne ne puisse véritablement empêcher les piggies d’apprendre des choses sur nous. Peu importe que le règlement soit stupide et antiproductif. Je l’ai enfreint et, si on s’en rend compte, on annulera tout contact avec les piggies, ce qui serait encore pire que les relations sévèrement limitées que nous entretenons actuellement. De sorte que je me vois contraint au mensonge et à l’utilisation de subterfuges ridicules, comme mettre ces notes dans les dossiers personnels et secrets de Libo, où ma chère épouse elle-même n’aura pas l’idée d’aller les chercher. Voici une information absolument vitale, à savoir que les piggies que nous avons étudiés sont tous des célibataires et, en raison du règlement, il m’est impossible de la communiquer aux xénologues framlings. Olha bem, gente, aqui esta : a ciêcia, o bicho que se dévora ai mesma ! (Regardez bien, voilà ce que c’est : la science, la petite bête horrible qui se dévore elle-même !)

João Figueira Alvarez, notes secrètes publiées par Démosthène dans : « The Integrity of Treason : The Xenologers of Lusitania », Reykjavik Historical Perspective, 1990 :4 :1

Le ventre de Valentine était tendu et gonflé, bien que la naissance de sa fille ne soit prévue que dans un mois. Etre aussi grosse et déséquilibrée constituait une gêne continuelle. Toujours, jusqu’ici, lorsqu’elle se préparait à emmener des étudiants en söndring, elle avait été en mesure d’effectuer elle-même l’essentiel du chargement du bateau. Désormais, elle devait compter sur les marins de son mari, et elle ne pouvait même pas aller et venir entre le quai et la cale – le capitaine dirigeait le chargement afin que le bateau reste équilibré. Il faisait cela très correctement, bien entendu – le capitaine Rave ne lui avait-il pas appris à faire cela, lorsqu’elle était arrivée ?… Mais Valentine n’aimait pas l’idée d’être réduite à un rôle passif.

C’était son cinquième söndring ; le premier avait été l’occasion de rencontrer Jakt. Elle ne pensait pas au mariage. Trondheim était une planète comme toutes celles qu’elle avait visitées avec son jeune frère errant. Elle enseignerait, étudierait et, quatre ou cinq mois plus tard, elle publierait un long essai historique, le publierait sous le nom de Démosthène, puis profiterait de la vie jusqu’au moment où Ender déciderait d’accepter d’être le Porte-Parole d’un mort ailleurs. En général, leurs activités se mêlaient parfaitement – on lui demandait d’être le Porte-Parole d’un mort important dont la vie devenait le centre de son essai. C’était un jeu auquel ils se livraient, feignant d’être des professeurs itinérants alors que, dans la réalité, ils créaient l’identité de la planète, car les essais de Démosthène paraissaient toujours définitifs.

Elle avait cru, pendant un temps, que quelqu’un constaterait que Démosthène écrivait des essais qui, bizarrement, suivaient son itinéraire, et découvrirait la vérité. Mais elle comprit rapidement que, comme dans le cas des Porte-Parole mais à un degré moindre, une mythologie s’était créée autour de Démosthène. Les gens croyaient que Démosthène n’était pas un individu et que chacun de ses ouvrages était l’œuvre d’un génie travaillant indépendamment, qui tentait ensuite de publier dans la rubrique « Démosthène » ; l’ordinateur soumettait ensuite, automatiquement, l’ouvrage à une commission composée des meilleurs historiens du moment, qui décidait s’il était digne de ce nom. Des centaines d’essais étaient présentés chaque année ; l’ordinateur rejetait automatiquement tous ceux qui n’étaient pas écrits par le véritable Démosthène ; on continuait cependant de croire qu’une personne comme Valentine ne pouvait pas exister. Après tout, Démosthène avait commencé sa carrière comme démagogue sur les réseaux informatiques alors que la Terre était en guerre contre les doryphores, trois mille ans plus tôt. Il ne pouvait plus s’agir de la même personne.

Et c’est vrai, se disait Valentine. Je ne suis pas la même personne, en fait, d’un livre à l’autre, parce que les planètes transforment ma personnalité lorsque j’écris leur histoire. Et cette planète davantage que les autres.

Elle n’aimait pas l’omniprésence de la pensée luthérienne, surtout le courant calviniste qui paraissait détenir les réponses à toutes les questions, avant même qu’elles eussent été posées. De sorte qu’elle eut l’idée d’emmener un groupe sélectionné d’étudiants diplômés loin de Reykjavik, dans une des Iles de l’Eté, chaîne équatoriale où, au printemps, les skrika se rassemblaient et les troupeaux de halkig devenaient fous sous l’effet d’une énergie reproductrice débordante. Son idée consistait à briser les structures de la pourriture intellectuelle qui s’installait inévitablement dans toutes les universités. Les étudiants ne mangeraient que le havregin qui poussait à l’état sauvage dans les vallées protégées et les halkig qu’ils pourraient tuer, s’ils étaient assez courageux et rusés. Lorsque leur nourriture quotidienne reposerait sur leur activité physique, leur conception de ce qui comptait et ne comptait pas dans le domaine historique changerait obligatoirement.

L’université donna la permission, à contrecœur ; elle utilisa ses fonds personnels pour louer un bateau à Jakt, qui venait juste de devenir responsable d’une des nombreuses familles vivant de la chasse au skrika. Il avait, sur les universitaires, des opinions de marin, les traitant de skràddore en leur présence, et tenant des propos encore plus grossiers quand ils avaient le dos tourné. Il déclara à Valentine qu’il lui faudrait aller au secours de ses étudiants affamés dans la semaine. Toutefois, Valentine et ses naufragés, comme ils se nommaient, tinrent jusqu’au bout et prospérèrent, construisant une sorte de village et jouissant d’une liberté de réflexion créatrice qui engendra, à leur retour, un flot remarquable de publications excellentes et novatrices.