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26.

LE JOUR OÙ JE SUIS MORT (SUITE)

Il tient le pendant d'oreille comme le prêtre l'hostie consacrée. Sa bouche éclatée tremble. Des larmes lui jaillissent.

— Où était-il ? il susurre.

— Dans les écuries effondrées, là-bas.

Il se met en marche. Je le suis. Je crois bon de le prévenir :

— En dehors de cette perle qui s'y trouvait, tout avait l'air normal.

Haussement d'épaules du malheureux.

Il déclare :

— Rien ne peut être normal. Si l'on a conduit ma femme en ce lieu, c'est dans un but précis !

Revoilà les bâtiments charognés par le temps et l'indifférence des hommes. « Le ciel est par-dessus le toit, si bleu, si calme. »

Comme ma pomme, naguère, il examine les tristes lieux. Ballepeau !

Mon amigo soliloque :

— Il n'y avait aucune raison de les amener ici puisqu'ils sont « outillés » dans les sous-sols.

— Très juste, apprécié-je.

Alors, tu sais quoi, Grivois ? Jérémie s'arme d'un manche de fourche en train de faire des heures supplémentaires dans l'une des stalles ; il s'en sert comme d'un « brigadier » de théâtre, frappe le sol consciencieusement. Son intention est d'étudier la résonance de toute la surface.

Il agit sans se décourager de n'éveiller que des chocs sourds. Il a commencé par une extrémité et avance d'une allure de jardinier. Toc ! Toc ! Toc ! Partout cela sonne le plein. Un petit pas, deux coups ; nouvelle enjambée, re-toquetoque.

— Tu pourrais m'aider ! me fait-il, mauvais.

Si je te disais que l'idée ne m'en était même pas venue.

Je déniche un second morceau de bois et pars à l'autre bout de l'écurie.

Dans l'encadrement de la lourde, la fille enflammée du réchaud nous contemple. Elle convoite le chibraque de Jérémie si fortement qu'elle a relevé ses cotillons, comme disait grand-mère, pour s'opérer un toucher de motte de mandolinière.

Et nous deux, enragés, on « pan ! pan ! pan ! » à nous détrancanner les biceps, triceps, forceps et colonne vertébreuse.

Soudain, ça sonne le creux sous mes pilonades. Incontestable. Six mètres carrés forment caisse de résonance. Putain, cette frénésie ! Je dégage les reliquats de paille afin de mettre à nu la chape de ciment. Elle révèle une trappe délimitée par un encadrement métallique.

— Viens ici ! lancé-je à mon compagnon de misère.

Il pige illico, accourt.

En général, une trappe est pourvue d'un anneau permettant de la soulever. Ne voyant rien de tel, et après examen de sa surface, j'en déduis qu'elle obéit à un autre système.

Nos cœurs fonctionnant à deux cents coups minute, nous cherchons la solution. Jéré se casse les ongles à vouloir les glisser dans les interstices.

— Laisse quimper, fais-je, il y a sûrement autre chose.

En cas de mystère aigu, je m'immobilise pour réfléchir.

Tout ici est croulant, rouillé, brisé, hors d'usage, pourtant, la dalle de ciment n'a pas été coulée depuis longtemps. Une fois qu'on l'a balayée, cela paraît évident. S'il existe un système d'ouverture, il est récent et, par conséquent, peut se détecter sans mal dans cet univers agonisant.

Autrefois, papa avait acheté un chien de chasse : un « espagnol-breton », dirait le Gros. Il dressait son chiot en promenant un morceau de barbaque sur le sol, qu'il enterrait ensuite dans le jardin, puis il exhortait le cador par des : « Cherche, mon Dick ! Cherche ! »

A cet instant, je crois entendre la voix engageante de mon dabe, facilement pétardier mais cependant plein de tendresse : « Cherche, mon Antoine ! Cherche ! ».

Je te jure qu'il est à proximité, mon daron. A preuve ? Il « m'oblige » à tourner la tête en direction d'une plaque de concours hippique accrochée à un clou. Du bout des doigts, je la relève. Bravo ! Elle cache un commutateur niché dans le mur.

Que j'actionne.

