La chère fille perçut encore quelques syllabes et ne tarda pas à découvrir qu'elles sortaient de la petite boîte plate trouvée quelques semaines plus tôt dans une poche de Monsieur.
Cette fois l'objet l'effraya. L'ayant longuement examiné, elle le reposa sur l'étagère à côté du vieux poste de radio qui, depuis des lustres, s'obstinait à fonctionner.
Pilar (son état civil comportait à peu près tous les prénoms féminins du calendrier) avait le cœur plus serré qu'un poing communiste. Les nerfs tendus, elle redoutait (en l'espérant confusément) une nouvelle manifestation sonore de la boîte.
Rien de tel ne se produisit.
Au bout d'une heure, elle alla renouveler son Tampax et but une forte goulée de Malaga à la bouteille rapportée à sa patronne, de ses dernières vacances.
Le basset se passa une langue longue comme une traîne de mariée sur les roustons et reprit le cours de sa méditation. C'était la première fois qu'il égorgeait quelqu'un. La victime avait beau n'être qu'un homme, et qui plus est un criminel, ce sauvage réflexe le troublait. Cela dit, sans son intervention, l'ami de son maître serait mort, donc il avait accompli un acte salvateur.
Depuis plusieurs jours le prêtre asiatique louait une chambre à Mme Goguenuche, la brave « logeuse » de Salami. D'emblée, le personnage avait éveillé la suspicion de ce chien hors pair (mais pas hors paire). Le hound avait décidé de rester sur place pour le surveiller, voire prévenir les mauvais desseins dont il le sentait animé. Bien lui en avait pris.
Le brave clébard regrettait déjà d'avoir décliné l'invitation du bonhomme, car il pressentait confusément que Félix n'en avait pas terminé avec ses ennemis. D'autre part, l'égorgement du Jaune, près du confessionnal, déclencherait un patacaisse du diable ! Le signalement de l'animal serait diffusé et les services de la fourrière, épaulés par la poulaillerie, chercheraient ce basset dans tout le 18e.
La décision du valeureux toutou fut rapidement arrêtée. Il absorba, en hâte, quelques morceaux de Canigou dans son écuelle, et fila prestement.
Heureusement, Galochard puait des pinceaux. Salami n'eut aucune difficulté à relever sa trace.
Dans la crypte du château de Saint-Julien-l'Hospitalier, la gendarmerie de l'Eure, assistée des Services de la Croix-Rouge (en anglais Red-Cross), s'occupait activement de libérer, et de donner les premiers soins aux prisonniers pitoyables du gourou, lequel, malgré les avis de recherche demeurait introuvable.
Beaucoup des séquestrés étaient dans un état critique et respiraient d'une façon précaire. On avait dressé une tente sanitaire dans le parc pour prodiguer les soins de première urgence. Les pauvres victimes, parmi lesquelles le général Godefroi Haumiche, se tenaient lovées sur les civières, en position foetale.
Un brigadier au kebour de traviole demandait leur identité à ceux qui pouvaient encore parler. Il la notait sur des feuillets fixés à une planchette de bois. Il ne s'agissait pas encore de déposition, seulement de dresser la liste de ces gens sortis de l'enfer.
Le gendarme parvint devant un très vieil homme à la barbe longue et soyeuse comme celle de quelque magot chinois. Ses orbites ressemblaient à des cratères lunaires. Il lui adressa un sourire compatissant.
— A vous, grand-père, fit-il. Vous pouvez me dire votre nom ?
Le presque mourant acquiesça, et murmura très bas :
— Je suis le père Pierre Chatounet.
30.
SONNEZ LA CHARGE !
Marrant, quand on y réfléchit. Voilà une gonzesse qui a dû carboniser davantage de mecs qu'elle n'a confectionné d'omelettes norvégiennes dans sa vie, et qui joue des castagnettes avec ses dents et ses miches à cause d'un bon vieux rat de banlieue piégé.
Défaut de la cuirasse. Même dans le crime, nul n'est parfait.
Quand elle s'est affalée, nous avons décidé de contre-attaquer sans délai, le Saint-Locducien et moi.
