— J’ai une poussière dans l’œil, dit-elle à Olhado. Guide-moi jusqu’à ce que je puisse me diriger seule.
Quim se tenait déjà près de la clôture.
— La porte est trop loin ! cria-t-il. Peux-tu grimper, maman ?
Elle y parvint, mais cela ne fut pas facile.
— Il n’y a pas le moindre doute, dit-elle, Bosquinha va devoir nous permettre d’installer une autre porte ici même.
Il était tard, à présent, minuit passé ; Ouanda et Ela somnolaient. Pas Ender. Il marchandait avec Crieuse depuis plusieurs heures et la nervosité le soutenait ; la chimie de son corps avait réagi et, même s’il était rentré chez lui, il n’aurait pas pu s’endormir avant plusieurs heures.
Il était à présent beaucoup plus conscient des désirs et des besoins des piggies. Leur forêt était leur demeure, leur patrie ; ils n’avaient jamais eu besoin d’une autre définition de la propriété. À présent, toutefois, les champs d’amarante les avaient amenés à comprendre que la prairie pouvait également se révéler utile et qu’ils avaient besoin d’un moyen de contrôle. Cependant, ils n’avaient qu’une idée très vague de la façon de mesurer le terrain. Combien d’hectares avaient-ils besoin de cultiver ? Quelle surface de terre les humains pouvaient-ils utiliser ? Comme les piggies eux-mêmes ne comprenaient guère leurs besoins, Ender avait beaucoup de mal à les définir.
Les concepts de loi et de gouvernement étaient plus difficiles encore. Les épouses gouvernaient. Pour les piggies, c’était simple. Mais Ender avait fini par leur faire comprendre que les humains élaboraient leurs lois d’une façon différente, et que les lois humaines s’appliquaient aux problèmes humains. Pour leur faire comprendre pourquoi les humains avaient besoin de lois propres, Ender dut leur expliquer les structures d’accouplement des êtres humains. Il remarqua avec amusement que Crieuse fut scandalisée par l’idée que des adultes puissent s’accoupler, et que les hommes aient le même poids que les femmes dans l’élaboration des lois. L’idée de famille et de parenté distinctes de la tribu équivalait de son point de vue à « l’aveuglement à la fraternité ». Il était acceptable que les humains soient fiers des nombreux accouplements de leurs pères mais, du point de vue des épouses, les pères étaient choisis exclusivement sur la base de l’intérêt de la tribu. La tribu et l’individu – telles étaient les seules entités que les épouses respectaient. Finalement, toutefois, elles comprirent que les lois humaines devraient s’appliquer dans les limites des colonies humaines, et les lois des piggies dans les tribus de piggies. La question des frontières était totalement différente. Au bout de trois heures, elles n’avaient accepté qu’une chose, et une seule : la loi des piggies s’appliquerait dans la forêt et tout être humain qui y pénétrerait y serait soumis. La loi humaine s’appliquerait à l’intérieur de la clôture et les piggies qui s’y rendraient seraient soumis au gouvernement humain. Le reste de la planète serait divisé plus tard. C’était une petite victoire, mais c’était tout de même un début d’accord.
— Tu dois comprendre, lui dit Ender, que les humains auront besoin de terres étendues. Mais cela n’est que le début du problème. Vous voulez que la reine vous forme, vous enseigne à extraire et fondre le métal, à fabriquer des outils. Mais elle aura également besoin de terres. Et, en peu de temps, elle sera beaucoup plus puissante que les humains et les Petits.
Tous les doryphores, expliqua-t-il, étaient parfaitement disciplinés et infiniment travailleurs. Leur productivité et leur puissance dépasseraient rapidement celle des êtres humains. Une fois la reine réanimée sur Lusitania, il faudrait continuellement tenir compte d’elle.
— Rooter dit qu’on peut lui faire confiance, intervint Humain. (Et, traduisant Crieuse, il ajouta :) L’arbre-mère fait également confiance à la reine.