Il se produit un zonzonnement feutré. La trappe de ciment descend de quelques centimètres, puis se met à coulisser, et découvre une ouverture.

Une effroyable puanteur monte de la fosse. Une odeur qu'il m'est arrivé de respirer quelquefois au cours de ma carrière : celle d'un charnier !

J'empare mon stylo-torche et braque son faisceau dans le trou. La pestilence me chavire.

L'impensable se révèle : un ignoble tas de morts en décomposition ! Pareils à ceux qu'on extrayait, à la Libé, des camps nazis et, de nos jours, des sols occupés par des régimes totalitaires !

Ma lampe tremble dans ma main. Des cris de bête blessée encombrent ma gorge. Je déplace la cruelle lumière : elle me découvre Ramadé, serrant Antoinette blottie dans ses bras.

La Noire est sans connaissance. L'enfant pleurniche doucement en balbutiant : « Maman ».

Plus fou que fou, dirait un publicitaire, je saute dans l'horreur. Cramponne MA fille. Hèle Jérémie. Il ne répond pas. L'une de ses jambes pend dans l'excavation. Évanoui, le bon Jéjé. A toi de te démerdaver, Sana !

Je te raconte pas. Je hisse la petite hors de la fosse. Elle est dans un triste état, avec ses vêtements chiffonnés et puants, son minois maculé de cambouis, ses fins cheveux emmêlés, collés par d'épouvantables viscosités ! Je lui souris.

— Pourquoi tu pleures ? murmure-t-elle.

— Je ne pleure pas !

Je secoue le Négus :

— Arrête de nous jouer La Dame aux Camélias, Dugland, c'est pas le moment !

Il a un soubresaut. Rouvre des yeux hagards.

— Aide-moi à remonter ta femme !

— Ramadé ? balbutie le tiersmondiste.

La réalité lui réinvestit la matière grise. Sa physionimie est un déferlement de sentiments intenses.

Pour la seconde fois, je plonge dans l'abomination. Ça fait une sacrée impression de fouler des cadavres réduits en boue !

Agenouillé devant cette fosse commune peu commune, il se met à gerber, l'enfoiré de sa mère ! Merci pour les éclaboussures !

Conjuguant nos efforts (et nos spasmes), nous parvenons à extraire Mme Jérémie Blanc. A l'air, elle sort du coltar, avise son gladiateur, lui ouvre les bras (ce soir, ce sera les jambes).

* * *

Nous voici hors des écuries. Les allumés-folâtres font cercle. Ces ébréchés de la coiffe regardent notre quatuor comme s'ils contemplaient la cour de récréation de l'Académie, au moment où les bicornés mangent leur goûter.

Je reviens sur mes pas pour refermer la trappe, puis dégaine Tu-Tues et carbonise deux bastos dans les airs afin d'appeler nos gendarmes à l'aide.

27.

LE JOUR OÙ J'AI RESSUSCITÉ

Ils se ramènent depuis le château, nos bons amis pandores.

J'aime les gendarmes. Je comprends que certaines gens (les malfrats principalement) nourrissent une aversion pour les flics ; mais je ne conçois pas qu'ils l'étendent aux bédis. C'est comme du pain chaud, un schmitt. Bien sûr, il en est de teigneux, des qui se montrent un peu trop jugulaire-jugulaire ; pourtant dans l'ensemble ce sont de braves mecs.

Les voyant radiner, je lâche à Jérémie :

— Pas un mot sur le charnier non plus que sur la geôle souterraine. C'est un trop gros morcif, ça foutrait la panique chez nos ennemis. On va jouer la partition calmos !

Ainsi est fait.

Je te gaze sur nos petites miraculées que nous enveloppons chacune d'une couverture et conduisons à la polyclinique Salambô, la plus proche d'ici.

Diagnostic du professeur Homais qui les examine : rien de grave, sinon une légère commotion nerveuse de Ramadé. L'adulte, consciente de l'horreur, a plus mal résisté que l'enfant, sécurisée par l'étreinte maternelle de Mme Blanc, mais tout cela va rentrer dans l'ordre.

Tranquillisé, je vais m'acheter des fringues au « Dandy Normand », un magasin de confection voisin, car les miennes fouettent la fosse commune.