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— J’espérais. Je croyais en toi. Je voulais t’aider à faire ce dont tu rêvais. Dans la mesure où c’était bon.

Elle n’aurait pas été Novinha si elle n’avait pas trouvé une autre réflexion empoisonnée.

— Je vois. Vous êtes le Juge des Rêves.

Peut-être ne comprit-il pas que c’était une insulte.

Il se contenta de sourire et dit :

— La foi, l’espoir et l’amour – ces trois choses. Mais la plus belle est l’amour.

— Vous ne m’aimez pas, objecta-t-elle.

— Ah, fit-il. Je suis le Juge des Rêves et tu es le Juge de l’Amour. Eh bien, je te déclare coupable de faire de bons rêves et te condamne à une existence entière de travail et de souffrance dans l’intérêt de ces rêves. J’espère seulement qu’un jour tu ne me déclareras pas innocent du crime consistant à t’aimer. (Il resta songeur quelques instants.) J’ai perdu une fille pendant la Descolada. Maria. Elle n’aurait que quelques années de plus que toi.

— Et je vous fais penser à elle ?

— Je me disais qu’elle ne te ressemblerait absolument pas.

Elle commença l’examen. Il dura trois jours. Elle réussit, avec un nombre de points nettement supérieur à celui de nombreux étudiants diplômés. Rétrospectivement, toutefois, elle ne se souviendrait pas de l’examen comme du début de sa carrière, de la fin de son enfance, de la confirmation de sa vocation pour l’œuvre de sa vie. Elle se souviendrait de l’examen parce que ce fut le début de la période passée dans le laboratoire de Pipo, où Pipo, Libo et Novinha formaient la première communauté à laquelle elle eût appartenu depuis que ses parents avaient été mis en terre.

Ce ne fut pas facile, surtout au début. Novinha ne renonça pas immédiatement à sa pratique de la confrontation froide. Pipo comprenait, était prêt à laisser passer l’orage de ses attaques verbales. Cela fut beaucoup plus difficile du point de vue de Libo. Le Laboratoire du Zenador était l’endroit où il pouvait être seul avec son père. Désormais, sans qu’il ait été consulté, une troisième personne l’occupait, une personne froide et exigeante, qui lui parlait comme à un enfant, bien qu’ils aient le même âge. Il acceptait mal qu’elle soit xénobiologiste à part entière, avec le statut d’adulte que cela impliquait, alors qu’il était toujours apprenti. Mais il s’efforça de rester patient. Il était calme par nature, et le silence lui allait bien. Lorsqu’il était vexé, il ne le montrait pas. Mais Pipo connaissait son fils et le voyait bouillir. Au bout d’un certain temps, bien qu’elle soit insensible, Novinha s’aperçut qu’elle provoquait Libo au-delà des limites supportables par un jeune homme normal. Mais, au lieu de le ménager, elle considéra cela comme un défi. Comment pourrait-elle forcer ce beau jeune homme exceptionnellement calme et doux à réagir ?

— Tu veux dire que tu travailles depuis toutes ces années, lança-t-elle un jour, et que tu ne sais même pas comment les piggies se reproduisent ? Comment sais-tu que ce sont tous des mâles ?

Libo répondit calmement :

— Nous leur avons expliqué les mâles et les femelles lorsque nous leur avons appris nos langues. Ils ont décidé de se considérer comme des mâles et ont désigné les autres, ceux que nous n’avons jamais vus, comme des femelles.

— Mais, à ta connaissance, ils se reproduisent grâce à des spores. Ou par mitose !

Le ton de sa voix était méprisant et Libo ne répondit pas immédiatement. Pipo crut entendre les pensées de son fils, reformulant soigneusement la réponse afin de la rendre douce et inoffensive.

— J’aimerais que nous puissions faire davantage d’anthropologie physique, dit-il. Ainsi, il nous serait plus facile d’appliquer tes recherches sur les structures subcellulaires de la vie lusitanienne à ce que nous apprenons sur les pequeninos.

Novinha parut horrifiée.

