Выбрать главу

« Et maintenant, que vais-je faire ? » chantait Albert Bécaud à l'époque de Gilbert.

Nul signe de vie dans ce trou en léthargie, sinon celui, très précaire, d'un vieillard à casquette, assis devant une maison de briques, sa canne entre les jambes, piètre ersatz de bite.

Je descends de mon siège pour faire le sien.

Le vieux Normand me regarde approcher avec l'air mécontent du déféqueur auquel tu fauches son faf à train au moment où il allait l'utiliser pour la plus grande gloire de son slip.

— Alors, grand-pé ? je lui dis.

— Hé bé ! rétorque le quasi-centenaire du tacot tac.

— Vous habitez un bien beau pays, l'amadoué-je.

— Autrefoué, j'dis point ; mais maintenant il est à chier ! fait valoir cet être qui joue les prolongations.

— Vous êtes contre le progrès ? tâté-je-t-il le terrain.

Le dabe procède à un lancer de glave d'au moins dix mètres et ronchonne :

— Ce que je suis contre, c'est cette saloperie d'secte qui vient nous polluer l'pays !

Là, mes testicules font un soubresaut dans le havresac qui les héberge.

— Une secte, dites-vous, grand-pé ?

— De la racaillerie ! Si mon père qu'était maire d'la commune revenait, il te vous sacquerait cette vermine en moins de pas longtemps.

Dès lors, c'est du velours que de lui faire déballer le trop-plein.

Je te résume. Voici trois ou quatre ans, une confrérie bizarroïde a racheté le château du coin qui menaçait ruine. Ses adeptes, ayant à leur tête un Asiatique obèse, ont réparé sommairement l'immense demeure et s'y sont installés. A présent, ils dépassent la centaine, mènent une existence hors norme dans un pêle-mêle d'humanité indescriptible où les sexes se confondent. A la belle saison, ces marginaux sont entièrement nus. Les couples et les enfants sont mélangés. On baise, ripaille, chante, célèbre d'étranges cultes plus ou moins païens. Ces curieuses gens se cament à longueur de journée et se battent parfois.

Beaucoup de villageois se sont plaints, mais la secte bénéficie sûrement de protections puissantes, car les doléances paysannes n'ont jamais provoqué l'intervention des autorités.

— Voulez-vous que je vous dise, péroraisonne l'homme auquel je tends une oreille séculière.

Je veux.

Il baisse la voix et déclare avec gravité :

— Faudrait tout y tuer de c'moment ; c'est pas au temps du Maréchal qu'on voyait ÇA.

Je m'apprête à lui dire au revoir, lorsqu'une question me fulgure des lèvres :

— Dites-moi, grand-pé, vous n'auriez pas vu passer une moto avec un side-car, il y a environ deux heures ?

— Celle de l'Anglais ? me demande-t-il.

Ah ! le digne homme ! Ah ! le cher vieillard ! Ah ! l'admirable bouseux d'amour ! Comment le gratituder ?

A son âge, une pute, on n'a plus rien à lui demander ! Une décoration, on s'en branle ! Du blé, on en a suffisamment ! Un caveau au cimetière ? Il le tient déjà de sa famille. Alors quoi ? Une caisse de vin ? Mais, normand comme je le vois, il ne doit boire que du cidre.

— Une bouteille de calva hors d'âge, ça vous ferait plaisir ? questionné-je.

— Pas la peine : mon gars fabrique le meilleur de la région.

* * *

M'en vais rejoindre le black pote. Il continue de se mettre la bouche en sang sous l'effet de l'anxiété et maugrée :

— T'en as mis du temps !

— J'en ai mis, mais ne l'ai pas perdu, corrigé-je.

Et de décrocher le bigophe de ma ceinture.

J'appelle les braves motards placés en attente à quatre kilomètres d'ici. Leur dis de nous rejoindre sur la place de Saint-Julien-l'Hospitalier, mais qu'auparavant ils nous fassent dépêcher un max de renforts au château du même patelin.

C'est pas encore la guerre, mais je sens que d'ici pas longtemps, ça va drôlement y ressembler.

21.