On a embarqué la môme Dolly et le gaspard avec nous. Il constituait la souris de l'Abbé Jouvence, un vade-mecum idéal ! Diaboliquement, on a posé la nasse près de la fille, sur la banquette arrière. Comme s'il avait pigé ce que nous attendions de lui, le moustachu ne la quittait pas des yeux et couinait parfois en secouant les barreaux de sa cage. Je lui rendrai la liberté « après usage » : il le méritait. Toujours se montrer reconnaissant pour les services rendus. Que ce soit vis-à-vis des hommes ou des rats.
Pendant que nous roulions, Béru criait la faim. Je lui ai promis d'aller faire le plein plus tard, après « l'opération ». Les toréadors ne mangent jamais avant une corrida ; or, nous allions entreprendre une action plus redoutable que les jeux de l'arène.
Nous sommes arrivés dans Paname à la nuit tombée. J'ai coupé à travers le bois de Boulogne et gagné les quais. Devant nous, perçant la brumasse, la tour Eiffel semblait frappée de somnambulisme. Un jour, on la démolirait parce que les tas de ferraille finissent connement. Ou bien quelque fantaisie atomique la ferait fondre. Mais enfin, bref, à cet instant, je sentais sa précarité irrémédiable, et ça ne me faisait ni chaud ni froid.
J'ai suivi la rive droite jusqu'à l'Alma, puis ai emprunté la rampe menant à la Seine. Un troupeau de grosses péniches noires s'agglutinaient le long de la berge.
Dolly nous a conseillé de remonter le train de barlus en direction de Grenelle. A un moment donné, elle a murmuré : « Stop ».
J'ai pilé.
Quelques mètres en aval, un fort chaland battant pavillon belge était amarré bâbord contre les pierres du quai.
— C'est là ? a demandé Bérurier.
— Oui.
On voyait des lumières sur le rouf et de la musique de danse s'échappait de ses flancs. Quelques automobiles cossues stationnaient, face au fleuve.
— Y a réception au domaine ! a remarqué mon alter-inégal.
Je me suis rangé dans une zone d'ombre du pont Mirabeau. Deux clodos couverts de sacs et de journaux m'ont insulté ; leur ai filé cent points et ils se sont pris à m'aimer.
— T'as des projets ? a questionné Alexandre-Benoît en laissant filer une louise langoureuse dans les azurs de son bénouze.
- Ça va venir ! ai-je promis.
J'ai appuyé ma nuque sur le dossier.
Le pour et le contre ?
Rien de plus difficile à peser ! Aucune balance, fût-elle de Roberval (Gilles Personne de) ne peut y parvenir.
Je ferme les châsses. Perçois les bribes de musique s'étirant sur l'eau. Sourd grondement de Pantruche jamais totalement calmé.
Chose bizarre, Big-Bide respecte ma concentration. Il sait que nous vivons un moment capital. Si nous livrons l'assaut à deux, nous risquons une défaite en comparaison de laquelle celle de Pavie ressemblerait à une partie de colin (mayonnaise)-tampon, alors qu'avec nos incomparables troupes la victoire serait assurée.
Jumbo, l'éléphant rampant, poursuit ma pensée à haute voix :
— Si qu'on choisit d'alerter les collègues, mec, on passera à côté d' la gagne. Les forbans seront emballés et point à la ligne. Nos représesailles tomberont à la flotte. Ces vilains seront carcérés, on leur fournirera des bavards triés su' l' barreau et y z'auront commis toutes ces horreurs pour rien. Nous aut' on comptera pour d' la magarine rance !
— Conclusion ? fais-je au bout de sa diatribe.
— Ben : les Marines attaquent à l'aube, Grand ! C'est l' moment de montrer qu'on a des couilles bien en place ! La seule chose dont j' m' demande, c'est ce qu'on va fiche d' la mousmé. La r'mett' dans le coffiot ? J' dis pas, mais comm' elle a vu les clodos, elle va faire du suif pour attirer leur intention.
Brève réflexion du surdoué de la pensarde que je crois être.