— Tu veux dire que vous ne prenez même pas d’échantillons de tissus ?

Libo rougit légèrement, mais sa voix était toujours calme lorsqu’il répondit. Pipo se dit qu’il aurait agi de la même façon s’il avait été interrogé par l’Inquisition.

— Je suppose que c’est ridicule, expliqua Libo, mais nous avions peur que les pequeninos se demandent pourquoi nous prenions des morceaux de leur corps. Si l’un d’entre eux tombait malade, ensuite, nous rendraient-ils responsables de la maladie ?

— Et si vous preniez quelque chose qu’ils perdent naturellement ? On peut apprendre beaucoup avec un cheveu.

Libo hocha la tête ; Pipo, assis devant son terminal, de l’autre côté de la pièce, identifia le geste – Libo l’avait appris de son père.

— De nombreuses tribus primitives de la Terre croyaient que ce que leur corps perdait naturellement contenait une partie de leur vie et de leur force. Et si les piggies croyaient que nous pratiquons la magie contre eux ?

— Vous ne parlez donc pas leur langue ? Je croyais que certains d’entre eux parlaient stark ? (Elle ne fit rien pour cacher son dédain.) Ne pouvez-vous pas expliquer à quoi serviront les échantillons ?

— Tu as raison, répondit-il calmement. Mais si nous expliquions l’utilisation que nous ferions des échantillons de tissus, nous risquerions de leur enseigner le concept de science biologique avec mille ans d’avance sur le moment où ils atteindront naturellement ce point. C’est pourquoi la loi nous interdit d’expliquer ce genre de choses.

Finalement, Novinha fut déconcertée.

— Je ne me rendais pas compte que vous étiez à ce point liés par la doctrine de la non-intervention.

Pipo constata avec satisfaction qu’elle renonçait à son arrogance, mais son humilité était presque pire. Elle avait vécu dans un tel isolement vis-à-vis des contacts humains qu’elle parlait comme un ouvrage scientifique exagérément formel. Pipo se demanda s’il n’était pas déjà trop tard pour lui enseigner à agir en être humain.

Il était encore temps. Lorsqu’elle eut compris qu’ils étaient excellents dans leur domaine et qu’elle en ignorait pratiquement tout, elle renonça à son attitude agressive et passa presque à l’extrême opposé. Pendant plusieurs semaines, elle ne parla que rarement à Pipo et à Libo. Elle étudia leurs rapports, tentant de comprendre la raison d’être de ce qu’ils faisaient. De temps en temps, elle se posait une question et demandait des explications ; ils répondaient poliment et complètement.

La politesse céda progressivement la place à la familiarité. Pipo et Libo s’entretinrent librement en sa présence, émettant des hypothèses sur la raison pour laquelle les piggies avaient élaboré quelques-uns de leurs comportements étranges, sur le sens caché de certaines affirmations bizarres, pourquoi ils restaient si totalement impénétrables. Et, comme l’étude des piggies était une discipline scientifique toute nouvelle, Novinha en sut rapidement assez, même indirectement, pour proposer des hypothèses.

— Après tout, dit Pipo pour l’encourager, nous sommes tous aveugles.

Pipo avait prévu ce qui arriva ensuite. La patience soigneusement cultivée de Libo lui avait fait une réputation de froideur et de réserve parmi les autres enfants de son âge, alors même que Pipo tentait de l’amener à entretenir des relations sociales ; l’isolement de Novinha était plus flamboyant mais pas moins complet. Toutefois, leur intérêt commun pour les piggies les rapprocha… À qui auraient-ils pu parler alors que seul Pipo pouvait comprendre leurs conversations ?

Ils se détendirent, rirent aux larmes à la suite de plaisanteries qui n’auraient manifestement amusé personne. Tout comme les piggies paraissaient donner un nom à tous les arbres de la forêt, Libo s’amusa à nommer tous les meubles du laboratoire, et déclarait régulièrement que certains objets étaient de mauvaise humeur, de sorte qu’il ne fallait pas les déranger.