— Lui donnez-vous votre terre ? insista Ender.
— Le monde est grand, traduisit Humain. Elle peut utiliser toutes les forêts des autres tribus. Vous aussi. Nous vous les donnons pour rien.
Ender regarda Ouanda et Ela.
— Tout cela est très bien, dit Ela, mais ont-ils le droit de donner ces forêts ?
— Absolument pas, dit Ouanda. Ils font même la guerre aux autres tribus.
— Nous les tuerons à votre place s’ils vous posent des problèmes, proposa Humain. Nous sommes forts, à présent. Trois cent vingt bébés. Dans dix ans, aucune tribu ne pourra nous résister.
— Humain, fit préciser Ender, dis à Crieuse que si nous traitons avec votre tribu maintenant, nous traiterons avec les autres plus tard.
Humain traduisit rapidement, les mots se bousculant, et eut bientôt la réponse de Crieuse :
— Non, non, non, non.
— À quoi est-elle opposée ? demanda Ender.
— Vous ne traiterez pas avec nos ennemis. Vous êtes venus chez nous. Si vous allez les voir, vous deviendrez également nos ennemis.
À ce moment, des lumières apparurent dans la forêt et Flèche ainsi que Mange-Feuille firent entrer Novinha, Quim et Olhado dans la clairière des épouses.
— Nous venons de la part de Miro, précisa Olhado.
— Comment va-t-il ? demanda Ouanda.
— Paralysé, répondit Quim avec brusquerie.
Cela évita à Novinha la douleur d’expliquer.
— Nossa Sehnora, souffla Ouanda.
— Mais l’essentiel est temporaire, dit Novinha. Avant de partir, j’ai serré sa main. Il l’a senti et a répondu à ma pression. Faiblement, mais tous les nerfs ne sont pas morts, heureusement.
— Excusez-moi, intervint Ender, mais c’est une conversation que vous pourrez poursuivre à Milagre. Je suis confronté, ici, à un autre problème.
— Excusez-moi, dit à son tour Novinha. Le message de Miro. Il ne pouvait pas parler mais il nous l’a communiqué lettre par lettre et nous avons deviné ce qu’il y avait dans les espaces. Les piggies préparent la guerre. Grâce aux avantages que nous leur avons procurés – les flèches, leur supériorité numérique –, ils seraient invincibles. À ma connaissance, toutefois, selon Miro, leurs guerres ne sont pas seulement liées à la conquête de territoires. C’est une occasion de mélange génétique. Exogamie masculine. La tribu victorieuse obtient l’utilisation des arbres qui poussent sur les cadavres de ceux qui sont morts à la guerre.
Ender regarda Humain, Mange-Feuille, Flèche.
— C’est vrai, dit Flèche. Naturellement. Nous sommes la tribu la plus intelligente, à présent. Nous serons tous de meilleurs pères que tous les autres piggies.
— Je vois, fit Ender.
— C’est pour cela que Miro voulait que nous venions immédiatement, dit Novinha. Alors que les négociations ne sont pas terminées. Il faut que cela cesse.
Humain se dressa et sauta sur place, comme s’il allait s’envoler.
— Je ne traduirai pas cela.
— Moi, je le ferai, déclara Mange-Feuille.
— Arrêtez ! cria Ender.
C’était la première fois qu’il donnait toute sa puissance à sa voix. Immédiatement, tout le monde se tut ; l’écho de son cri parut s’attarder entre les arbres.
— Mange-Feuille, dit Ender, Humain est mon seul interprète.
— Qu’est-ce qui te donne le droit de m’interdire de parler aux épouses ? Je suis un piggy et tu n’es rien.
— Humain, reprit Ender, dis à Crieuse que si elle autorise Mange-Feuille à traduire notre conversation entre êtres humains, nous le considérerons comme un espion. Et que si elle lui permet de nous espionner, nous rentrerons chez nous et vous n’obtiendrez rien de nous. J’emporterai la reine sur une autre planète. Comprends-tu ?