IL Y A TOUJOURS, AU BOUT DU CHEMIN…

Je règle notre action de la façon suivante. J'irai me présenter seul au château et demanderai à parler au gourou. Pendant ce temps, les huit gendarmes arrivés à la rescousse cerneront le domaine et attendront les ordres de Jérémie. Lorsque je jugerai le moment opportun, au moyen de mon bip, je donnerai à mon merveilleux compagnon l'ordre d'investir les lieux.

— Supposons que tu sois neutralisé d'entrée de jeu ? hypothèse l'avisé poulardin.

— Sans nouvelles de ma pomme au bout d'un quart d'heure, tu déclencheras le patacaisse.

Pourquoi nous serrons-nous la main en cet instant crucial ? D'ordinaire, dans les cas critiques ou d'euphorie intense, on se donne plutôt l'accolade. Nous jouons si gros, lui et moi, que notre tendresse fraternelle a besoin de s'exprimer « autrement », par un véritable geste d'homme.

Je le laisse en compagnie de nos collègues pandores pour prendre le chemin sinueux menant au château. Tout en roulant, un flash brutal me projette Salami dans la pensarde.

Tu vas dire que j'ai d'autres chiens à fouetter, mais notre calbombe fonctionne à son gré, n'est jamais « dirigeable ». Nos pensées ont la fluidité de l'eau, se gonflent ou se dessèchent, mais suivent leur pente naturelle.

Où est-il, mon merveilleux toutou ? Quand avons-nous cessé d'être ensemble ? J'efforce de la mémoire : le Sacré-Cœur de Montmartre !

Il se trouvait à la sacristie avec moi puisqu'il a flairé le cadavre du père Chatounet dans l'amoire aux chasubles.

Je n'avais pas besoin de cette contrariété supplémentaire au moment de livrer bataille ! Une couillerie succède à une autre dans l'existence !

Le château est d'une féodalité indéniable. Il est clos de murs. Son accès est protégé par une grille. La serrure a été remplacée par une chaîne cadenassée.

Une grosse cloche subsiste, actionnée par une corde. Je tire dessus, déclenchant une espèce de tocsin fêlé.

A travers les barreaux, je découvre des chiares vêtus miséreusement d'une culotte Petit Bateau ou d'une chemise de corps. Les mieux équipés portent les deux à la fois, tandis que les plus démunis vont cul nu.

Le tintement les a alertés et ils radinent, kif des volatiles auxquels on apporte du grain. Contrairement aux enfants de leur âge, ils demeurent silencieux, avec des yeux curieux emplis d'une crainte latente.

Je leur lance ce bonjour enjoué dont les adultes font l'aumône aux gosses.

Aucun d'eux ne me répond.

Bientôt les graviers de l'allée, envahis par la mauvaise herbe, se mettent à crisser sous les pieds d'un homme vêtu de cuir noir, botté, le crâne rasé, une matraque engagée dans la ceinture. Le type même du nouveau nazi fouteur de merde !

L'arrivant écarte les marmots sans ménagement et pose sur moi un regard de crotale constipé.

— Vouais ? demande-t-il avec distinction.

— Salut, Pierrot ! fais-je-t-il en souriant. Je voudrais m'entretenir avec le gros Chinago.

Ça lui provoque des zébrures dans la boîte à idées. Je l'interloque à blanc, ce gussier. Il palpite des stores.

— De quoi ? finit-il par articuler.

— Tu ne parles que le martien ou t'as les cages à miel saturées ? reprends-je.

— Non, mais ça va pas ! piètrise ce déchet humain.

Déconcerté jusqu'au coccyx, il me plante là et retourne au château à grands pas afin d'aller informer ses supérieurs.

Sombrement déterminé, je sors flegmatiquement mon sésame et obtiens un visa d'entrée en moins de jouge, ces cadenas anciens ne valant pas tripette.

Les chiares, estomaqués, me défriment avec l'air époustouflé qu'avait Jeanne d'Arc quand les anges Truc et Machin vinrent lui ordonner de rassembler ses tampons périodiques et d'aller sus aux Anglais (si l'on peut dire).

J'avise, sous un hangar proche, rangés côte à côte, un minibus de marque nippone et un side-car noir, décoré d'un filet bleu. Son immatriculation est anglaise.